70 mars 2009 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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mardi 31 mars 2009

Ce n'est pas du chinois, mais pour moi c'est tout comme


Ouh la la, quelle catastrophe ! J'ai perdu la journée à m'escrimer sur un mode d'emploi qui s'efface au fur et à mesure qu'on le suit. J'ai eu beau invoquer forum, chat, camarades, lorsque la technique résiste elle nous fait devenir chèvre. Douze heures d'affilée j'ai retourné le problème dans tous les sens, j'ai recommencé, à l'endroit, à l'envers, j'ai secoué, soufflé, tordu, plié, je suis revenu à mon point de départ. En y laissant des plumes. Quand je vous disais que le mieux est l'ennemi du bien ! Évidemment c'était une question informatique, il n'y a rien de plus crispant et de plus contrariant qu'une machine qui ne fait aucun effort pour vous simplifier la tâche. J'aurais été mieux inspiré d'aller me promener, mais j'avais tellement envie que ça marche. Et bien non, ça me marche pas et j'ai l'impression d'avoir subi une lobotomie. Plus bon à rien que je suis. Autant aller s'écrouler devant des images qui bougent toutes seules, histoire d'oublier qu'on est bien peu de chose en face des 0 et des 1. Ni entier ni divisible. Une absence.

Nous avons opté pour L'âge des ténèbres de Denys Arcand, troisième volet de la trilogie commencée avec Le déclin de l'empire américain, suivi, vingt ans après, par Les invasions barbares. Le film est passé complètement inaperçu à sa sortie l'année dernière. Arcand imagine un futur proche dont chaque élément visionnaire et crépusculaire est tiré d'un fait divers récent. Comme toujours chez le réalisateur québecois, la direction d'acteurs est formidable. La satire teintée d'humour noir nous renvoie à la peur d'un monde formaté, déshumanisé, absurde, le nôtre.

lundi 30 mars 2009

Faire semblant


Je fais semblant de ne rien dire comme le lutin fait mine de sauter. En réalité je lui prends la main et nous pensons à autre chose...! Le week-end m'a trop accaparé dans ma recherche d'incunables. La moisson a dépassé mes espérances : Les quatre nuits d'un rêveur de Bresson et son premier court-métrage, une comédie intitulée Les affaires publiques, deux films retenus par sa veuve, cinq épisodes de France tour détour deux enfants de Godard que je n'ai pas vus depuis 1977, Une femme mariée dont je voulais montrer aux étudiants la séquence du café avec le son off, onze courts de Bruce Conner puisque A Movie est déjà un de mes films préférés, dix de Pascal Aubier que je découvre, Crime et châtiment de von Sternberg avec Peter Lorre, Safe de Todd Haynes dont Françoise m'a parlé, plusieurs longs de Vera Chytilova qui mériterait franchement qu'on lui rende justice (Les petites marguerites, c'est elle !), quatre Fuller dont Park Row et Dead Pigeon in Beethoven Street que je cherche depuis que je l'ai vu lorsque j'étais étudiant à l'Idhec, deux Denys Arcand... J'ai commandé aussi Prometheus' Garden de Bruce Bickford, l'animateur dément qui travailla avec Frank Zappa et un second DVD, Monster Road, consacré à son travail en animation d'argile le plus époustouflant que l'on puisse imaginer... Donc ça existe, souvent sans sous-titres pour les films étrangers, il suffit de chercher, parfois très longtemps, mais la course au trésor finit par porter ses fruits ! Il faudra encore avoir le temps de tout regarder et je reviens pour un petit compte rendu.

