70 mai 2008 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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samedi 31 mai 2008

Agnès Varda et ses 80 balais


Elle les a même eu hier soir, et c'est le fils de 16 ans du scénographe Christophe Vallaux qui a eu l'idée de demander aux amis d'Agnès de venir chacun chacune avec un balai pour en faire un bouquet d'anniversaire. La photo prise devant sa porte, sur le trottoir de la rue Daguerre, montre l'octogénaire du jour, toujours aussi pimpante, étreignant celui que Françoise a customisé en le bombant de rose fluo, d'orange sanguine et d'or. J'y ai noué un petit cadeau et Yolande Moreau a réussi à raccrocher le pompon fuschia qui s'était décollé du manche. Les deux nôtres détonent au milieu de la rutilance de l'ensemble. Les seuls à avoir servi, ils possèdent une histoire, atterrissant chez Agnès après de très nombreuses heures de vol. Au milieu de la foule des amis, j'en retrouve deux qui me touchent particulièrement.
La première est Luce Vigo qui me rappelle que je fus le premier à mettre en musique À propos de Nice, le film muet de son père, le cinéaste Jean Vigo. C'est aussi le premier ciné-concert que le Drame créa, c'était en 1976. Vingt-cinq autres chefs d'œuvre cinématographiques suivront, qui nous firent faire le tour du monde. Nous abandonnâmes lorsque le genre devint une mode, lassés peut-être aussi de rester trop longtemps dans la fosse d'orchestre ou derrière l'écran. La dernière fois que j'avais été en contact avec Luce, c'était pour l'annuaire des anciens élèves de l'Idhec qu'elle aura mis trois ans au lieu de trois mois à rassembler.
Le second est un autre vieux monsieur dont j'ai toujours aimé le travail. Un des tableaux de Jacques Monory illustrait la pochette de Carnage, le dernier 33 tours d'Un Drame Musical Instantané. Plus tard, l'Ekta "Technicolor" d'une toile détruite nous servit de carte postale. Enfin, nous composâmes la musique du film que la vidéaste Dominique Belloir réalisa sur ses toiles pour la Cité des Sciences et de l'Industrie et qui accompagne, je crois, encore le public qui fait la queue devant le Planétarium. Monory, un sourire toujours aussi charmeur, me parle de la vanité du monde qui ne cesse de croître, un monde stupide et terrible auquel il continue paradoxalement de s'accrocher. N'est-ce que de la curiosité ? Un jour où nous parlions de ses monochromes bleus, il me confia : "la nature m'écœure !". Je pensai bizarrement à Varèse dont le titre Déserts est souvent compris de travers.
Si, au détour d'un couloir, une pancarte clame "J'ai mal partout", en voilà trois qui n'ont pas de quoi se plaindre. La vie est belle, à condition de s'exprimer dans la résistance et le partage. Hier soir, Agnès rayonnait.

vendredi 30 mai 2008

Then she found me


Le réel est toujours plus surprenant que les conventions de la fiction. On le savait, mais cela fait du bien de le vérifier lorsqu'un film intelligent et sensible sort du lot des imbécillités que le cinéma commercial ou pas nous sert à tous bouts de champ. Rarement des portraits d'hommes auront été aussi convaincants et honnêtes, dans leur trouble ambigu, leur fragilité assumée. On parle de cinéma féministe lorsqu'il sait rendre aux femmes leur pouvoir, mais ici il est encore plus jouissif de voir des hommes aux prises avec leurs doutes et leur incapacité à gérer le quotidien comme savent et doivent le faire depuis toujours leurs compagnes. L'héroïne n'est pourtant pas mieux lotie, écartelée entre deux mères, la génitrice faisant son entrée quand disparaît l'adoptrice, entre deux hommes, l'un apparaissant lorsque l'autre s'en va, entre deux vies, condamnée à quitter un passé fantasmé pour un avenir incertain. Les personnages ne réfléchissent pas ce à quoi l'on s'attend, mais leurs choix sont autrement plus vrais que les scies rabâchées.
Nerveux et précis, fourmillant de rebondissements inattendus, d'ellipses astucieuses, Then she found me nous épate par la justesse de son propos. À force de répéter sans cesse les mêmes formules, le cinématographe nous a peu habitués à tant de lucidité. Si le film n'a rien d'un documentaire, il prend bien les conventions de la fiction à rebrousse-poil pour se rapprocher du réel, et le miracle vient de ce que l'on s'y reconnaît ou du moins que l'on comprend enfin comment ça marche, de la relation amoureuse, de la pulsion sexuelle ou du désir d'enfant d'une femme qui aura bientôt quarante ans.
User des ressorts du genre sans en conserver les réflexes risque de faire passer cette comédie dramatique produite, réalisée et interprétée par la comédienne Helen Hunt, remarquablement entourée par Bette Midler, Colin Firth et Matthew Broderick, au-dessus des têtes d'une presse engluée dans un machisme inconscient et incapable de se remettre en question. Paradoxalement, j'illustre mon billet avec une bande-annonce qui ne rend justement pas du tout compte de l'aspect différent du film. Détail amusant, on y aperçoit à la fin Salman Rushdie dans le rôle d'un gynécologue ! Et puis, tant pis, comme d'habitude je ne raconte rien pour ne pas vous gâcher le plaisir de la découverte, vous devrez me croire sur parole. Then she found me, dont le titre français est un mauvais jeu de mots, Mère sur prise, sortira le 2 juillet sur les écrans français.
Le titre n'est certainement pas simple à traduire : là où l'anglais sonne sec et nerveux avec ses mots monosyllabiques, le français, qui possède d'autres subtilités, est balourd. D'autant que la clef est dans le Then, le passage, l'enchaînement des plans et des séquences, le montage, la surprise.

jeudi 29 mai 2008

Le souvenir d'un avenir


Dans le même colis du Wexner Center, pour lequel la douane me réclama six euros, il y avait le livre que Chris Marker a récemment tiré de son film La jetée et le dvd du film qu'il a cosigné avec Yannick Bellon, Le souvenir d'un avenir (Remembrance of Things To Come), sur l'œuvre photographique de Denise Bellon, mère de la réalisatrice et de la comédienne Loleh Bellon. Le titre de ce nouveau film, tourné en 2001 pour Arte, rappelle le paradoxe temporel du célèbre court-métrage de Marker dont Terry Gilliam tira le remake holywoodien Twelve Monkeys (L'armée des douze singes). Le "ciné-roman" adapté de La jetée, originalement en vues fixes et voix off (Jean Négroni en était la voix française, mais qui donc est le narrateur de la version anglaise que Marker dit préférer, est-ce le réalisateur lui-même ?... Comparez !), est un enchantement qui donne une nouvelle dimension au chef d'œuvre de Chris Marker, tandis que l'on tourne doucement les pages avec le texte en légende. L'ouvrage, 270 pages, doit bientôt sortir en France, mais l'édition américaine comporte déjà les "sous-titres" anglais et français.
Qu'attend-on pour éditer en dvd l'intégrale des films de Marker ? Arte vient de publier Le fond de l'air et rouge accompagné d'un second dvd de bonus exceptionnels, on trouve ici et là Chats perchés, La jetée couplé avec Sans soleil, AK (sur Kurosawa), Une journée d'Andreï Arsenevitch (sur Tarkovsky), Le tombeau d'Alexandre (sur Medvedkine), mais quid de tout le reste ? Un site lui est consacré depuis peu.
Dans Le souvenir d'un avenir, le travail photographique de Denise Bellon est une vraie merveille et la réalisation évidemment fine et sensible, aussi magique que critique. C'est l'Histoire qui défile en images et en sons, partition sonore intelligente de Michel Krasna, de 1935 à 1955. À l'exposition surréaliste de 1937 succèdent la naissance de la Cinémathèque Française (célébre photo de la baignoire de Langlois remplie de bobines), le Front Populaire, les colonies, la guerre civile espagnole, l'Occupation, etc. La version présente est uniquement en anglais avec la voix d'Alexandra Stewart, mais l'intégrale de Yannick Bellon parue chez Doriane comprend le film original en français avec la voix de Pierre Arditi. Je ne l'ai pas entendu. Alexandra est parfaite. Et j'ai adoré le complément de programme du dvd américain, le film de Yannick Bellon sur et avec l'écrivaine Colette qui en a écrit le texte, court-métrage de 1950 figurant d'ailleurs également dans son intégrale.


Voici donc deux magnifiques portraits de femmes qui ont dû se battre pour imposer leurs vues et leurs noms.

mercredi 28 mai 2008

Erika & Emigrante


J'avais déjà rédigé mon article pour Muziq lorsque j'apprends que le disque n'est pas encore sorti et que ses auteurs cherchent un label. En attendant une future publication, je me dis que le blog permet de parler de choses qui n'existent pas encore, ce que la presse papier s'interdit. En espérant donc que mon enthousiasme aide Erika & Emigrante à trouver les moyens dont ils rêvent pour cette Tzigane Experience :

« Bandit ! Voyou ! Voleur ! Chenapan ! C'est la meute des honnêtes gens qui fait la chasse à l'enfant… » Les mots de Prévert me viennent à l’esprit tandis qu’aujourd’hui les sans papiers sont expulsés du territoire sous les plus odieux stratagèmes. Le groupe Emigrante porte bien son nom en hissant haut les couleurs de notre beau pays des droits de l’homme. Sans affadir la musique en une world déracinée, l’orchestre réunit le guitariste syro-égyptien natif de la Goutte d’or Sergio Leonardi, l’accordéoniste moldave Victor Koman, le violoniste roumain Georges Mihail Serioja, le bassiste camerounais DD Bell, le tabliste rajastanais Latif Ahmed Khan ainsi que les batteurs François Laizeau et Buj. Cette brochette de musiciens virtuoses entourent la chanteuse Erika Serre dont la palette vocale n’a d’égal que son sens dramatique. Tantôt mutine, tantôt grave, la jeune Tzigane rivalise d’invention, d’humour et d’une merveilleuse veine lyrique dans un répertoire original qui rappelle les chemins de traverse empruntés depuis des siècles par les nomades, ici adapté au temps et à l’époque. Originaire de Hongrie, Erika, qui a grandi aux côtés du groupe Ando Drom, nous emporte sur les chemins de l’exil avec un raggae enrubanné d’arabesques, le classique manouche « Johnny » de Les Paul et Francis Lemarque traité à la Vian, un reggae bollywoodien, la valse de rigueur, les Balkans et l’Andalousie, mélodies lentes, rythmes trépidants, le Sud… Ces musiques accrochent un public jeune qui apprécie la fête et la danse tout en se rapprochant doucement des autres blues et du jazz qu’il découvre en cherchant à comprendre leur engouement pour ces métissages captivants. Ils représentent tellement mieux notre culture hexagonale que le protectionnisme hypocrite des exploiteurs patentés à la botte des multinationales. Adopter Erika & Emigrante est un geste de résistance qui donne le sourire et l’envie de se remuer.

