Le journal Libération consacrait hier une page au design sonore dans les magasins de vêtements, comment les agences spécialisées choisissent les musiques "de fond" et leur volume sonore en fonction de l'âge du public et des horaires. À faire soi-même quelques achats vestimentaires, on notera le peu d'imagination des enseignes et des illustrateurs sonores qu'ils embauchent. Tout est dans la mode évidemment. On flatte les prétendus goûts du public comme on formate les programmes télé. Seules les boutiques élégantes se fendent de quelques excentricités, bon chic bon genre, quoi de plus naturel ? Bruits de saison, ambiances météorologiques, délicatesse des choix. Le "morceau choisi" met ici en valeur la qualité du chaland.
Je suis sidéré par l'agression sonore que représente la bande-son imposée dans les lieux publics. Un salon de thé nipponisant de la Porte d'Auteuil diffusait de la techno, on n'arrivait à peine à se parler. Les musiciens fuient généralement les restaurants où l'on passe de la musique. À la maison, je coupe systématiquement l'ampli lorsque nous passons à table. Dans les magasins de vêtements, le soi-disant "design sonore" est censé couvrir le bruit des ventilateurs et de la foule. Est-ce au prix de cette diarrhée bruyante qui colle la migraine aux plus aguerris ? L'analgésie requise produit des effets secondaires contradictoires. Mes oreilles me voilent les yeux, je fais demi-tour, ma main n'ira pas jusqu'à mon porte-feuilles. J'en perdrais le goût et l'odorat. Ce n'est pas le choix qui est encouragé, mais l'hypnose abrutissante qui vous fait passer dans le rouge de votre compte en banque en achetant n'importe quoi...
Pourtant, j'imagine tout ce qui pourrait être inventé pour rendre ces endroits plus agréables, que l'on ait réellement envie d'y passer du temps, d'y revenir même lorsque l'on aura grandi, sans se soucier des ciblages générationnels, des diktats de la mode dont la principale caractéristique est justement de passer aussi vite qu'elle est apparue. Le designer sonore pourra ainsi composer la bande-son en fonction de la marchandise, de l'image de la marque, du désir perdu, de la libido retrouvée, du rêve à fomenter, créant le mix à partir de tous les sons existants, gestes des acheteurs, impératifs locaux et matériels, apports étrangers, surprises délicates, ménageant la fatigue des vendeurs, aiguisant le goût des consommateurs, réintégrant le commerce dans l'univers urbain de manière intelligente et sensible.
On élargira ces propositions à l'espace public qui mérite encore plus qu'ailleurs que l'on s'y attelle pour que nos vies citadines retrouvent les sensations oubliées et découvrent des saveurs inédites. On peut éviter les images vulgaires des écrans en tournant le tête, mais pas la pollution sonore. Pour citer un exemple positif, j'ai jubilé en entendant l'annonce des stations dans le tramway de Strasbourg, réalisé par Rodolphe Burger, chacune étant exprimée par une voix différente avec son accent local. Si tout est organisé pour nous empêcher de réfléchir et acheter n'importe quoi, je crains de ne pas avoir gain de cause. Les consommateurs non plus ! Je déteste les magasins où l'on me force la main. Pourtant, le champ d'intervention est vaste, des boutiques aux parkings sous-terrains, des bistros aux jardins publics, tout reste à faire, et pas seulement pour vendre plus ou acheter mieux...