Nous voilà trois ! Sacha Gattino a rejoint notre équipe de Somnambules pour jouer en direct sur les images que Nicolas Clauss projette en les tripatouillant sur grand écran. Sacha a fait peu de scène, même s'il a l'habitude d'accompagner les défilés du couturier Issey Miyaké ou des pièces de théâtre comme bientôt Chocolat, conférence-performance de Gérard Noiriel mise en scène par Jean-Yves Pénafiel.
Designer sonore à d'autres heures, il échantillonne des milliers de sons qu'il commande depuis son clavier et son ordinateur lorsqu'il ne joue pas du tambour à cordes ou de petits jouets incongrus. Ses rythmes simples et souvent humoristiques allègent ma gravité naturelle. Là où je puise mon inspiration dans les œuvres symphoniques, Sacha caressent les instruments des cinq continents, sans exclure de les torturer comme le font les amoureux des bonzaïs. Son élégance du timbre rivalise avec une franchise postale rare parmi les musiciens voyageurs.
Je n'avais pas rencontré pareille complicité depuis Un Drame Musical Instantané. Sacha Gattino est un autre généraliste collectionneur de spécialités locales. Il fait partie de ceux qui savent qu'il vaut mieux apprendre à se connaître avant de s'agiter. Nous avons passé les deux premiers jours à parler, parler encore. Entre bavards, on sait aussi la nécessité d'écouter pour continuer à alimenter son discours. Le troisième jour a débuté dans les épiceries chinoises de Belleville pour rassembler les provisions de bouche de la semaine. La gastronomie, la soif de découverte, l'irrépressible curiosité constituent le moteur de notre démarche, mais la question primordiale est celle de notre destination.
Nous glissons sur les rêves éveillés de Nicolas : un bar de province pas assez glauque pour camoufler l'odeur du bois ciré, le souvenir de ceux qui se sont entretués sans se connaître pour enrichir une bande de profiteurs, la dépression montrée comme un effet de bord du capitalisme, une superproduction champêtre en scope couleurs révélant ses OGM, des enfants qui dessinent ce monde cruel, une place publique au milieu de nulle part, des poupées qui dégringolent du ciel... Les aspects sombres et dramatiques de notre travail commencent à rejaillir sur le sourire de Sacha qui ne se départit pas de sa bonne humeur. Du matin tôt à tard le soir, nous composons chaque pièce en expérimentant des alliages inédits sans perdre de vue l'aspect spectaculaire de notre association. J'attends calmement chaque nouvelle séance avec impatience. Nicolas nous rejoindra dimanche pour faire toute la lumière.