En 1970, toutes les copies japonaises de l'unique film de Yukio Mishima, Patriotisme, avaient été détruites à la demande de sa veuve Yuko. Le célèbre écrivain nationaliste s'était fait seppuku (traduit "hara-kiri" en argot) lors d'une tentative de coup d'état avec son armée privée, mise en scène de son suicide rituel. Un de ses disciples le décapita avant de s'éventrer au sabre à son tour. Le producteur du film ayant sauvé le négatif et la veuve ayant disparu il y a trois ans, Criterion publie un dvd (zone 1) avec en suppléments un long entretien radiophonique, une interview vidéo de Mishima sur la seconde guerre mondiale et la mort, le témoignage des survivants de l'équipe du tournage, le livret incluant la nouvelle originale et un texte sur le film rédigé par Mishima lui-même. Le film ressemble à une répétition de l'acte final, l'écrivain mettant en scène sa propre mort en y interprétant le rôle principal, inspiré par l'auto-érotisme du martyre de Saint-Sébastien. L'amour et la mort y sont liés avec une puissante intensité que l'histoire réelle souligne avec d'autant plus de crudité. En noir et blanc, muet avec des intertitres (le dvd propose une version japonaise et une version anglaise, la version française manquant, mais l'enregistrement usé de 1936 du Liebestod de Tristan et Iseult de Richard Wagner, ici redondante illustration musicale, fonctionne beaucoup moins bien qu'avec Un chien andalou de Buñuel), Patriotisme, toutes proportions gardées, rappelle Un chant d'amour de Jean Genet, sublime et unique film de l'écrivain français, par ses rituels homosexuels axés sur la beauté. On en ressort plus troublé qu'ébahi, l'autre référence qui me vient à l'esprit étant Les 120 journées de Sodome de Pier Paolo Pasolini, un troisième écrivain à passer au cinéma, tout aussi provoquant, avec la même franchise, la même cruauté, la même sublimation...
Dans la foulée, Criterion édite un second luxueux dvd (double cette fois, toujours zone 1) autour du film Mishima: A Life in Four Chapters, fiction kitsch de Paul Schrader s'inspirant de la vie de l'artiste et composé également d'extraits mis en scène de plusieurs de ses pièces. En plus du superbe livret, un documentaire de la BBC et nombreux entretiens et commentaires accompagnent le film produit par Coppola et Lucas (Zoetrope). Bien que la musique omniprésente de Philip Glass noie le film dans ses ors et rose bonbon, les racines de l'œuvre de Mishima sont clairement mises à nu, de l'autorité de sa grand-mère à l'amour immodéré pour sa mère, de sa culpabilité d'avoir échappé à une guerre qu'il ne supporte pas que son pays ait perdue à ses inclinations homosexuelles difficilement assumées, du code d'honneur du samouraï au culte du corps qu'il ne peut souffrir de voir se flétrir.


P.S. : Depuis que j'ai rédigé cet article, les éditions Montparnasse ont publié le film de Mishima, donc en Zone 2 (compatible avec les lecteurs en France), sous son titre japonais "Yûkoku", accompagné d'un formidable et sulfureux entretien audiovisuel inédit en français (!) de l'auteur par Jean-Claude Courdy, ainsi qu'un passionnant livret de 32 pages de Stéphane Giocanti et l'édition Folio/Gallimard du livre de Mishima, Patriotisme et autres nouvelles d'où est tiré le film.