J'avais aperçu le livre, bien en vue, sur une table basse chez Agnès Varda. Publié aux U.S.A., je l'ai trouvé sur Amazon.fr pour moitié du prix Fnac. Staring Back rassemble des photographies noir et blanc prises par Chris Marker à partir de 1952. Pendant tout ce temps, l'arbre des grands boulevards n'a eu le temps de grandir que de quelques centimètres. Aux côtés de nombreux portraits regard caméra qui forment la colonne vertébrale du recueil, on trouve Charonne en 1962, la Marche sur le Pentagone de 1967, les événements du mois de mai 1968, les manifestations anti-CPE de 2006 et des photogrammes de ses films La jetée, Sans soleil, Cuba si et Chats perchés. Filmographie et bibliographie concluent l'ensemble. Le cinéaste comprend vite que sa caméra est une arme contre la police. Il cite Abbie Hoffman : " Nous étions jeunes, nous étions désespérés, arrogants, idiots, têtus, mais nous avions raison." Les légendes sont absentes. Marker donne beaucoup plus d'existence aux anonymes de partout qu'aux célébrités qui ont jalonné sa course, Maurice Thorez, Daniel Cohn-Bendit, Akira Kurosawa, Alexandra Stewart, Simone Signoret, Salvador Dali, Emil Zatopek, Alexander Medvedkine, Andrei Tarkovsky, Joris Ivens, Michel Legrand, Fidel Castro, Delphine Seyrig, William Klein, Catherine Belkhodja, Olivier Besancenot... Des visages tout autour de la Terre, des visages qui le dévisagent, des visages qui nous regardent droit dans les yeux, des visages qui sont les nôtres. Et puis des bêtes qui elles aussi nous renvoient à ce que nous sommes.
Pour que la scène soit complète, il faudrait entendre la bande-son de ses installations Silent Movie (vingt solos de pianos de Satie à Monpou) ou Staring Back (Bill Evans, Kurt Weill, John Cage, Bach, Moondog, William Walton en mode aléatoire), rééditer son inépuisable CD-Rom Immemory One et inviter sa dernière installation commandée par le Moma en 2005 et intitulée Owls at Noon Prelude : The Hollow Men. En attendant je feuillette les pages de Staring Back, je surveille les coups de griffes de son chat Guillaume-en-Egypte sur Poptronics et j'attends patiemment le facteur censé m'apporter le DVD du Fond de l'air est rouge aujourd'hui.

N.B. : liens vers le résumé wikipédiesque de Chris Marker et un blog qui lui est entièrement consacré. À près de 87 ans, il forme avec Agnès Varda et Jean-Luc Godard le trio le plus inventif et le plus vif du cinéma français, capables d'envisager tous les possibles et d'interroger l'époque comme personne, en intégrant les nouvelles technologies de manière aussi sensible que critique.
Jeunes gens, secouez-vous et prenez-en de la graine !
Installations et DVD pour Varda, installations et CD-Rom pour Marker, exposition et films pour Godard...

P.S. : sur le site du Wexner Center, j'ai trouvé le DVD Remembrance of Things To Come réalisé avec Yannick Bellon (Le souvenir d'un avenir) ainsi que les livres de La Jetée (ciné-roman) et Silent Movie...

P.P.S. : le facteur a sonné une seule fois. Le coffret Le fond de l'air est rouge contient également À bientôt j'espère réalisé avec Mari Marret en 1967, Puisqu'on vous dit que c'est possible sur les Lip en 1973 tandis que le précédent présentait la grève à Rhodiacéta, 2084 sur deux siècles de syndicalisme filmé en 1984, La sixième face du Pentagone réalisé avec François Reichenbach sur la marche sur Washington le 21 octobre 1967 et L'ambassade dont le titre original était film anonyme en super-8mm trouvé dans une ambassade. Dans le livret du DVD, Marker signe le texte Sixties en le postdatant facétieusement de mai 2008 !