mardi 27 mai 2008

Pensées circonflexes


Hier matin, il faisait encore assez beau pour monter sur le toit et tuber le conduit de la cheminée. Il paraît que cela devrait réduire notre consommation de fuel dont le prix vient d'ailleurs de dépasser 1 euro le litre. Ça grimpe, ça grimpe. Voilà des années qu'on nous le dit, mais personne ne croyait vraiment à la pénurie, et personne ne croit non plus à ce qui se prépare comme à la réalité cynique, honteuse et mensongère qui a poussé les Américains à envahir l'Afghanistan et l'Irak, à faire ami ami avec l'Arabie Saoudite et maintenant à lorgner sur l'Iran ou le Vénézuela, sans compter les tentatives de déstabilisation de la Chine via le Tibet new age fantasmé par les Occidentaux en mal de gourou. Ne pas croire que les Russes ou les Français soient en reste sur le sujet... À y regarder de près, on risque de prendre le globe pour une toupie. Le pétrole grimpe et nous avec. Aux rideaux, citoyens ! Faites en des drapeaux de toutes les couleurs pour escalader les barricades... J'adore la vue du toit. Il n'y a rien de mieux que de changer d'angle, avec ses yeux ou à l'intérieur du crâne. La lecture de Žižek (Bienvenue dans le désert du réel) me porterait-elle sur le ciboulot ? Il a une façon formidable de retourner les évidences comme une chaussette. La philosophie et la psychanalyse seraient-elles la poésie mise à l'épreuve de la pratique ?
Comme on faisait des pointes sur les tuiles, on en a profité pour dégager le lierre mort qui avait colonisé la gouttière, mais, surtout, j'ai ramassé la vieille antenne télé en râteau dont la rouille avait sectionné le mât. Pas étonnant que la réception hertzienne se soit détériorée ! Crâne, antenne en râteau, mât, faut-il que les mots soient en haut pour porter des chapeaux circonflexes ? Je suis aussi descendu dans l'abîme recevoir la suie dans la figure lorsqu'apparut le tuyau en aluminium au-dessus de la chaudière. C'est justement pour l'éviter qu'on tube. Françoise passe et repasse le disque de Bernard. Du toit, on voit la cheminée de la voisine d'en bas qui n'a pas de chapeau, elle chauffe la pluie qui dégringole dedans, parce que depuis, ça tombe dru.
Le soir, nous avons démonté la porte arrière du garage. J'avais imaginé rentrer des voitures dans ce qu'est devenu le jardin. J'ai préféré les arbres aux automobiles. Certaines n'apprécient pas les platanes, d'autres si. Un érable est en train de prendre. Derrière la porte jaune, il y a de grandes fleurs de pavot orange et des fuchsias qui grimpent le long du mur du voisin. Tout grimpe, sauf les salaires. L'idée de Françoise est de remplacer cette porte pivotante (qu'elle a mise en vente sur eBay) par un mur et une porte vitrée qu'Hélène avait aperçue abandonnée sur un trottoir près de la Place des Fêtes. Du côté extérieur de la future cloison on pourra mettre le bois de chauffage à l'abri et à l'intérieur on construira des étagères pour accumuler encore plus de cochonneries. Les trier une fois de temps en temps, c'est aussi de la poésie. C'est dommage qu'elles encombrent le reste du temps. On ne fait de la place que pour pouvoir l'occuper. Ça me scie. J'aime les grands espaces. J'imagine le ciel à l'envers comme un océan de moutons noirs. Cette menace a du bon !

lundi 26 mai 2008

La photographie timbrée


Enfant, je collectionnais les timbres. À côté de ceux que je récoltais un par un de mon côté, j'avais récupéré la collection de mon père et les cartes postales de toute la famille, adressées à mes grands-parents, aussi bien Gaston Birgé mort en déportation que ma grand-mère Blanche disparue en 1920 ou les parents de ma mère que j'appelais Grand-papa et Grand-maman, mais aussi les miennes et celles de ma sœur Agnès, que nous les ayons expédiées ou reçues. Si j'eus la stupidité philatélique d'en décoller tous les timbres en les trempant dans l'eau ou les humidifiant de vapeur, je conservai dans un carton toutes les images et leurs versos rédigés. Ma collection de timbres est à vendre, même si je n'ai jamais eu le temps de m'en occuper, de peur de me faire arnaquer. Si j'y ai passé de nombreux jeudis et dimanches, je n'ai plus du tout envie de m'y replonger comme lorsque j'en apprenais le nom de tous les pays du monde et de leurs hommes célèbres, leurs coutumes, leur faune, leur flore, etc. J'ai continué à collectionner, cette fois de manière informelle, les cartes postales, en les empilant, comme un réservoir de l'imagination, une sorte de Google Images qui m'est propre et dans lequel je fouille lorsque je cherche une idée comme on feuillette un dictionnaire ou une encyclopédie...
À l'Hôtel de Sully, place des Vosges, le musée du Jeu de Paume présente jusqu'au 8 juin (miracle des prolongations) une passionnante exposition sur l'inventivité visuelle de la carte postale photographique au début du XXe siècle. Son titre est astucieusement choisi, car si les timbres y sont invisibles, puisqu'ils ornent la face cachée de la lune, les photos sont bien maboules, qu'elles soient fantaisies ou surréalistes. "Pour ces cartes de vœux ou de 1er avril, proverbes mis en images, scènes imaginaires, comiques, voire érotisantes, les photographes, rivalisant d'inventivité, ont recours à toute une panoplie d'effets techniques, montages, surimpressions, déformations optiques, gros plans, etc.
L'exposition présente plus de 500 cartes postales ainsi qu'une sélection d'œuvres de Man Ray, Erwin Blumenfeld, Giacomo Balla, Johannes Theodor Baargeld, Maurice Tabard, Herbert Bayer, El Lissitzky, André Kertesz, Alexandre Rodtchenko, El Lissitzky, Gustav Klutsis, Grete Stern, Hannah Höch, Sophie Taeuber-Arp, Paul Citroën, André Breton, Paul Eluard, Georges Hugnet, Joan Miro, Salvador Dali, Max Ernst, Robert Desnos, Marcel Duchamp, René Magritte, Pablo Picasso, Hans Arp, Oscar Dominguez, Dora Maar, Hans Bellmer, Meret Oppenheim, Roland Penrose, Yves Tanguy..., qui utilisèrent ces cartes postales comme matériaux ou comme modèles de leurs propres œuvres."
Le catalogue est superbe, il restitue bien ces petits formats.
Ce billet aura eu le mérite de me décider à relire les cartes que j'ai rangées dans la boîte, la dernière fois j'avais quinze ans. J'y plonge comme le jeune Jim Hawkins à bord de l'Hispaniola, espérant déterrer à mon tour quelque trésor. Je n'exhume que des mémoires évasives : à Mademoiselle Blanche Bouché en 1910 avant qu'elle n'épouse "Monsieur le Directeur", au Commandant Bloch, mon autre grand-père, de Madeleine, ma grand-mère que j'aimais tant, les voyages de mes parents, les miens loin de ma famille, en Angleterre, en Allemagne, en Autriche, aux USA, des mots insignifiants, parce que l'on ne se confiait que sous pli fermé. Les messages griffonnés sur les cartes postales rivalisent de banalité, sauf celles, précieuses, de notre adolescence où j'y lis des aventures dont je n'avais conservé aucun souvenir... Reste que les images sont parlantes.

dimanche 25 mai 2008

Surprise-Partie avec Bernard Vitet


Encore un miracle du temps qui passe ! Bernard nous avait bien raconté que son premier disque s'intitulait "Surprise-Partie D", un des premiers 33 tours vendus en supermarché (Monoprix), dans les années 50. Il avait été produit par Isaïe Diesenhaus, un type qui enregistrait du classique à la va-vite. Bernard Vitet, ayant eu beaucoup de mal pour se faire payer, avait dû user d'un stratagème plutôt rock'n roll. Pas du même style, la musique alterne mambos, boléros, calypsos, fox-trots et slow dans une optique jazz-latino. C'est donc sur eBay et CDandLP que je décroche la timbale, deux exemplaires du disque mythique sous des pochettes différentes (nette préférence pour celle signée J.Paciarz), ce qui montre à Bernard, qui n'en possédait aucun, que l'arnaque s'est répétée ! Il s'attendait aussi à ce que ce soit très ringard, mais le résultat est plus que digne dans son genre easy listening.
Bernard, qui avait alors dans les vingt et un ans, n'y joue pas de la trompette, mais du trombone à pistons, "un instrument pourri, complètement déchargé". Il est accompagné du Belge Sadi Lallemand au vibraphone, marimba et bongos (il avait dirigé l'orchestre de Jacques Hélian lorsque celui-ci était tombé gravement malade), de Bib Monville au sax ténor (beau-frère de James Moody avec qui Bernard jouait également), de Bob Aubert à la guitare, de Pierre Franzini au piano, probablement de Pierre Sim à la contrebasse, mais il ne se souvient plus du batteur, à moins que ce ne soit Baptiste "Mac Kak" Reilles (une sorte de prince des gitans complètement allumé qui ne s'entendait pourtant pas très bien avec Sadi). Ensuite, mon camarade joue essentiellement avec des vedettes de variétés, comme Yves Montand, Serge Gainsbourg, Barbara, Jean-Claude Pascal, Isabelle Aubret, Jacqueline Danno, Brigitte Bardot et avec des jazzmen comme Kansas Fields, Guy Lafitte, Jean-Claude Fohrenbach, Jacky Knudde, Bibi Rovère, Charles Saudrais, Léo Chauliac, Hubert Rostain, Alix Combelle, Ivan Julien, Christian Chevallier... Le free jazz est venu plus tard.
Le vinyle de la Guilde Européenne du Disque porte le numéro SP53. La face 1 présente Oye Mambo (mambo signé Trianda), Dansero (boléro d'Haymann), Crazy Rythm (mambo-guaracha de Meyer), Pielcanella (de Capo, annoncé sur le macaron, mais semble-t-il non enregsitré !?), Temptation (boléro de Brown), Starling Rye (calypso de S.Sid), Toi qui disais (fox de Suesse). Sur la face 2 se succèdent Le loup, la biche et le chevalier (calypso d'Henri Salvador), I got you under my skin (boléro de Cole Porter), Dimanche (fox de Bib Monville), Jokin' the blues (fox de Vitet) et Isabel Day (slow de Bob Aubert), mais cette fois encore il y a un titre de plus que le nombre de plages.
Au dos de la pochette jaune et orange, on peut lire les Conseils pour l'emploi des disques microsillon : "Les disques microsillon sont moulés en résine vinylique, donc pratiquement inusables. Ne les utilisez qu'avec un pick-up léger à saphir-microsillon. Vérifiez fréquemment l'état de votre saphir et changez-le toutes les 100 faces au plus. Pour conserver vos disques en bon état de propreté, essuyez-les avec soin dans le sens des sillons, à l'aide d'une chamoisine antistatique."
Pour ne pas rester trop ésotérique, voici en exclusivité sur la Toile Oyez Mambo :

samedi 24 mai 2008

Rassemblement


Jeudi noir pour les musées. Les grévistes étaient partis à la manif pour défendre leurs retraites. Lorsqu'on est jeune, cela semble bien loin. Du moins, ça le devrait. Je me souviens de Louis Daquin alors directeur des études à l'Idhec, l'Institut des Hautes Études Cinématographiques, que j'allais quitter après trois années extraordinaires, parmi les plus belles. Il me fit appeler dans son bureau. Je restais debout. Louis m'expliqua qu'il n'avait plus grand chose à me dire sauf une recommandation qui pourrait me paraître déplacée, absurde, mais qu'il m'exhortait à considérer avec sérieux. Il me conseilla fortement de faire ce qu'il n'avait pas fait, à savoir conserver toutes mes feuilles de salaire. Parce qu'un jour j'en aurai besoin. J'ai obéi. Pour le reste je n'en ai fait qu'à ma tête. Louis savait ce qu'il faisait comme ce que je ferai.
J'ai pris cette photo en fin d'après-midi. Que s'était-il passé au Centre Pompidou ? L'araignée de Louise Bourgeois surveille-t-elle le technicien de surface, le menace-t-elle sans qu'il soit conscient de sa réelle présence ? Les bords de mon iPhone ressemblent aux tubulures de Richard Rogers et Renzo Piano. J'ai réfléchi. Les immeubles semblent surmonter le Forum. C'est écrit. Si l'on se saisissait d'une loupe, on pourrait lire aussi "Figuration narrative". Mais le Grand Palais était trop loin ce jour-là. Un jour de grève.

