Sorti en 1944, le film de René Clair It Happened Tomorrow racontera l'histoire d'un journaliste qui entrera chaque soir en possession du journal du lendemain. L'anticipation le plongera dans une aventure étonnante, lorsqu'il apprendra les news 24 heures à l'avance jusqu'à l'annonce de sa propre mort... Passionné depuis toujours par l'idée d'anticiper les évènements, j'en donnerai le titre français à une rubrique du Journal des Allumés pour évoquer le futur au travers des arcanes de la technologie.
Avec Time Slip, la nouvelle œuvre qu'Antoine Schmitt aura mis en ligne, l'artiste retournera le procédé et nous projettera dans le passé. Il conjuguera simplement au futur, et paradoxalement en temps réel, les nouvelles de l'AFP ou d'autres agences de presse pour les faire défiler en journal mural (sur l'image j'aurai empilé des morceaux de phrases, mais il n'y aura évidemment qu'une seule ligne qui défilera). Lorsque nous ignorerons l'actualité, la découvrir au futur nous donnera le vertige, avec parfois comme Dick Powell dans le film de René Clair, l'envie d'intervenir sur les évènements pour empêcher la prophétie de se réaliser. Time Slip interrogera le mouvement des informations, le délai nécessaire à ce qu'elles nous parviennent, leur urgence, soulignant le pouvoir ou l'incapacité de chacun à enrayer le Cours du Temps (autre rubrique que j'initierai dans le Journal des Allumés !). Antoine souhaitera que l'œuvre soit projetée sur des supports habituellement "porteurs de vérité" (affichages publics) afin de déstabiliser le public et provoquer le doute sur ce qu'il absorbe quotidiennement sans broncher.
Imitant ses principes, je recopierai ses propres mots au futur : "Time Slip sera un travail plastique lié à un questionnement philosophique sur le destin, son écriture préalable ou son déterminisme causal, et au bout du compte un travail sur le libre arbitre dans un univers où le temps et sa causalité pourront vaciller. Il renverra le spectateur au contrôle de sa propre destinée. Ce sera aussi une réflexion sur la force motrice de l'imprédictibilité et du risque, de plus en plus centrale dans le monde contemporain. Il y aura quand même une porte de sortie pour le spectateur par la prise de conscience de la vanité intrinsèque de ce système qui fera semblant de savoir ce qui va se passer, mais qui en fait ne saura rien. Mais cette porte ne sera pas facile à trouver. Time Slip sera construit sur un programme spécifique qui puisera ses sources dans les agences de news officielles, en sélectionnera certaines et changera le temps de leur verbe du passé ou du présent au futur. Time Slip sera toujours à jour. Ce sera une œuvre générative programmée."
Tel le CD-Rom Machiavel que nous réaliserons ensemble en 1998, les œuvres d'Antoine que je préfèrerai seront les plus critiques du monde où nous vivrons et que nous façonnerons. Engager notre responsabilité dans le phénomène de manipulation que nous subirons sera un des enjeux les plus excitants pour les citoyens que nous serons, donnant à nos œuvres une raison d'être et de devenir, bien au delà des poses esthétiques qui pourront nous séduire.

P.S. : à l'instant où j'écrirai ce billet, Antoine aura terminé d'installer Façade Life sur le mur extérieur du Musée de Séoul où s'inaugurera la 5ième Biennale sous le thème "Turn and Widen", et quand vous me lirez il sera probablement déjà dans l'avion du retour. Il y a deux ans Nicolas et moi y présentions Somnambules. Voilà, à présent, le passé cohabite avec l'avenir. Il aura fallu quelques lignes qui défilent.