dimanche 29 mars 2009

Denis Robert dans une BD d'enfer


Voici enfin une bande dessinée avec un scénario d'enfer ! Cela me change du bel album Animal'z de Enki Bilal dont j'ai renoncé à comprendre les histoires décousues depuis longtemps. Denis Robert, le journaliste qui a révélé, entre autres, l'affaire Clearstream, signe celui de L'affaire des affaires avec le dessinateur Laurent Astier et Yan Lindingre pour le story-board. Ce roman autobiographique de 200 pages en images et phylactères nous en apprend plus que la lecture de votre quotidien préféré (soit le moins détestable) et raconte ce que vous ne verrez jamais à la télévision, le dessous des cartes, la saga de L'argent invisible, titre de ce premier volume d'une série dont on attendra la suite avec impatience. Depuis dix ans, Denis Robert s'escrime à démasquer les paradis fiscaux où se blanchit l'argent sale. La crise actuelle valide ses pires craintes. En faisant monter les affaires comme de la pâte à beignets, il révèle les bases mêmes du système capitaliste et nous entraîne dans une jungle en cols blancs qui fait froid dans le dos. Son engagement professionnel l'emporte sur sa mauvaise conscience de ne pas assez s'occuper de sa famille et sur sa fatigue devant la faune qui le harcèle de questions comme une bête de cirque. Le personnage qu'il incarne en vignettes ressemble à tous les détectives de roman noir, à la fois dépité et pitoyable, pugnace et héroïque, animé du masochisme de l'irrépressible besoin de savoir qu'il partagera avec ses lecteurs.
"Les hommes politiques, tous pays confondus, nous assomment avec la 'mondialisation' comme seule excuse à leur incapacité à proposer la moindre alternative au libéralisme... Les Etats sont affaiblis, l'Europe est bancale... Les capitaux circulent librement mais les juridictions restent cadenassées dans leurs frontières nationales... En ouvrant les frontières économiques sans changer les règles politiques, judiciaires, ni les missions des Etats, on a donné un formidable coup d'accélérateur à la dictature de l'argent-roi. (...) Les capitaux clandestins ont toujours existé, tout comme les mafias, ou les paradis fiscaux... Ce qui est nouveau, c'est leur explosion, la vitesse des échanges et la parfaite inadaptation des systèmes de contrôle... (...) John Maynard Ferguson a dit que le capitalisme était la croyance stupéfiante que les pires hommes allaient faire les pires choses pour le plus grand bien de l'humanité... Vous voulez que je répète ?"
Rien de personnel, et pourtant ! Denis Robert n'est qu'un homme. Il est vivant et bien vivant. Fragile et volontaire. L'enquête le bringuebale dans les arcanes du pouvoir qui lui en fera voir de toutes les couleurs, mais ça c'est une autre histoire, à suivre !

samedi 28 mars 2009

Ânonnements de la haine anonyme


Au risque de susciter de nouvelles insultes dans les jours prochains, je continue de m'interroger sur les gerbes anonymes qui fleurissent sur le Net comme une acné juvénile. J'ai pu le constater sur presque tous les blogs des amis qui ont, pour certains, dû fermer les commentaires, tant les incontinents volent au ras des pâquerettes. C'est de saison, me dis-je, soulagé depuis qu'ils s'effacent au fur et à mesure qu'ils s'inscrivent. Je ne perds pas grand chose, seul le phénomène de société faisant sens à mes yeux.
Pour comprendre de quoi il retourne, je n'ai d'autre solution que d'essayer de me glisser dans la peau des malades comme je le fis dans le passé avec les obsédés du téléphone. Dans les années 70, deux de mes amies, Brigitte et Marianne, furent en butte à des coups de téléphones répétés, souvent nocturnes, où leurs interlocuteurs restaient désespérément muets à l'autre bout du fil. Le répondeur automatique n'était pas encore développé. Je me proposai de les en débarrasser en décrochant à leur place. Le principe consistait à réfléchir ces personnes qui exprimaient leur impuissance par leur mutisme. Au lieu du ton inquiet auquel ils ou elles s'attendaient, j'alternais longs silences et confessions hésitantes en me mettant à leur place. Je monologuais dans un silence pesant dont j'avais à mon tour pris le contrôle jusqu'à ce qu'ils craquent, eux, et raccrochent de guerre lasse, confrontés au miroir de leur misère. "L'arroseur arrosé" est un thème récurrent qui m'a toujours beaucoup plu. En 1985, Un Drame Musical Instantané enregistra d'ailleurs une pièce où Bernard récite le texte que j'avais improvisé à l'origine in situ et qui met en ondes le principe de mon scénario, basique, mais efficace. Carnage, l'album vinyle dont il est issu, étant épuisé depuis vingt ans, voici donc 7'15" exhumées, numérisées, compressées et (forcément fadement) reproduites en mp3 :


Le téléphone muet avec Bernard Vitet (récitant, trompette), Jean-Jacques Birgé (synthétiseur PPG, piano, percussion), Francis Gorgé (direction, percussion), Jean Querlier (hautbois, cor anglais, flûte, sax soprano), Youenn Le Berre (flûte, flûte basse, basson), Michèle Buirette (accordéon, la victime), Geneviève Cabannes (contrebasse). À signaler que le logo en haut d'article est détourné de son but initial, même s'il n'est pas déplacé.