vendredi 23 mai 2008

Blu fait bouger les murs


Muto est une "animation ambiguë" de 7 minutes 26 secondes, peinte sur les murs de Buenos Aires, accompagnée par une bande son grinçante du percussionniste italien Andrea Martignoni, co-fondateur de l'inventif Laboratorio di Musica e Immagine dans les années 90. Son auteur, qui a également grandi à Bologne, porte le pseudonyme de Blu.
Blu n'utilise pas de bombes ni d'échafaudages, il rallonge les manches de ses brosses, retrousse les siennes et il peint, il efface, il recommence, se transporte, et il prend le temps de bloguer ! Blu badigeonne ainsi les murs de Berlin, Londres, Sao Paulo, Bethlehem, Vérone, Milan, Bologne, au Mexique, au Guatemala, au Nicaragua, au Costa Rica... De plus, ses sujets n'ont rien d'innocent. Ils sont sévères, critiques, incisifs et réfléchis.
Son site est un carnet de croquis dont les onglets se nomment murs, dessins, nouvelles, liens, vidéos, boutique. Blu ne perd pas le nord. S'il sait garder le contact avec un public qui le regarde travailler, il apprend à négocier avec les galeries et les musées et il commet de fantastiques films d'animation dont le support sort du cadre habituel pour investir l'espace urbain, souvent en collaboration avec d'autres artistes de la rue.
Muto, réalisé seul avec une petite caméra DV, est son dernier né. Son trait noir sur fond blanchi contraste avec les couleurs outrées des graffiteurs et s'intègre astucieusement avec les murs de la ville pour faire ressortir la narration.
Merci à Sonia de me l'avoir signalé ;-)

jeudi 22 mai 2008

La prévention routière en jeux et chansons (bis)


Voilà, j'en avais parlé ici, c'est en ligne sur le site de la Prévention routière. Les trois chansons que Michèle a composées et les trois jeux d'écoute que j'ai imaginés pour que les mômes se tiennent à carreau à l'arrière de la voiture au moment des grands départs sont téléchargeables en mp3.
Michèle Buirette a écrit paroles et musique pour cette petite commande sympathique dont j'ai orchestré et enregistré les trois chansons. Elle s'est accompagnée de son nouvel accordéon et j'ai fait le zouave en imitant chat, chien, poupée, etc. Les thèmes étant imposés par la gravité du sujet de la commande, l'enjeu était que des enfants de 3 à 9 ans (et leurs parents) puissent réécouter les chansons sans s'en lasser trop rapidement. J'aime beaucoup le ton que Michèle donne à ses mélodies et le toupet des paroles prenant quelque distance avec l'aspect strictement pédagogique.
Pour les jeux, j'ai cherché à sortir du cadre autoroutier en occupant les gamins avec des jeux d'écoute dont les réponses ne sont pas données, donc pas fixées. Pour ne pas détonner avec le travail de Michèle, je leur ai donné la forme de chansons avec les règles du jeu en refrain, chantées ou scandées. Dans le premier jeu, "Reconnais les bruits", Michèle a interprété de manière originale, au piano et en chantant, le chronomètre. Pour le second, "Devine les paysages", j'ai laissé les ambiances assez longues, trente secondes environ, pour que l'on ait le temps de s'y plonger, mais j'ai fait très attention qu'il n'y ait aucun lien causal entre les différents paysages sonores pour que l'on comprenne bien les changements et que, passé la devinette, l'imagination puisse s'exercer librement en jouant des associations improbables. Il y a dix bruits dans le premier jeu, d'abord routiers puis animaliers, et dix ambiances stéréophoniques dans le second, laissant le temps à l'enfant d'en découvrir les détails à la réécoute. Leur ordre n'est d'ailleurs pas si innocent. Avec le troisième jeu, "Remplace les silences", les espaces muets suggèrent de les remplir avec un mot ou, plus amusant, un bruitage. Les clefs étant données avant ou après le mot/son recherché, les réponses cocasses sont aussi bien acceptées que le résultat logique des devinettes.
Dans les dizaines de jeux pour enfants que j'ai imaginés ou sonorisés pour des CD-Roms ou Internet, chaque fois que c'est possible j'essaye de briser l'effet de sanction "perdu / gagné" en privilégiant les réactions imaginatives aux "bonnes" réponses.

mercredi 21 mai 2008

Quelles mutations pour mes chroniques ?


Post-Scriptum d'introduction : la réaction est rapide. J'avais trouvé sur DailyMotion une copie piratée de mon film Idir et Johnny Clegg a capella réalisé en 1993 dans le cadre de la série Vis à Vis. Moins de 24 heures après que je l'ai signalée ici, "le contenu a été effacé, cette vidéo n'est plus disponible, car elle a été supprimée". Mon annonce lui aura été fatale. Est-ce à dire que le film sera reprogrammé sur une chaîne de télévision prochainement. C'est à espérer ! Soyez gentils de me faire signe si vous retrouvez sa trace... Lorsque les films sont invisibles, la circulation des œuvres me semble plus importante que leur protection. Dans l'autre cas, c'est du piratage imbécile.

Reprenons comme je pensais commencer... Hier donc, pour la première fois, je plaçais un Gif animé sur un billet après l'avoir récupéré sur un site de la Mairie de Paris. J'aimerais bien savoir en faire moi-même, pour casser l'unicité de l'image fixe présentée jour après jour et sans être obligé de coller un bout de film qu'en général je n'ai pas tourné. Étienne m'a montré comment placer les miens. Film, montage d'images fixes, son, c'est peut-être par là que je pourrais me renouveler.
Raymond me dit que je devrais refaire de la radio. Une chronique régulière ? Je pense à la télévision. Deux minutes en toute liberté, ou cinq, ou dix, ou plus. J'adorerais. Ayant déjà été producteur de créations fleuves à France Musique et d'émissions réalisées en direct à France Culture, les enjeux ne sont plus assez excitants. Mais je n'ai jamais fait de télé, sauf du temps de Patrice Barrat à la tête de Point du Jour, lorsque Jean-Pierre Mabille en était producteur exécutif, avec le Vis à Vis entre Idir et Clegg et bien évidemment la bouleversante série Chaque jour pour Sarajevo dont j'aimerais tant qu'elle soit entièrement éditée en dvd.
Je m'y étais senti si bien, à ma place retrouvée. Le cinéma est la clef de toutes les formes d'expression que j'utiliserai ensuite, musique incluse. À la télé, je pourrais faire jouer mon corps, ma voix, des invités, des images plein cadre, le son, le son, l'envers du décor, et improviser parce que rien ne vaudra jamais le direct, même s'il devient de plus en plus rare, de peur de débordements probablement. La censure s'exerce souvent par un léger délai entre l'émission et la diffusion, lorsque tout n'est pas simplement différé après remontage. Si c'est par souci créatif, pourquoi pas ? C'est à voir...
Radio France a toujours proposé des budgets de misère. Je replongeais tous les dix ans, mais c'était ensuite impossible de continuer dans ces conditions aussi misérables. Je ressors chaque fois le texte de Brecht sur la radio qui n'a hélas pas perdu une ride. La télé aurait l'avantage de présenter un nouvel enjeu, ce serait une manière d'appliquer tout ce que j'ai théorisé et imaginé, en particulier sur le son face aux images. Mais je ne vois pas bien quelle chaîne serait assez gonflée... On ne peut tout de même pas renoncer, abandonner la télévision au populisme démagogique, au pouvoir manipulateur et aux annonceurs. Plus il y a d'argent en jeu dans une production, plus c'est difficile d'y inventer, surtout librement, alors forcément, oui je rêve. Cela ne fait jamais de mal.
Je sais pourtant que c'est en rêvant à haute voix, que les choses les plus irréelles deviennent possibles. Ainsi, un jour, Francis, Bernard et moi évoquâmes le désir de composer pour un orchestre symphonique alors que nous n'avions essentiellement qu'improvisé collectivement. Nous avions tout de même déjà monté l'orchestre de quinze musiciens d'Un Drame Musical Instantané avec un certain succès. Je signalai donc ici et là notre souhait : au mieux on nous souriait aimablement. Au détour d'un couloir, Alain Durel qui était en fonction à Radio France me répondit :" Écris-moi deux lignes, deux lignes, pas plus !" Je pondai ces deux lignes de texte, deux lignes pas plus, et oubliai la chose au fond du tiroir des projets inaboutis. Six mois plus tard, Durel nous rendit visite accompagné d'Yves Prin alors responsable du Nouvel Orchestre Philharmonique de Radio France, et, en 1985, fut créé La Bourse et la vie que nous enregistrâmes sur le disque Carnage. Mais ça, c'est une autre histoire.

mardi 20 mai 2008

Est-ce Velib' en billevesée ?


