Lorsque j'étais enfant, l'école communale distribuait des Prix en fin d'année à tous les bons élèves. S'il en est un que je n'ai jamais eu et ne pourrais jamais obtenir, malgré tout l'amour du monde que j'aurais pu offrir, c'était celui de camaraderie pour lequel mes condisciples votaient "démocratiquement". Pour y avoir droit, j'avais déjà remarqué qu'il ne fallait pas trop se faire remarquer. Le premier ou le dernier de la classe n'avaient donc aucune chance de se le voir attribuer, trop jalousés par le reste des petits garçons, que ce soit à cause du succès scolaire de l'un ou du vent de liberté insouciante qui soufflait sur l'autre. Cela peut paraître invraisemblable, comme venu d'un autre âge, mais toute ma scolarité, de l'école maternelle à la terminale, s'est exercée sans aucune mixité. École de garçons, en blouse grise et porte-plume, et lycée de garçons, t'ar ta gueule à la récré ! À l'école Théodore Deck rue Saint Lambert, ils avaient tous des noms assez marrants, je me souviens de Brisebras, Condevaux, Greilsamer, Fructus, Tempez... Sur toutes les photos de classe que j'ai pieusement conservées, je constate un truc étrange, Paul était absent.
En 9ème (l'équivalent du CE2), isolés par nos résultats extrêmes, Paul et moi devinrent amis. Sa maman était concierge et son père d'origine antillaise le faisait assimiler à un "sale bougnoule". Issu d'une famille où la politique était l'une des principales préoccupations, je pris illico sa défense tant sur le plan social que racial. De son côté, Paul (photo ci-dessus), qui était haut comme trois pommes, était nettement plus costaud que moi et, ne tolérant aucune agression verbale ou physique à mon égard, assumait le rôle de garde du corps. Ensemble, nous avons rêver de chasse au trésor, d'histoires de détectives et nous sommes allés aux louveteaux, dépendant des Éclaireurs de France, organisation scout laïque, où nous avons appris des milliards de choses pendant trois ans et bien rigolé. C'était mon meilleur copain. Lorsque je suis entré au lycée, je l'ai perdu de vue. Paul s'était engagé pour cinq ans dans l'armée, il avait ensuite été gardien de prison, vigile, légionnaire, pompier, il avait changé de nom, l'avait retrouvé, et lorsque j'entends sa voix au téléphone je nous revois faisant voguer des bateaux en papier dans le caniveau de la rue de la Croix Nivert. Aujourd'hui il est gardien dans un grand ensemble en province. Je ne l'ai pas revu depuis des décennies, mais je sais que j'aurai encore de ses nouvelles lorsqu'arrivera le mois de nos anniversaires, cette année ou une autre...
Si je devais voter un jour pour le meilleur camarade, Paul est certainement celui qui le mériterait.