Les commentateurs haineux d'Internet ne seraient-ils que les enfants des obsédés du téléphone d'antan ? Si les propos obscènes des premiers remplacent le mutisme de leurs prédécesseurs, ils ont en commun l'anonymat et la vacuité, exprimant leur impuissance à travers une forme de violence, ne fut-elle que verbale. Devenu cette fois, à mon tour, la cible des attaques répétées, je suis bien mal placé pour y répondre. Je me suis aperçu que sur Internet, lors des échanges agressifs entre deux individus, seule une troisième personne pouvait mettre fin au duel stérile. Depuis que les commentaires haineux s'effacent automatiquement, il n'est évidemment plus possible d'y répondre, mais j'aurai mis un peu de temps avant de trouver une solution satisfaisante.

vendredi 27 mars 2009

Le bout du tunnel


Tous les jours je crois voir le bout du tunnel, mais il est interminable. Je me dépêche de me débarrasser des affaires courantes, des sujets en souffrance, des urgences administratives et des tâches ménagères, mais lorsque sonne 20 heures, je m'aperçois que je n'ai pas pris une seconde pour m'allonger et bouquiner seulement cinq minutes. Cela n'a rien d'une fatalité, c'est maladif. Heureusement, j'ai rendez-vous chez l'ostéo qui me garde une demi-heure sans que je puisse bouger, il y a le trajet du métro qui me permet de lire un peu, et le sommeil qui finit par me rattraper quand la nuit est déjà bien avancée. Il ne me reste plus que quelques jours de cet enfer où presque rien n'est stipulé sur le planning et je prends la poudre d'escampette pour une tournée de lapins. Prochaine escale Saint-Médard-en-Jalles, représentation suivie d'une installation d'une semaine. Aller et retour. Bordeaux-Paris-Mons en Belgique. Le Pass. Passeport passe-partout tour de passe-passe passez muscade Cadet Rousselle fait des discours Qui ne sont pas longs quand ils sont courts (Victor Hugo)...

jeudi 26 mars 2009

L'ONJ s'ébroue "around Robert Wyatt"


Le premier album du nouvel Orchestre National de Jazz, dirigé artistiquement par Daniel Yvinec, sortira le 23 avril chez Bee Jazz. Ce n'est pas un disque de jazz, même si ici ou là certains chorus s'y réfèrent. C'est un recueil de chansons de l'auteur-compositeur-interprète pop anglais Robert Wyatt, autour des morceaux qu'il interpréta comme Shipbuilding, Del Mondo ou Te Recuerdo Amanda, de ceux de ses amis Peter Blegvad et John Greaves, et des siens.
La musique est délicate, avec des accents parfois un peu "trad" et des couleurs inattendues que le polyinstrumentisme des dix musiciens génère avec simplicité. Pas d'éclat, mais une musique tendre, toute en demi-teintes, tons pastels, faisant ressortir la beauté des voix convoquées à cette fête. Les arrangements de Vincent Artaud ont l'immense mérite de ne pas essayer de copier les originaux. C'est certainement l'hommage le plus réussi avec l'album italien The Different You. Comme tous les autres invités, Robert Wyatt a enregistré son chant sur lequel l'orchestre a ensuite joué en direct. Dans un précédent article, j'appelai cette technique le playforward en opposition au playback ! Si Wyatt entonne toujours aussi merveilleusement The Song, Kew Rhone, Vandalusia et Te Recuerdo Amanda, Rokia Traoré, Yaël Naïm et Arno, Daniel Darc, Camille et, à ma grande surprise, la comédienne Irène Jacob, peut-être la plus proche vocalement de la fragilité du maître farfadet, s'approprient élégamment Alifib, Just As You Are, O Caroline, Shipbuilding, Alliance, Del Mondo. Un instrumental d'Ève Risser au piano préparé joue agréablement le rôle d'entr'acte.
Encore un peu retenu, l'orchestre recèle des possibilités énormes que l'on découvrira sur scène le 23 mai pour la première en public. On sait que la seconde création de l'ONJ, Broadway In Satin, a déçu à Banlieues Bleues, insuffisamment préparée. Il faut laisser un peu de temps à l'orchestre pour trouver ses marques, ce qu'il ne manquera pas de faire pour la troisième création de la saison, le film muet Carmen dont la musique d'accompagnement sera confiée aux musiciens de l'orchestre... C'est probablement à cet endroit que réside désormais l'enjeu. Dépassant le statut de pupitres inventifs, les dix jeunes musiciens sauront-ils se saisir de l'outil pour le faire exploser ? Vous le saurez dans le prochain épisode de cette série pleine de suspense...
En attendant, Around Robert Wyatt doit être un disque très secret, car, sans m'en rendre compte ou en oubliant tout le reste, je viens de relancer le disque sur la platine pour la septième fois de la journée... Très agréable !