Nous n'avions pas imaginé que le nouveau système de transport parisien allait nous faire tant marcher... Mais commençons par le commencement. Après avoir testé l'engin avec la carte bleue, nous avons décidé qu'il serait plus simple de prendre un abonnement à l'année. Il suffit donc de glisser sa carte Velib' ou son Pass Navigo sur la borne et le tour est joué ! Pour 29 euros, nous pouvons ainsi emprunter une bicyclette et la rendre moins de trente minutes plus tard sans que cela nous coûte un centime de plus. Si nous risquons de dépasser la demie heure, nous cliquons le vélo sur une borne et nous le reprenons illico, passé quelques secondes. Même si nous voyageons le plus souvent avec nos propres engins, il est pratique de faire des sauts de puces à Vélib' aussitôt que nous nous promenons à pieds. Il n'y a pas trop d'hésitation à avoir, surtout qu'un ticket de métro à l'unité revient à plus d'un euro, une somme franchement prohibitive. Le seul problème est la disponibilité des deux roues aussitôt que l'on habite sur les hauteurs.
Ce jour-là, Françoise avait décidé de descendre en empruntant un Vélib' à la Porte de Ménilmontant. Il en restait, mais l'un avait le pneu arrière à plat et l'autre avait une roue qui ressemblait à un anneau de Möbius. Malgré ses chaussures à petits talons, elle prit son courage à deux mains comme on se saisit d'un guidon de montagne et décida de filer jusqu'à la station suivante qui n'était pas mieux garnie. Les cyclistes les prennent en haut la matin, mais les laissent le plus souvent en bas. Les services d'entretien ne regarnissent pas suffisamment ces stations désertées et particulièrement celles qui sont bien excentrées. Par contre, dans le Centre il devient difficile de trouver une place libre pour parquer son engin. À la sixième station où elle fait chou blanc, Françoise décide de prendre l'autobus, mais elle a déjà marché de la Porte des Lilas jusqu'au Père Lachaise ! C'est une bonne idée, d'autant qu'il se met à tomber illico des hallebardes. Arrivée au terminus du 61, elle glisse enfin sa carte sur une borne où les véhicules sont alignés comme des petits soldats, mais l'indicateur persiste à rester rouge. Elle appelle donc sur son portable le service responsable qui lui apprend qu'elle a bien rendu son Vélib' de la veille, mais qu'elle ne l'a pas cliqué convenablement !? La nuance peut sembler absurde. Il est rendu ou il ne l'est pas. Précisons que le préposé lui demande le numéro de la borne du vélo en plus de l'adresse de la station, ainsi que le numéro de son abonnement qui n'a pas été reporté sur sa carte Navigo. Elle devra attendre 24 heures avant le droit de réutiliser le système ! Le reste du parcours se fera donc encore à pieds. On lui promet que, comme c'est la première fois, elle ne sera pas sanctionnée financièrement.
Moralité : abonnez-vous, c'est beaucoup plus simple, gardez votre numéro d'abonné avec vous, déménagez dans le fond de la vallée ou levez-vous très tôt le matin, ayez de bonnes chaussures de marche, vérifiez l'état d'un vélo avant de l'emprunter, attendez bien que le voyant repasse au vert lorsque vous le rendez, j'en oublie certainement que mes lecteurs sauront compléter. Pendant ce temps, le mien s'excite à tourner tout seul sur place. J'avais bien annoncé en titrant que ce n'était qu'une histoire de sornette de vélo !

lundi 19 mai 2008

Billet bio, écologie intime


Les alertes que Google m'envoie par mail ont le mérite de m'informer de ma présence sur le Net sans que j'en sois la plupart du temps prévenu par ailleurs.
Ainsi, hier matin, je tombe par hasard sur une conférence que j'ai donnée à l'occasion des petits déjeuners professionnels organisés par Charlet Denner au Master MMI de la Sorbonne, c'est  ! C'est joliment mis en forme avec une section "Jeux", des photographies et des extraits filmés de ma conférence, organisés thématiquement. Le cadre visuel et sonore est emprunté à La Pâte à Son. Cela fait toujours bizarre de se voir raconter sa vie, pas comme ici, sur le blog, d'une certaine manière "romancée" parce qu'on peut revenir sur les mots, composer, mais là-bas, saisi sur le vif, improvisant, avec le ton de la voix et les muscles du visage qui suggèrent toutes mes fragilités, les sous-entendus, les non-dits... Si j'ai toujours aimé donné des conseils, je pense que c'est d'abord à moi qu'ils s'adressent, je suis le premier élève de mes élucubrations... Est-ce à dire que je m'écoute parler ? C'est certainement un billet bio, un système graphique pour ne pas oublier, une écologie intime... Prenez-le comme un index, voilà tout. Se sont également succédés au Master Eric Viennot (Lexis Numérique), Sylvain Gire (Arte Radio), Bernard Brechet (Gédéon), aussi soigneusement présentés et instructifs...


Je découvre aussi une petite boucle sonore que j'avais réalisée pour Numer et qui accompagne toute la navigation du site d'Hyptique. Je me souviens que je l'avais pensée dynamiquement pour qu'elle se renouvelle sans cesse, évitant ainsi l'effet angoissant de la répétition pure et simple. Je reconnais les voix chuchotées d'Elsa, Louise, Olivier et Dominique... Tous les travaux auxquels j'ai participé depuis le CD-Rom Au cirque avec Seurat (1996) jusqu'à l'Histoire de l'Immigration en France et au Musée des Beaux-Arts d'Angers (2006) sont illustrées de plans fixes et accompagnés d'un court résumé intitulé "Enjeux". Dommage que les génériques soient absents. Ils auraient pu réfléchir l'incroyable pépinière de talents passés par Hyptique. Pendant dix ans, j'ai eu beaucoup de plaisir à œuvrer avec les équipes qui se sont succédées sous la houlette de Pierre Lavoie. 1997 est l'année du site du Drame et de mon premier CD-Rom d'auteur, Carton, avec Etienne Mineur comme directeur artistique et Antoine Schmitt à la programmation. En me proposant de prendre en charge la partie interactive de notre disque de chansons, Pierre n'imaginait pas l'impact que le disque allait avoir dans le monde du multimédia. 1998 marque les premiers Cahiers Passeport avec en prime l'Atelier de Noël, et la série Fenêtre sur l'Art. Ça continue l'année suivante, avec en plus Du côté des filles. 2000 est l'année du Grand Jeu qui aura été une sacrée partie de rigolade, surtout lorsqu'on repense à la bombe à retardement idéologique que recèlent les 100 000 exemplaires vendus ! Pascale Labbé, Jean Rochard, Bernard Vitet, Valéry Faidherbe, Pierre Wendling et moi-même y actons sous des pseudonymes. En 2001, je travaille avec Sonia Cruchon sur Monsieur Heureux et le monde à l'envers qui sera suivi par toute la série des Bonhommes et les Dames (Mr Men) (j'aime beaucoup la chanson du générique dont la version anglaise utilise le contrechant de la version française) ainsi que les Atout P'Ptit Clic. L'exposition L'argent en 2003, le Muséum National d'Histoire Naturelle, le Musée de Rodez, les derniers Passeport en 2004, le dvd-rom de Salto et Zélia en 2005 seront les dernières manifestations de cette collaboration fructueuse où j'aurai composé tant de musiques et d'interfaces sonores.
Les restrictions budgétaires ne permettent plus le travail de recherche, les rêves d'invention ont été abandonnés au profit d'enjeux strictement technologiques. L'art était déjà rare et difficile, c'est la culture qui se dilue à son tour. Aujourd'hui, les musées, comme les entreprises, veulent seulement être présents sur Internet, la qualité passe après, d'autres supports ont pris le relais, ou pas. J'en sais quelque chose, réduit ce matin aux signalements de mes activités extraweb, mais bien loin des créations interactives qui fleurissaient alors sur la Toile, tant dans les commandes qu'avec nos propres modules. Il reste peu de traces visibles de tous les CD-Roms fantastiques qui furent publiés pendant cette période, seul Internet laisse apercevoir la surface émergée de l'iceberg. Or la calotte glacière a fondu, entraînant dans l'oubli tout un pan de culture. On scrutera l'horizon dans l'espoir que ces œuvres viennent s'échouer un de ces jours sur nos plages... Allez savoir ! Il y a tant de contenu gravé sur ces disques de plastique qu'il suffirait de peu de chose pour les adapter aux nouveaux supports. Imaginons Alphabet sur la Wii, Carton et MrMen online !

dimanche 18 mai 2008

Demandez Action !


La Maison des Jeunes et de la Culture du XVIe arrondissement ressemblait à un baraquement le long de terrains de jeux entre la Porte de Saint Cloud et la Seine. Elle abritait de nombreuses activités et recevait souvent des conférenciers. C'est ainsi que j'ai découvert les projections lumineuses psychédéliques, la relaxation zen et des chanteurs d'horizons très divers. J'habitais alors Boulogne-Billancourt, tissu social constitué des enfants des ouvriers de Renault et des petits bourgeois de l'ouest parisien.
En mai 68, la M.J.C. accueillit le Comité d'Action du XVIe arrondissement, cela ne s'invente pas, où je me souviens avoir milité aux côtés de Rémi Kolpa Kopoul, un peu plus âgé que moi. En fin de journée, nous allions à la sortie du métro vendre un journal créé par les étudiants : "Action, demandez Action, le journal des Comités d'action !" Ma voix portait et nous repartions lorsque nous avions tout vendu. Abondamment illustré par exemple par Siné, Wolinski, Reiser, Topor, Action donnait la parole à ceux qui ne pouvaient s'exprimer dans la presse officielle.
En un sens, il fut pour moi le premier modèle de ce qu'allait devenir le Journal des Allumés (du Jazz) que Francis Marmande saluait la semaine dernière dans Le Monde comme "le seul journal offensif, pensé, de cette musique". Il y a un temps pour tout. Il faut savoir tourner la page. Plus tard, Siné créerait L'enragé dont j'ai conservé la collection complète et que nous interviewerons pour notre canard et Topor dessinera l'affiche de mon film sarajevien Le Sniper.
J'ai toujours rêvé pouvoir répondre au jour le jour comme lorsque je produisais Improvisation mode d'emploi sur France Culture tous les soirs en direct à 20 heures ou lors du Siège de Sarajevo quand nous envoyions tous les soirs à 19 heures un film de deux minutes que nous avions réalisé le matin et monté l'après-midi. Un journal papier coûte cher, a fortiori un programme de télévision. Le blog est une manière de perpétuer ce rêve en lui donnant corps. Sept jours sur sept depuis bientôt trois ans, je suis fidèle au poste. J'ignore combien de temps cela durera encore. De nouvelles opportunités auront peut-être raison de cette activité-là aussi. Allez savoir... Mais je suis conscient de l'importance qu'eut sur moi Action comme tout ce qui suivit. L'improvisation me permet de réagir sans délai à une sollicitation et j'imagine que je pourrais continuer en sons ou en images aussi bien qu'en paroles. Action est resté le mot d'ordre qui m'aura permis de croire à mes utopies en leur faisant franchir le seuil qui sépare l'impossible du réel.

