Je m'étais promis de ne rien écrire avant le 10 mai, date anniversaire en ce qui me concerne et j'y reviendrai le jour dit. Mais après avoir regardé la soirée "Mai 68" sur Arte mardi soir, j'ai eu envie d'apporter un petit commentaire. En première partie de soirée, deux films intéressants y étaient astucieusement programmés, on peut encore les regarder sur Arte.tv en V.O.D. Il s'agissait d'un documentaire sur l'expérience scolaire de Vitruve (En mai fais ce qu'il te plaît de Stéphanie Kaim) et le second sur le festival de films pornos Wet Dreams en 1971 à Amsterdam (Jouissez sans entraves d'Yvonne Debeaumarche). La confrontation des images tournées par Geneviève Bastide lorsque les élèves avaient huit ans et celles des protagonistes quarante ans plus tard est passionnante, l'expérience de responsabilité / créativité des enfants et les difficultés de réinsertion qui s'en suivirent soulèvent une question qui a fortement marqué les parents issus des rêves de 68. La libération sexuelle est abordée avec les mêmes pincettes en ce qui concerne les paradoxes que cette autre expérience a générés. Le choix des deux invités de Daniel Leconte n'était par contre pas à la hauteur, en l'occurrence Bettina Röhl, fille d'Ulrike Meinhof et Klaus Rainer Röhl, devenue réactionnaire jusqu'au bout des ongles et révisionniste pathologique, d'une part, et de l'autre le consensuel Philippe Val, patron contesté de Charlie Hebdo. La fin de soirée s'achevait par le chef d'œuvre de Chris Marker, Le fond de l'air est rouge, une version raccourcie de 4 à 3 heures par le cinéaste lui-même, qui sortira en DVD le 24 avril, à ne manquer sous aucun prétexte.
Tous s'accordaient pour conclure qu'il n'y avait pas eu un seul Mai 68, mais plusieurs. En effet, l'époque fut un mélange de sources dont l'incompatibilité apparente fomenta des idées variées qui donnèrent à chacun et chacune la possibilité d'en hériter comme bon lui semblait. Si Mai 68 commença pour certains à Nanterre le 22 mars avec une histoire de non-mixité des dortoirs des filles et des garçons (le sexe !), pour d'autres la Guerre du Vietnam fut déterminante (révolte anti-impérialiste et éveil politique)... Pour les hippies d'alors, le Flower Power réconciliait les deux dans son "Make Love Not War" ! Mai 68 fut une révolution de mœurs (libération sexuelle, féminisme, explosion du carcan hérité de l'après-guerre, remise en question des conventions, etc.) et un mouvement politique (prise de conscience étudiante, luttes ouvrières, revendications salariales, etc.). Cette histoire explosa sur toute la planète en même temps de Paris à Tokyo, de Berlin à San Francisco... Le rock et le free jazz accompagnaient la mutation ! Le théâtre descendait dans la salle. Le cinéma resplendissait (on dit d'ailleurs que l'affaire Langlois annonça les événements). Ce qu'on a coutume d'appeler la drogue dans les émissions de télé était alors très peu répandue en regard de ce que c'est devenu. Du jour au lendemain, la jeunesse prit conscience de sa force, ou plus exactement de son potentiel, jusqu'aux lycées où l'on n'avait jamais connu le moindre "incident". Tout semblait calme, anesthésié. Il y eut un avant et un après, du moins pour celles et ceux qui vivaient dans les grandes villes et évidemment particulièrement dans la capitale, puisqu'en France tout est centralisé, même la révolution. Si tant de groupuscules naquirent et s'épanouirent, s'opposant à la droite comme à ce qu'ils appelaient alors le "révisionnisme" stalinien du Parti Communiste Français, cette révolution fut d'abord intérieure à chacun, avec le retour du questionnement, un pavé dans une main et une fleur dans l'autre, la balance de l'une à l'autre relevant du choix de chacun, ou de ses origines de classe ! Le gris cédait la place au rouge et noir ou au psychédélisme haut en couleurs. L'impossible devenait le réel.
Les critiques injustement imputées aux évènements de mai sont en fait les conséquences de la puissante réaction qui suivit, retour de bâton de la droite et de tous les conformismes.