Dimanche, jour de repos pour les uns, de rangement pour ma pomme ! Celle de Steve Jobs a rendu incompatible ma collection de CD-Roms, une vraie misère de ne plus pouvoir regarder toutes ces œuvres admirables que les systèmes actuels ont éjecté avec l'arrivée du XXIe siècle. Certains PC les lisent peut-être encore, enfin, certains PC, certains CD-Roms, rien ne marchant plus comme lors de leur création.
En montant tout dans les archives, j'ai vu passer Les machines à écrire d'Antoine Denize d'après Perec et Queneau (j'adorais son générateur aléatoire de langue de bois et sa version informatique de 100 000 milliards de poèmes nettement plus manipulable que l'original en papier découpé), Immemory de Chris Marker (un des rares CD-Roms qui rendaient intelligent), les petits Reactive Books de John Maeda (qu'on a tous copiés, puis achetés, pour finir par en faire cadeau à tous les amis) et toute la collection Digitalogue qui s'arrêta le jour où Monsieur Enami entra dans le comas, celle de Voyager stoppée faute du succès qu'auraient mérité Puppet Motel de Laurie Anderson (le modèle qui m'a donné envie de créer Carton) ou Maus d'Art Spiegelman (il suffisait de cliquer sur une image de la célèbre BD pour qu'apparaissent par couche les ébauches progressives, plus les entretiens audio avec son père et les reportages vidéo en Pologne), les provoquants Ambitious Bitch et Son of a Bitch de Marita Liulia, les délires colorés initiés par Peter Gabriel, l'Encyclopédie de l'Art Moderne et Contemporain, le travail graphique d'Etienne Mineur pour Freud, les innombrables CD-Roms sur la musique tels La musique électroacoustique d'Olivier Koechlin pour le G.R.M. (dont les applications me sauvèrent plus d'une fois ; Olivier m'apprend qu'il existe une version OS X), Les musicographies de Dominique Besson, Audiorom, PoPoRon, Small Fish, et puis les jeux pour les enfants (tous les Oncle Ernest d'Eric Viennot, Le Maître des Éléments, etc.).
J'en ai au moins deux cents qui sont partis dormir à la poussière, sans compter les miens (Carton et Machiavel que j'ai produits, Alphabet porté de justesse en OS X comme Domicile d'Ange Heureux avant que dadamedia ne disparaisse cavalièrement) et tous ceux dont j'ai composé la musique (mon premier, Au cirque avec Seurat, Sethi et la couronne d'Égypte, la collection des Bonhommes et les dames, Le grand jeu...) ou réalisé le design sonore (le DVD-Rom du Louvre, tous les Cahiers Passeport, la collection Fenêtre sur l'Art, etc., etc.).
Jamais la création interactive ne fut si inventive que sur le support du CD-Rom. Qu'adviendra-t-il de tous ces trésors ? Un petit malin fabriquera-t-il un émulateur d'OS9 avec réglages adaptés aux versions antérieures ? Un éditeur saura-t-il récupérer toutes ces œuvres en sommeil en les portant sur de nouvelles plate-formes ? Ou bien tout cela finira-t-il avec le reste de ce que nous fabriquons aujourd'hui, dans les poubelles de l'Histoire, faute d'être capable de préserver notre patrimoine ? Nous jouons la carte de la vitesse au détriment de la qualité. Dès qu'un marché est saturé, nous fabriquons de nouveaux appareils qui rendent caducs les précédents. Le parc doit se renouveler rapidement pour engrosser le Capital. Comme toute notre époque, nous disparaissons dans le trou noir que génère le profit, moteur stérilisant (de) nos vies.