samedi 17 mai 2008

Žižek défend Badiou devant le Tribunal du Peuple


Après le préambule accusateur d'un olibrius paranoïaque depuis le fond de la salle connue dans le passé comme Cinémathèque de la rue d'Ulm, le titre sarcastique de la conférence du philosophe slovène invité par Alain Badiou à l'E.N.S. justifie bien son nom par la navette qui se fera d'un discours de l'un sur l'autre : "Alain Badiou devant le Tribunal du peuple". Ce lieu historique sied également à Slavoj Žižek (prononcer Slavoï Jijek) qui étaie souvent ses propos avec des blockbusters du cinéma holywoodien... Le rouge est mis.
Tandis que le discours quasi universitaire du Français est fluide et s'appuie sur des rapports de cause à effet ou d'effet à cause, nécessité des contingences et contingence des nécessités, celui du Yougoslave a tout du méridional hystérique à la recherche du point de rupture. Žižek fait son cinéma, c'est-à-dire qu'il pratique l'ellipse, l'art du montage, en interrompant ses phrases pour sauter à pieds joints de marche en marche. Sa pensée va vite, mais elle emprunte les mots de tous les jours. Alors on galope derrière lui qui nous fait face.
Dans sa longue introduction, Badiou évoque leurs différences et leurs points de rencontre, de Richard Wagner aux philosophes du début du XXe siècle. Hegel est sur leurs lèvres. Badiou fait rouler les mots dans sa bouche. Žižek ne mâchera pas les siens. Mais tous deux fustigent modernité et post-modernité qui ne sont que répétition et restauration de vieux schèmes. À l'Algérie et Mai 68 de l'un répondent le stalinisme et le titisme de l'autre, voilà pour leurs sources biographiques... De l'importance de nommer ses ennemis, et d'en avoir... Que veulent ceux qui ne veulent ni la terreur ni la vertu ? La corruption ! Le courage est de n'avoir pas peur de ce que l'on redoute...
À son tour, Žižek réveille le communisme pour démasquer le capitalisme global à visage humain que l'on a coutume d'appeler socialisme. Annuler l'opposition radicale de l'ennemi ne marche pas. On ne peut pas négocier. L'époque n'a rien de post-idéologique, c'est une idée des démocrates qui sont allés jusqu'à légitimer la torture... Lacan disait que l'angoisse est le seul affect qui ne trompe pas. À la terreur et à l'angoisse, Badiou répond par le courage et la justice à laquelle Žižek substitue l'enthousiasme. Se moquant du Dalaï Lama qui spiritualise l'hédonisme forcément avec succès, il est capable de traits d'humour sur les sujets les plus graves comme l'antisémitisme sioniste dont la "S.H.I.T. list" rappelle les méthodes des Nazis. Sa plaidoirie zappe à tout bout de champ. Le 1 devient le 0 inscrit dans le multiple. Trop de pistes passionnantes. Je prends des notes décousues, parce que demain je me souviendrai d'autres bribes. Je n'aurai plus qu'à me plonger dans ses livres, que Françoise dévore depuis quelques jours.

vendredi 16 mai 2008

L'objet petit a d'antoine


60000 selon les syndicats, 18000 selon la police. Il y avait foule boulevard Beaumarchais à Paris pour le vernissage de la première exposition personnelle d'Antoine Schmitt, Objet petit a, à la Galerie Numeriscausa. Devant sa dernière œuvre présentée en vitrine, défilait dans le calme la manifestation des fonctionnaires contre le démantèlement du service public et les 22.900 suppressions de postes dans la fonction publique, magnifique contrechamp humain aux entités virtuelles et comportementales de l'artiste.
Dancing est la projection de deux pions sur un échiquier qui se meuvent de façon effrénée jusqu'à esquisser quelque pas de deux dont les codes complexes et rigoureux nous échappent. Quand et pourquoi un pion s'arrête-t-il sur une case blanche ? Comme toujours, les questions comptent plus que les réponses.


Ainsi, les phrases borgésiennes de Psychic, exposé en France pour la première fois ici, font preuve d'un humour que Kafka aurait savouré. La machine commente les entrées et sorties des visiteurs, leurs mouvements, avec autant de sobriété que de clinicité. Elle tape ses caractères, tac tac tac tac tac, sur le mur d'une pièce entièrement vide si ce n'est notre présence, sujet même de l'installation. Qui sommes-nous donc qui vaille que l'on nous regarde et quel est cet on impersonnel dont nous lisons les notes dans une expectative égale à notre désir d'agir ?


À côté des trois pièces de Still Living et d'une Vexation plus subtile qu'il n'y paraît au premier abord, le troisième point fort de cette petite rétrospective est l'historique Pixel blanc, ici merveilleusement à l'aise sur une surface grise qui lui confère le statut de tableau. Peut-on écrire "petite" lorsque toute cette énergie dépensée tient justement moins dans un minimalisme d'abord que d'un abîme d'après. Ou comment la quête de l'origine du mouvement trouve ses bases dans d'acides algorithmes de programmation jusqu'à provoquer le visiteur en lui laissant entrevoir, mais seulement entrevoir, ce qui, en fait, nous agit.

Objet petit a est présenté à la Galerie Numeriscausa jusqu'au 14 juin.

jeudi 15 mai 2008

Hors saison



Changement météorologique, pause tendresse en forme de flashback, Etienne m'a appris à mettre une vidéo sur mon blog, je retrouve une chanson écrite avec Bernard pour Elsa lorsqu'elle avait neuf ans. Nous avions déjà édité 'Cause I've Got Time Only For Love et Écris moi une chanson sur le CD à télécharger avec la revue Sextant, ainsi que Les étoiles filantes ici-même. Voici une petite maquette de La Glace réalisée en 1994. On peut la jouer en regardant l'image bouger. Il suffit d'appuyer sur les deux players plus ou moins simultanément, la vidéo muette là haut, la chanson en dessous, mais leurs durées ne sont pas équivalentes... Alors on peut aussi les jouer l'une après l'autre, ou autrement, je ne sais pas...



Au face à face
Une ombre dans la glace
Renvoie l’image muette
Du miroir aux alouettes

La vitre sale
Rend les visages pâles
Quand s’abîme un soleil
Éblouissant la veille

Le froid rompu
Quand la neige a fondu
Fait briller une lueur
Qui consume le cœur

Au face à face
Une ombre dans la glace
Renvoie l’image muette
Du miroir aux alouettes

mercredi 14 mai 2008

Il n'y a pas de petit Profit


Comment une série aussi réussie a-t-elle pu nous échapper ? 1996, à cette époque, le rejet global de tout ce qui pouvait sortir de l'infâme lucarne nous en interdisait simplement l'accès. Pour d'autres raisons, le public américain en fut privé dès le quatrième épisode : politiquement incorrect, sexuellement malsain, sur plus d'un aspect provoquant, Profit fut déprogrammé suite aux plaintes de téléspectateurs, bien que la première saison composée de huit épisodes ait été intégralement produite. La suite ne vit évidemment jamais le jour. La chaîne française Jimmy diffusa l'ensemble en 1997 en exclusivité mondiale et l'édition DVD ne sortira qu'en 2005.
Si Profit décrit impitoyablement le monde de l'entreprise et le capitalisme, il dévoile une vision psychanalytique de la famille qui ne pouvait que choquer l'Amérique, d'autant que ses auteurs, John McNamara et David Greenwalt, réussissent à nous ranger sans hésiter du côté de Jim Profit, criminel psychopathe manipulateur, contre le monde impitoyable des affaires incarnée par la multinationale Grocen & Grocen. Deux terribles histoires de famille se font face. La misère ou l'opulence n'évitent pas le sordide. Au crime de masse nous préférons la cynique revanche de l'enfant battu. Sans sourciller, nous vibrons en sympathie avec le héros négatif. Ce n'est pas "l'homme que nous aimerons haïr", c'est l'assassin que nous serons surpris d'aimer ! Chaque épisode est un coup monté, une énigme renversante de 45 minutes avec des acteurs dirigés de main de maître. La série, pourtant directement inspirée par Richard III, était trop en avance sur son temps pour remporter le succès mérité. Douze ans plus tard, même le recours aux nouvelles technologies tient parfaitement la route. Si elle sortait aujourd'hui, elle ferait un malheur. Corruption, conspiration, mensonge, trahison, jalousie, inceste, viol, assassinat, que pouvait-on rêver de pire pour décrire la société contemporaine sous ses attraits d'apparat ?

mardi 13 mai 2008

Je ne brille pas, je me traîne


J'ai choisi la photo du scooter customisé, prise à Bangkok, parmi ma petite réserve d'images pour les jours où je ne suis pas en verve. Elle représente tout le contraire de mon état. Je ne brille pas, je me traîne. Depuis samedi, j'accumule les symptômes sans qu'aucune maladie ne se déclare franchement. Les analyses en diront peut-être plus. Rien de brillant. Cela ne m'empêche pourtant pas de remuer. Ranger le studio, m'allonger, organiser le jardin, me reposer, j'alterne des phases d'activité où j'oublie mes petites douleurs avec des passages raplapla où je fais le vide tant bien que mal. SOS Médecins m'a coûté 68 euros, il paraît que c'est intégralement remboursé. Il y a une dizaine d'années, j'avais cédé à la pression de mes proches pour prendre une mutuelle. Celle de la Sacem rembourse plutôt bien. J'irai probablement mieux lorsqu'il refera moche.
Lundi 13 mai 1968, c'était ma deuxième grosse manif, mais tout cela est loin. Par contre, je ne peux oublier les suivantes, toutes les suivantes, parce que je faisais partie du "service d'ordre à mobylette". Il s'agissait de précéder le cortège en arrêtant les automobiles aux carrefours pour le laisser passer sans encombre. À une trentaine, on bloquait, les manifestants nous rejoignaient, on repartait au prochain feu. À cette époque il n'y avait pas de voitures de flics pour ouvrir et fermer la voie ! Il n'y avait déjà pas autant de bagnoles, mais dès la pénurie d'essence, on avait l'impression de faire une ballade en forêt. D'autres disaient la plage. Très vite, les feux tricolores ne signifièrent plus rien du tout. Avec ma Motobécane grise, je livrais aussi les affiches imprimées dans les ateliers des Beaux-Arts, je les apportais par exemple à l'ORTF, la Maison de la Radio et de la Télévision dont Godard avait filmé les couloirs pour Alphaville. On rencontrait du monde. La rue était à nous. La vie était à nous. Ce n'était qu'un début.

lundi 12 mai 2008

Joëlle Léandre a capella


Alité, j'ai lu le solo a capella de Joëlle Léandre d'une traite sans reprendre ma respiration, ni la sienne ! Pour ces entretiens intitulés À voix basse, Franck Médioni a gommé toutes ses questions pour laisser la contrebassiste seule en scène. Nous avions beau, avec Jean Rochard, avoir longuement interviewé la Walkyrie de l'improvisation pour le Journal des Allumés, l'intérêt demeure intact, même si Joëlle se répète souvent. Son flow de paroles légendaire s'en accommode très bien, donnant à sa voix une allure de performance cohérente, bien que le journaliste ait effacé les onomatopées originales dont la soliste ponctue régulièrement ses phrases. Le résultat reflète mieux son art de l'improvisation que celui de la composition. On apprendra en effet que Léandre interpréta avec la même conviction parmi les plus grands compositeurs du XXe siècle dont elle créa souvent les œuvres ou en fut la dédicataire. L'ouvrage, qui n'est pas le premier consacré à Joëlle Léandre puisque, à côté de nombreux interviews parus dans des magazines, ont été publiés sa Discographie aux éditions Bandecchi & Vivaldi et le cd d'entretiens Dire du Dire sur Rectangle, est habilement structuré par thèmes, Sons/Leçons, Influences/Confluences, Base/Basse, Improvisation/Composition, Nomade/Monade, Sillons/Microsillons, Poétique/Politique qui jouent tels les morceaux d'un disque.
Comme souvent, l'hagiographie de rigueur évite malgré tout d'aborder l'histoire intime qui, dans une biographie, difficile exercice du vivant des personnes concernées, en dirait long sur ses choix artistiques. La musique permet ces adroites transpositions de se mouiller sans trop en dire. Mes bémols sont infimes, si ce n'est un qui me chagrine : si Joëlle cite avec grâce les musiciennes et musiciens qui ont compté pour elle, elle regrette avec insistance l'absence de femmes dans le milieu du jazz et des musiques improvisées sans ne donner aucun nom de ses collègues françaises, a fortiori celles qui jouent du même instrument qu'elle. Camarade, encore un effort pour être véritablement féministe, les silences évoqués cachant des manières d'homme qui me rendent triste s'ils reproduisent les shémas Struggle for life du machisme le plus stérile. À part cela, la lecture de ce solo est vivement recommandée à quiconque s'intéresse à la musique, à l'improvisation, à la contrebasse, à la résistance des femmes et des prolétaires et à l'extraordinaire artiste qu'est Joëlle Léandre.

