Alité, j'ai lu le solo a capella de Joëlle Léandre d'une traite sans reprendre ma respiration, ni la sienne ! Pour ces entretiens intitulés À voix basse, Franck Médioni a gommé toutes ses questions pour laisser la contrebassiste seule en scène. Nous avions beau, avec Jean Rochard, avoir longuement interviewé la Walkyrie de l'improvisation pour le Journal des Allumés, l'intérêt demeure intact, même si Joëlle se répète souvent. Son flow de paroles légendaire s'en accommode très bien, donnant à sa voix une allure de performance cohérente, bien que le journaliste ait effacé les onomatopées originales dont la soliste ponctue régulièrement ses phrases. Le résultat reflète mieux son art de l'improvisation que celui de la composition. On apprendra en effet que Léandre interpréta avec la même conviction parmi les plus grands compositeurs du XXe siècle dont elle créa souvent les œuvres ou en fut la dédicataire. L'ouvrage, qui n'est pas le premier consacré à Joëlle Léandre puisque, à côté de nombreux interviews parus dans des magazines, ont été publiés sa Discographie aux éditions Bandecchi & Vivaldi et le cd d'entretiens Dire du Dire sur Rectangle, est habilement structuré par thèmes, Sons/Leçons, Influences/Confluences, Base/Basse, Improvisation/Composition, Nomade/Monade, Sillons/Microsillons, Poétique/Politique qui jouent tels les morceaux d'un disque.
Comme souvent, l'hagiographie de rigueur évite malgré tout d'aborder l'histoire intime qui, dans une biographie, difficile exercice du vivant des personnes concernées, en dirait long sur ses choix artistiques. La musique permet ces adroites transpositions de se mouiller sans trop en dire. Mes bémols sont infimes, si ce n'est un qui me chagrine : si Joëlle cite avec grâce les musiciennes et musiciens qui ont compté pour elle, elle regrette avec insistance l'absence de femmes dans le milieu du jazz et des musiques improvisées sans ne donner aucun nom de ses collègues françaises, a fortiori celles qui jouent du même instrument qu'elle. Camarade, encore un effort pour être véritablement féministe, les silences évoqués cachant des manières d'homme qui me rendent triste s'ils reproduisent les shémas Struggle for life du machisme le plus stérile. À part cela, la lecture de ce solo est vivement recommandée à quiconque s'intéresse à la musique, à l'improvisation, à la contrebasse, à la résistance des femmes et des prolétaires et à l'extraordinaire artiste qu'est Joëlle Léandre.

Post Scriptum en contrepoint amusant de ces quelques lignes : pour illustrer sa participation à l'album Opération Blow Up d'Un Drame Musical Instantané, Joëlle nous envoya la partition de 4'33 de John Cage, mais elle y griffonna tant de mots que l'on apercevait à peine les trois Tacet (se taire, en langage musical), unique consigne du compositeur américain. Be You ! On ne se refait pas... ;-)