Post Scriptum en contrepoint amusant de ces quelques lignes : pour illustrer sa participation à l'album Opération Blow Up d'Un Drame Musical Instantané, Joëlle nous envoya la partition de 4'33 de John Cage, mais elle y griffonna tant de mots que l'on apercevait à peine les trois Tacet (se taire, en langage musical), unique consigne du compositeur américain. Be You ! On ne se refait pas... ;-)

dimanche 11 mai 2008

L'électro version adulte


Le Festival Électrolyses organisé aux Lilas par La Firme aura proposé une version adulte de la mouvance électro. Après une intro ratée à l'Espace Khiasma, le public de Lilas en Scène jubile devant le spectacle de l'écrivain Jacques Rebotier accompagné avec intelligence et doigtés par Paul Brousseau. Rebotier, en grande forme, improvise une performance sans fard où la lecture d'extraits de ses livres, ses pirouettes musicales humoristiques et ses commentaires en a parte alimentent un remarquable sens de l'instant. Il danse. Brousseau transforme la voix du poète en temps réel, il synthétise, analyse, électrolyse en jouant le clown blanc de ce duo plein d'esprit. L'échelle dans le champ me rappelle Discorama, l'historique émission de Denise Glaser filmée par Raoul Sangla, lorsque l'art croisait tendrement le réel à la télévision dans la plus grande franchise. Cela fait tant de bien d'en voir s'amuser sur scène, il n'y a pas de secret, c'est communicatif !


La soirée s'achève magiquement au Triton avec Pierre Bastien et Steve Argüelles. L'ancien contrebassiste devenu maître es Meccano et pocket-trompettiste a apporté de Rotterdam sa table musicale, une machine protéiforme rassemblant engrenages, souffleries, tourne-disques, clapets d'harmonium, cordes, etc. Le batteur, toujours aussi fin, s'engouffre dans ces ritournelles mécaniques aussitôt qu'il entrevoie une porte entrouverte. Avec ses fûts, ses cymbales et les boucles qu'il en tire et filtre, toujours en temps réel, il amplifie astucieusement l'orchestre de bric et de broc de Bastien qui soliloque à la trompette avec la même fragilité que son instrumentarium, tel l'enfant qui a grandi mais refuse de faire l'impasse sur ses rêves.


Je n'aurais jamais dû baisser ma garde. On me demandait comment j'allais, je répondais que samedi je serais peut-être en vacances. Me levant tôt, j'ai préparé ma déclaration d'impôts, rempli les feuillets de congés spectacles, et je suis tombé malade. Les douleurs m'assaillant de toutes parts, je me traînais comme si j'avais une grosse grippe, fatigue de chaque membre, le moindre mouvement difficile et l'impossibilité du sommeil comme si je ne me réveillerais plus jamais. Après le déjeuner, j'ai fait l'effort d'aller assister à la création chorégraphique de Magalie Albespy à Lilas en Scène. David Buff a truffé le corps de la danseuse de capteurs qui déclenchent les mots clefs du Jeet Kune Do tandis que Paul Brousseau l'accompagne, à la batterie cette fois, en trafiquant les voix de Bruce Lee et de son élève Dan Inosanto. La leçon est amusante, la performance épuisante, pour la combattante qui se bat contre des moulins à vent numériques. C'est le jeu.
Vingt minutes plus tard, je retrouve Jacques Rebotier, au soleil, pour évoquer les règles, ou mieux leur absence, de la véritable improvisation. En face d'un esprit vif doit répondre sa mise en pratique instantanée. L'enjeu est de réduire le temps qui sépare la conception de la réalisation. Sans une importante préparation les instruments électroniques ne sont pas les mieux adaptés à ce genre de sport artistique. A suivre.
Pour clore ce mini-festival, j'avais prévu d'aller écouter le quartet formé de Senso (Olivier Sens), Léna (Mathias Delplanque), Black Sifichi et Steve Argüelles, mais la fièvre me cloue au lit.

samedi 10 mai 2008

Ma seconde naissance


Peut-être était-ce quelques jours plus tôt et je fais un amalgame avec la journée qui précède "la nuit des barricades". J'essaye de me souvenir. C'était un vendredi. Le vendredi 10 mai. La foule des lycéens était attroupée devant la petite porte du lycée en face du stade et personne n'entrait. On se demandait si on allait suivre le mouvement qui depuis quelques temps animait Nanterre et le quartier latin. Nous ne savions pas vraiment quoi faire. À l'appel des CAL (Comités d'Action Lycéens), des mots d'ordre de grève avaient circulé, mais jamais on n'avait entendu parlé de grève d'élèves, ni des lèvres ni des dents (en fait les premières ont lieu dès décembre 67). Je me suis dévoué pour aller voir le proviseur pris dans la cohue et je lui ai posé la question qui nous turlupinait. Depain, un type plutôt pas mal dans la difficulté de sa fonction, m'a répondu "Mais qu'est-ce que vous voulez que je fasse !" en me montrant tout le lycée massé sur le trottoir. Ensuite, tout est allé très vite, j'ai dit "Portez-moi !" et j'ai crié au-dessus des têtes "Je viens de parler avec Monsieur le Proviseur, il n'y aura pas de sanction..."
Ma vie a basculé en quelques secondes. J'avais quinze ans, jusque là il aurait été hors de question que je franchisse le seuil de la maison sans cravate, même pour aller acheter le pain. Mes parents trouvaient étrange cette lubie. J'avais été un bon élève, le fils aîné d'une famille qui se prétendait "intellectuels de gauche". Mon engagement se cantonnait aux dissertations que ma mère avait souvent rédigées à ma place. Et puis tout à coup, je suis porté par la foule, ovationné, et je m'entends hurler "Tous à Lafontaine !". C'était le lycée de filles à côté de Claude Bernard. Nous marchons. Nous enfonçons les portes et nous grimpons quatre à quatre dans les étages, ouvrant les portes des salles où se donnent les cours. On ne peut pas dire que notre élan fut couronné de succès. Tout juste une dizaine de filles débrayèrent pour "grossir" notre défilé qui se dirigea d'abord sur Jean-Baptiste Say puis Jeanson de Sailly. Mon oncle Gilbert appela mon père pour le prévenir qu'il venait de me voir passer "à la tête d'une manifestation" rue de la Pompe où il décorait la vitrine d'une boutique. Nous avons marché et nous marcherons encore beaucoup et nous courrons, ah ça, nous avons couru pendant toutes ces années ! Je n'étais pas un lanceur de pavés, mais j'ai couru, couru jusqu'à la manif contre Nixon quelques années plus tard, seize kilomètres à bout de souffle avec les matraques qui s'abattaient sur les crânes de tous les côtés... En fin d'après-midi, nous avions rejoint les autres défilés à Denfert-Rochereau. Tandis que nous attendions, je suis entré dans un salon de coiffure et j'ai demandé s'il était possible que j'appelle mes parents pour les rassurer.
Le soir, ils ont dit qu'il était important qu'on se parle : "Sache que ta mère et moi, pendant les jours qui vont venir, nous allons être très inquiets, mais après tout ce que je t'ai raconté de ma jeunesse je me vois mal t'interdire d'aller manifester..." En 1934, mon père se battait à la canne contre les Camelots du Roi. Il s'était engagé dans les Brigades Internationales, mais n'était jamais parti à cause de ses rhumatismes articulaires aigus. La crise qui a précédé son départ lui a sauvé la vie, aucun de ses camarades n'est revenu d'Espagne. Plus tard, il entrera dans la Résistance, dénoncé il sera fait prisonnier, s'évadera du train qui l'emmenait vers les camps, etc. Mon activité "révolutionnaire" était beaucoup plus modeste...

N.B.: petites chronologies des évènements de mai par Arte ou le Codhos

vendredi 9 mai 2008

Mercedes


Sa progression sur les planches de la terrasse attire mon regard. Elle rapproche ses pattes arrière de ses pattes avant en dessinant un arc en Ω pour relancer ensuite sa tête vers où elle se dirige et ainsi de suite. Comme je m'approche pour filmer ce mouvement remarquable elle se fige. Je m'éloigne, elle repart. Je reviens, elle s'arrête. Je n'arriverai donc qu'à prendre une photo, réduit à effacer toutes mes tentatives cinématographiques. J'ignore son nom et ce qu'elle deviendra plus tard, mais je compte surveiller tout ce qui vole dans le jardin en espérant que j'arriverai à l'identifier après sa mue.
Je sortais du cinéma L'Olympic Entrepôt lorsque je croise Mercedes avec qui j'avais partagé une liaison de quelques semaines lorsque nous avions une vingtaine d'années. Je l'appelle par son prénom. Comme je sens son regard de myope qui se perd dans le mien, j'insiste, amusé : "tu ne me reconnais pas ?" Non, elle ne voit pas. Six ou sept ans s'étaient écoulés. J'avais coupé mes cheveux longs et rasé ma barbe. Nous avons entamé une nouvelle liaison et nous nous sommes quittés après le même délai de trois semaines pour les mêmes raisons que la première fois. Je ne l'ai plus jamais revue, du moins je le crois.

jeudi 8 mai 2008

Musique mécanique virtuelle


Francis m'envoie ce petit film d'une machine musicale telle que j'aime en inventer ou en consommer. Cet ensemble dont j'ignore le nom comme celui de son concepteur (je me demande s'il ne figurait pas dans un dvd que j'ai offert à Xavier Boissarie du temps où nous travaillions ensemble sur Le Bal) rappelle nos Forever de Time ou FluxTunes (lecielestbleu.org), le Tenori-on de Yamaha et tout le musée des instruments de musique mécanique. Les balles me font penser aux gouttes de notre Pâte à son, mais notre système est beaucoup plus iconoclaste puisque chaque goutte garde sa hauteur en se promenant dans le circuit et c'est l'instrument qu'elle rencontre qui lui donne son timbre. Dans un tout autre domaine, je me souviens du film de Fischli et Weiss, Der Lauf der Dinge et du Zwei-Mann-Orchester de Maurizio Kagel. J'ai l'impression que l'on pourrait rester des heures hypnotisé par les mouvements répétitifs. Ou comment se laver la tête à sec.
Les instruments de musique mécanique portent en eux une partie de mes rêves d'enfant : le Meccano en métal avec lequel je n'étais pourtant pas très doué, le train électrique qui circulait dans l'appartement mais que je devais démonter chaque soir après avoir passé la journée à l'installer, les machines qui ne servent à rien, construites avec tous les appareils cassés de la famille et que j'appellerai plus tard sculptures, objets de récupération réagencés jusqu'à constituer des œuvres enregistrées, la musique qui joue toute seule, muée seulement par mon imagination...

mercredi 7 mai 2008

L'horizon en pente


J'allais publier un petit film envoyé par Francis lorsque je croise Aymeric au concert de Bojan Z, Julien Lourau et Karim Ziad au Triton (encore ce soir) où Elsa m'a donné rendez-vous depuis qu'elle s'est entichée du solo du pianiste. Leur jazz balkanique très mélodique, à l'emporte-pièce, s'écoute agréablement, même si le trio joue un peu trop fort. Bojan tient une basse funky avec la main gauche sur le Fender Rhodes pendant que la droite fait jaillir du piano des papillons colorés aux réminiscences plus classiques. Au ténor, Lourau joue des clapets, des coups de langue et éructe grave ; au soprano, il trille et tire des traits. La batterie de Ziad tonne parfois comme un ensemble de bendirs avec ses rythmes gnawas. L'ensemble, plus français que tzigane, sonne plus droit que tordu, leur conférant un style France carrefour de l'Europe, d'autant qu'ils jouent sans papiers.
J'avais donc prévu autre chose pour ce matin lorsqu'Aymeric me demande si j'arrête la musique. Voilà ce que c'est que d'être lu au jour le jour en restant évasif sur ce que je quitte pour retrouver quoi. Un peu de patience. Le feuilleton a ses lois. Non, je continue de rêver en timbres et en couleurs. Je prends seulement mes distances des mondes qui ont du mal à s'ouvrir sur les autres lorsqu'il s'agit de leur fond de commerce. Les replis identitaires me font peur quand la myopie mène à l'aveuglement. Je les comprends. Lorsque l'on a eu tant de mal à creuser sa route, il n'est pas toujours facile d'envisager les bifurcations. Dans la solitude, les choix s'imposent ; le groupe freine la course s'il n'est pas suffisamment soudé. Je me suis senti trop isolé. Il vaut mieux alors retrouver la marche régulière du coureur de fond que de se laisser bousculer par le nombre et envoyer valdinguer par les flippers. J'entends le son de ces vieux appareils à sous dans les cafés d'antan. Je me fais des blues sur les bumpers en attendant de rencontrer un spinner qui me fasse décrocher le jackpot ! Ne faut-il pas parfois repartir en amont pour trouver son nouvel aval ? Personne n'est irremplaçable, des vocations se révèlent lorsque la vacance occupe le terrain. On ne peut faire de rencontres sans séparations. Je prends mon courage à deux mains et j'arpente l'horizon qui se profile sans en faire une montagne.

mardi 6 mai 2008

Plume


Côté jardin, un moineau est venu mourir sur le rebord de la fenêtre. La position des pattes reflète-t-elle un atterrissage périlleux ou la détente des membres après sa longue vie de passereau ? Il y a quelque chose qui coince. Une raideur. Pour peu que l'on s'y penche, le corps inanimé fait surgir la liberté passée, le ciel d'avant. Il n'y a pas d'après, rien d'autre que le souvenir de ceux qui continuent à voler. L'homme a besoin de temps pour apprivoiser la mort, l'égalité annoncée. Le sujet fait rarement plaisir. L'angoisse des jeunes est prématurée. Elle devrait, mûrie, se dissiper. Vivre ou mourir très vieux permettraient de l'apprécier. On verra bien. Ou pas.

Côté cour, ce week-end, j'ai relu Maus d'Art Spiegelman pour comprendre ce qui me rend si triste. L'histoire remonte à loin. D'orgueil, de naïveté, de résistance, de courage, de lâcheté, de bêtise, d'humanité et d'inhumanité... Les origines d'un monde. Racines arrachées et trimbalées, voyages salvateurs ou assassins, renaissances et trahisons. Puis la fin des haricots à vouloir les planter coûte que coûte. Non, non, non, la faim ne justifie pas les moyens. Tous ne sont pas bons. Il y a l'art et la manière. La culture de la lumière s'est perdue dans de nouvelles paranoïas. Il ne fait jamais de mal de se souvenir. Extraordinaire texte de Stéphane Hessel, 91 ans, ambassadeur de France, dans les pages Rebonds de Libération. De quoi l'accusera-t-on cette fois ?

Baisser de rideau. Cette nuit, l'absence de solidarité du milieu musical m'a tenu éveillé. J'ai décidé de prendre du recul. D'aller voir ailleurs si j'y suis. Savoir tirer sa révérence avant d'être submergé par l'amertume. Je préfère le sucre qui rend les enfants joyeux. L'acide qui ouvre sur d'autres mondes. Le sel, en terre ou en grain. À force de répétitions, la machine a fini par se gripper. Il a semblé facile d'en commander une toute neuve. Restera la manière de s'en servir. Je retrouve le sourire, à l'aide d'un chausse-pied certes. C'est un combat de chaque instant. À l'heure des urgences, je cherche un répit, mais j'entends les trois coups.

lundi 5 mai 2008

Avant, après


Voilà, le joli mai est enfin arrivé, précédé de commémorations quarantenaires à n'en plus finir. Cette précipitation marque-t-elle l'envie de s'en débarrasser ou au contraire que cela dure longtemps ? Plus longtemps certainement que n'avaient duré à l'époque les événements célébrés depuis des semaines à grand renfort de publications, publicité, récupérations, révision, réaction, réanimation, etc. Il y a autant de mai 68 que d'individus à l'avoir vécu, ou pas. Chacun le réfléchit sous l'angle unique de son expérience, étudiant à Paris ou en province, en grève dans son usine ou déjà réactionnaire, loin du tumulte ou en plein dedans, nostalgique ou révisionniste, fidèle à ses idées d'antan ou renégat réembourgeoisé, et différemment selon ses affinités politiques, ses origines sociales, sa profession ou son âge... Ce n'est pas tant le mois de mai qui nous marqua, mais les années qui suivirent. Jusque là, la jeunesse n'avait jamais manifesté qu'en faisant des monômes le jour des résultats du Baccalauréat en secouant un peu les automobilistes qui roulaient boulevard Saint-Germain. Les générations précédentes avaient connu la Résistance ou la guerre d'Algérie. Les parents ou les grands frères "engagés" avaient raconté leurs combats contre l'Occupation ou pour l'indépendance algérienne. C'est ainsi que les traditions se transmettent. Le pays vivait en blouse grise. Si le ciel allait se colorer de rouge et noir, il se parerait aussi de l'arc-en-ciel psychédélique...
Au Lycée Lafontaine, ma sœur avait son nom brodé sur sa blouse obligatoire. Bleu clair ou écrue, en changeant alternativement tous les quinze jours pour être certain qu'elle soit lavée, et vendue exclusivement au Bon Marché. Le pantalon était interdit dans les lycées de filles et la directrice elle-même vérifiait à l'entrée la distance du bas de la jupe jusqu'au sol avec un mètre de couturière ! Les petites anecdotes comme celles-ci en disent long sur l'époque. Ni les écoles ni les lycées n'étaient mixtes. La distance entre garçons et filles allaient d'un coup voler en éclats.

L'image est celle du livre-CD N'effacez pas nos traces ! de la chanteuse Dominique Grange dont j'allais bientôt fredonner les chansons (La pègre, Grève illimitée, Chacun de nous est concerné, À bas l'état policier) et qui ressort aujourd'hui dans une nouvelle interprétation abondamment illustrée par son compagnon, le dessinateur Jacques Tardi (96 pages inspirées). C'est dans la tradition des chansons engagées d'Hélène Martin, de Francesca Solleville (qui apparaît ici dans les chœurs, aux côtés du violoniste Régis Huby, du bandéoniste Olivier Manoury, entre autres), de Monique Morelli, Jean Ferrat, Colette Magny... Le 45 tours original était sérigraphié et coûtait 3 francs. Le petit bouquin carré, gentiment préfacé par Alain Badiou, est un cadeau sympa parmi la marée d'objets de consommation édités à l'occasion du quarantenaire. Chacun y va de son mai. Je ne me joindrai à la meute que le 10 mai prochain, journée qui alors marqua ma seconde naissance, mais je n'ai rien à vendre...
Sur un autre 45 tours, d'Evariste cette fois, toujours 3 francs, dont la pochette était signée Wolinski, publié par le C.R.A.C. (Comité Révolutionnaire d'Agitation Culturelle) et sur le quel figuraient La faute à Nanterre et La révolution, on peut lire : "Ce disque a été réalisé avec le concours des mouvements et groupuscules ayant participé à la révolution culturelle de mai 1968. Il est mis en vente au prix de 3F afin de démasquer à quel point les capitalistes se sucrent sur les disques commerciaux habituels" ainsi que "Ce disque est un pavé lancé dans la société de consommation".

dimanche 4 mai 2008

Promenade sur la Seine


Profitant de la venue de Rosette à Paris, hier samedi nous sommes allés nous balader en Batobus sur la Seine. Le soleil cognait. On se serait cru en plein été. Nous savions que ce moyen de locomotion existait, mais ne l'avions jamais emprunté.
Enfant, j'étais monté plusieurs fois sur les Vedettes Paris-Tour Eiffel et je voyais passer les Bateaux-Mouches dont le nom m'intriguait. Lorsqu'Elsa eut le Bac (à lauréat, et non celui qui traverse la rivière de Pont-L'abbé entre L'île Tudy et Loctudy), je cherchai un endroit sympa pour évoquer son avenir et l'invitai sur un bateau qui partait du Trocadéro. Sur le pont, je me souviens lui avoir demandé : "Tu as 18 ans. J'ai fait ce que je devais faire. Maintenant dis-moi ce que je peux faire ?" Elle répondit : "Papa, surtout rien du tout !" Et vogue la galère... Depuis, elle mène sa barque en maintenant son cap comme elle l'avait souhaité. J'ai toujours eu envie de descendre le canal depuis La Villette jusqu'au port de l'Arsenal en passant les écluses, mais c'est une excursion qui reste à faire...
Je savais donc que l'on pouvait traverser Paris par la voie fluviale, transport intéressant en cas d'embouteillage par exemple. Les Batobus coûtent cher à la journée, mais 12 euros (tarif maxi) est le prix de n'importe quelle attraction touristique. Par contre, le forfait à l'année est réduit à 55 euros, ce qui devient extrêmement attractif, à condition que les bateaux ne soient pas pris d'assaut et qu'il ne faille pas attendre d'en voir passer trois avant de pouvoir grimper à bord. La fréquence des quatre Batobus en service va de 20 à 30 minutes selon les saisons et il faut compter une heure et demie pour effectuer une boucle complète. On peut évidemment faire autant de haltes qu'on le souhaite avec le billet forfaitaire, mais la cohue des beaux jours en week-end rend l'aventure très dissuasive. Le forfait permet pourtant de monter et descendre autant de fois qu'on le désire entre le Jardin des Plantes et la Tour Eiffel. On s'arrête à Hôtel de Ville, Louvre, Champs Élysées sur la rive droite, et dans l'autre sens à Orsay, St Germain-des-Prés, Notre-Dame sur la rive gauche. En naviguant sur le fleuve à Bangkok, Françoise suggérait que ce serait bien d'avoir ce type de navette à Paris, pas chères, rapides et très pratiques. On en est encore loin. J'adore Paris, mais j'aimerais que Bangkok soit plus proche.

samedi 3 mai 2008

Question de culture


Mathilde me signale ce petit film sur les pousseurs patentés du métro de Tokyo qu'elle a découvert sur l'excellent blog de Marieaunet qui l'avait elle-même trouvé sur YouTube... Ainsi les pépites du Net, drames ou fantaisies, circulent, reproduits à l'infini, de blog en blog, de courriel en courriel, de site en site, etc., etc.
J'avais vu les pousseurs à l'œuvre pour avoir travaillé au Japon il y a dix ans. Il serait dangereux d'en tirer des conclusions hâtives même si ces coutumes ou ces usages peuvent nous choquer. L'Asie obéit à d'autres lois que les nôtres. La différence de cultures suivant les continents exige que nous soyons prudents sur la façon que nous avons de voir les choses. La vie n'a pas la même valeur d'un pays à un autre. Les coutumes féodales de l'Asie nous paraissent souvent absurdes. Elles le sont forcément à nos yeux d'Occidentaux pétris de culture judéo-chrétienne. J'évoque ce point de vue distancié suite à l'emportement que suscite par exemple la Chine. J'y reviendrai encore.
Autre exemple, je me souviens de mes a priori lorsque je suis allé travailler en Afrique du Sud avant (pour mon film avec Idir et Johnny Clegg) et après Mandela (pour une tournée de ciné-concerts lors du centenaire du cinématographe). La première fois, je pensais qu'il y avait les bons noirs avec l'A.N.C. et les vilains blancs de l'apartheid. Je fus bouleversé de constater la brutalité de l'empire zoulou et la protection de la nature par les Boers. Je schématise vite fait. On retrouvait évidemment plus d'Afrikaners dans les rangs de l'A.N.C. que d'Anglais, les premiers (d'origine hollandaise) s'impliquant réellement dans leur pays, qu'ils soient tortionnaires ou révolutionnaires, tandis que les seconds vivaient dans un monde clos représenté par l'Empire Britannique. Les colonialistes aussi diffèrent par leurs cultures. La seconde fois, je ne comprenais pas pourquoi les Africains ne se révoltaient pas contre ceux qui les avaient opprimés, inculte que j'étais au pardon de toute cette population qui avait été évangélisée.
À Tokyo, les usagers du métro font la queue en file indienne derrière un petit trait marqué au sol et la rame s'arrête impeccablement devant eux, face aux portes coulissantes. La discipline me terrifie. Je comprends mieux les ressemblances avec l'Allemagne. Francis, qui possède une double nationalité, disait que l'on se faisait engueuler par les passants lorsque nous traversions en dehors des clous, mais qu'en Suisse nous aurions été dénoncés à la police. En France, j'ai du mal à comprendre les resquilleurs qui doublent dans la queue. Je suis énervé par notre incivisme. Tout cela s'explique par nos antécédents culturels, les exemples auxquels nous assistons enfants, la manière dont nos parents et, plus important, l'école gravent dans nos cerveaux les usages culturels qui déterminent un peuple. Certains nient ces différences pour ne pas assumer un patrimoine aussi lourd à supporter qu'à s'en enorgueillir. Pour conclure, j'hésite entre deux célèbres classiques, la dernière réplique du film Certains l'aiment chaud de Billy Wilder, "Nobody's perfect !", ou celle de La chienne de Jean Renoir, "Faut de tout pour faire un monde !", qui ont le mérite de se compléter...

vendredi 2 mai 2008

Regarder Chris Marker dans les yeux


J'avais aperçu le livre, bien en vue, sur une table basse chez Agnès Varda. Publié aux U.S.A., je l'ai trouvé sur Amazon.fr pour moitié du prix Fnac. Staring Back rassemble des photographies noir et blanc prises par Chris Marker à partir de 1952. Pendant tout ce temps, l'arbre des grands boulevards n'a eu le temps de grandir que de quelques centimètres. Aux côtés de nombreux portraits regard caméra qui forment la colonne vertébrale du recueil, on trouve Charonne en 1962, la Marche sur le Pentagone de 1967, les événements du mois de mai 1968, les manifestations anti-CPE de 2006 et des photogrammes de ses films La jetée, Sans soleil, Cuba si et Chats perchés. Filmographie et bibliographie concluent l'ensemble. Le cinéaste comprend vite que sa caméra est une arme contre la police. Il cite Abbie Hoffman : " Nous étions jeunes, nous étions désespérés, arrogants, idiots, têtus, mais nous avions raison." Les légendes sont absentes. Marker donne beaucoup plus d'existence aux anonymes de partout qu'aux célébrités qui ont jalonné sa course, Maurice Thorez, Daniel Cohn-Bendit, Akira Kurosawa, Alexandra Stewart, Simone Signoret, Salvador Dali, Emil Zatopek, Alexander Medvedkine, Andrei Tarkovsky, Joris Ivens, Michel Legrand, Fidel Castro, Delphine Seyrig, William Klein, Catherine Belkhodja, Olivier Besancenot... Des visages tout autour de la Terre, des visages qui le dévisagent, des visages qui nous regardent droit dans les yeux, des visages qui sont les nôtres. Et puis des bêtes qui elles aussi nous renvoient à ce que nous sommes.
Pour que la scène soit complète, il faudrait entendre la bande-son de ses installations Silent Movie (vingt solos de pianos de Satie à Monpou) ou Staring Back (Bill Evans, Kurt Weill, John Cage, Bach, Moondog, William Walton en mode aléatoire), rééditer son inépuisable CD-Rom Immemory One et inviter sa dernière installation commandée par le Moma en 2005 et intitulée Owls at Noon Prelude : The Hollow Men. En attendant je feuillette les pages de Staring Back, je surveille les coups de griffes de son chat Guillaume-en-Egypte sur Poptronics et j'attends patiemment le facteur censé m'apporter le DVD du Fond de l'air est rouge aujourd'hui.

N.B. : liens vers le résumé wikipédiesque de Chris Marker et un blog qui lui est entièrement consacré. À près de 87 ans, il forme avec Agnès Varda et Jean-Luc Godard le trio le plus inventif et le plus vif du cinéma français, capables d'envisager tous les possibles et d'interroger l'époque comme personne, en intégrant les nouvelles technologies de manière aussi sensible que critique.
Jeunes gens, secouez-vous et prenez-en de la graine !
Installations et DVD pour Varda, installations et CD-Rom pour Marker, exposition et films pour Godard...

P.S. : sur le site du Wexner Center, j'ai trouvé le DVD Remembrance of Things To Come réalisé avec Yannick Bellon (Le souvenir d'un avenir) ainsi que les livres de La Jetée (ciné-roman) et Silent Movie...

P.P.S. : le facteur a sonné une seule fois. Le coffret Le fond de l'air est rouge contient également À bientôt j'espère réalisé avec Mari Marret en 1967, Puisqu'on vous dit que c'est possible sur les Lip en 1973 tandis que le précédent présentait la grève à Rhodiacéta, 2084 sur deux siècles de syndicalisme filmé en 1984, La sixième face du Pentagone réalisé avec François Reichenbach sur la marche sur Washington le 21 octobre 1967 et L'ambassade dont le titre original était film anonyme en super-8mm trouvé dans une ambassade. Dans le livret du DVD, Marker signe le texte Sixties en le postdatant facétieusement de mai 2008 !

jeudi 1 mai 2008

Collusion


Les deux premières questions posées par Andrew Meyer, étudiant de l'Université de Floride, au candidat perdant démocrate John Kerry m'intriguent depuis l'élection frauduleuse de George Bush Jr à la présidence du pays le plus puissant de la planète : "Pourquoi n'a-t-il pas exigé une annulation du vote alors que de nombreux cas de fraude tous favorables à Bush ont été révélés ? Pourquoi ne lance-t-il pas une procédure d'empeachment pour empêcher Bush d'attaquer l'Iran alors que cette procédure a été lancée contre Clinton pour une simple fellation ?" L'énigme sous-jacente est la position des Démocrates dans les élections américaines, abandonnant toute poursuite contre Bush alors que les comptes définitifs réalisés un mois après l'élection montraient que Kerry avait en effet réuni plus de voix que le Républicain. On sait que la chaîne Fox avait donné les résultats prématurément et que tous les autres télévisions lui avaient emboîté le pas. Ni les institutions ni les médias n'avaient eu le désir de se déjuger par la suite ! Aujourd'hui, le combat fratricide des Démocrates entre les candidats Barack Obama et Hilary Clinton laisse présager une victoire du Républicain McCain. Ce n'est pas que je sois dupe de la démocratie aux États Unis comme ailleurs, mais je me demande pourquoi les Démocrates font tout ce qu'ils peuvent pour ne pas accéder à la présidence...
Je vous laisse découvrir la suite de l'expérience d'Andrew Meyer sur la vidéo. La troisième question sera fatale à cet étudiant. Il est dommage que l'auteur du petit montage trouve le besoin de le noyer sous un sirop musical comme dans toute fiction d'outre-atlantique et d'ajouter une conclusion maladroite affaiblissant le sujet comme dans un film de Spielberg. Pour montrer que l'étudiant n'avait pas abusé de son temps de parole et remettre en situation son intervention, l'auteur renvoie à un second film tourné par un autre auditeur de la conférence de Kerry. Où que ce soit dans le monde, on peut toujours espérer qu'il y aura quelqu'un avec une caméra ou un téléphone portable pour filmer ce que le pouvoir aurait préféré taire.
Pour celles ou ceux qui douteraient de la véracité de ces images renversantes, vous pouvez consulter les News de la Fox et tous les détails de l'affaire sur Wikipedia. Quant à la société secrète Skull and Bones de l'Université de Yale, voyez simplement CBS News et la liste de ses membres depuis sa création en 1832 ! Pour les non-anglophones, Réseau Voltaire en donne tous les détails.


Arrêté et électrocuté au Taser le 17 septembre 2007 pour avoir posé une question de trop à John Kerry, Andrew Meyer a d'abord été poursuivi pour provocation à l'émeute et refus d'obtempérer, mais il s'est ensuite excusé pour pouvoir reprendre ses études...