mercredi 25 mars 2009

Flash back et remix


Votre solidarité m'encourage à me détendre. Je peux m'allonger lire, à en oublier d'écrire. Je me rejoue la scène de la plage de galets en bas de l'échelle. C'est plus haut que ça en a l'air. C'est surtout très grand avec une colonie de goélands seuls face à l'horizon. C'est loin. C'est déjà loin. Mais à seulement deux heures de Paris.
En réalité, Françoise me demande de regarder l'état du montage de Ciné-Romand. Igor et elle ont tout bouleversé. La version projetée au Centre Pompidou n'en montrait que les prémices. Elle a choisi d'autres plans, incorporé les spectateurs à la fiction, utilisé la distance critique des webcams en cherchant les correspondances entre les différents films.
Je profite aussi de ce jour chômé pour "lire" un copieux et passionnant billet sur Poptronics accompagné de séquences exclusives filmées par Chris Marker et intitulé C’est les luttes virales, groupons-nous et demain.... Annick Rivoire y recense les actions inventives des grévistes et résistants au sarkozisme destructeur. C'est bourré d'images et de liens précieux.

mardi 24 mars 2009

Répondre, ignorer ou effacer ?


Régulièrement, je suis obligé de faire le point sur les pratiques qu'inspirent un blog où s'avance l'auteur à visage découvert. J'ai déjà évoqué l'anonymat des commentaires, l'arrivée récente de la réaction inondant le Net de propos haineux inconsistants, la régulation qu'ils pourraient suggérer (je me suis jusqu'ici interdit de les censurer en amont comme le font de nombreux blogs et sites qui évitent ainsi à leurs lecteurs une pénible lecture ; exemple : " ce forum est modéré a priori : votre contribution n'apparaîtra qu'après avoir été validée par un administrateur du site "). Il y avait jusqu'ici une certaine éthique du Net qui permettait d'éviter ces complications techniques. D'autre part, si je suis responsable de ce que j'écris, je le suis légalement de ce que je laisse passer dans les commentaires.
J'hésite franchement entre répondre, ignorer ou effacer. Je ne recule jamais devant un débat sincère et argumenté, mais la plupart des idiots qui laissent des commentaires insipides et hargneux ignorent tout de la personne à qui ils s'adressent, ce ne sont que des insultes bêbêtes auxquelles il est pénible de répondre tant je ressens de la compassion pour la misère de leurs auteurs. Ces pauvres gens ne savent rien de mon travail ni de mes actions dans le monde réel. Je ne peux tout de même pas m'abaisser à leur faire la leçon en me justifiant par mon pédigrée. Comme il m'est difficile de laisser ces inepties sans réponse, j'ai décidé de les effacer puisque visiblement ces commentateurs ne font pas partie de mes lecteurs à qui je préfère éviter de perdre leur temps comme à moi-même. Cette solution ne m'enchante guère, mais mes articles me donnent suffisamment de travail pour que je ne me répande pas sur ces enfantillages. De plus, il est hors de question que ce blog devienne une tribune de plus pour les propos absurdes et la langue de bois que nous servent déjà tant de médias officiels, pas seulement à leur des désinformations, mais sans cesse, en flux permanent.
Une question me tarabuste néanmoins : comment ces personnes malintentionnées atterrissent-elles sur mon blog ? Quel mot tapent-elles sur leur moteur de recherche ? Sont-elles en quête de vilains gauchistes et leur masochisme va-t-il jusqu'à s'avaler ma prose ? Vous avez une idée ?

lundi 23 mars 2009

Jean-Jacques Birgé et Antoine Schmitt présentent Nabaz'mob lundi à 19h à Evry en ouverture de SIANA


Lundi à 19h, Nabaz'mob, l'opéra pour 100 lapins communicants
ouvre la SIANA (Semaine Internationale des Arts Numériques et Alternatifs)
qui se déroule 23 au 28 mars à Evry...
L'édition 2009 s'intitule "L'imaginaire des technologies numériques".

La divine comédie


Je ne me souviens plus comment je suis tombé sur ce DVD, peut-être bien sur le site d'Arte qui l'édite ? C'était la bande-annonce, c'est cela ! J'aime découvrir ce que je ne connais pas, alors j'ai pris le risque de commander le double-dvd. C'était d'autant plus risqué que les captations de pièces de théâtre ne passent pas toujours très bien sur un écran. Le tryptique Inferno Purgatorio Paradiso de Romeo Castellucci était l'un des clous du dernier festival d'Avignon, mais comme je ne suis pas un fou de théâtre j'étais passé à côté.
Inferno est impressionnant dans sa démesure, par l'utilisation de la machinerie de théâtre, qu'elle soit traditionnelle ou emprunte de nouvelles technologies, par la magie pyrotechnique qui rivalise avec les effets de foule, par la brutalité des images n'occultant pas la poésie dramatique de ce spectacle sans paroles. Le film offre des gros plans que seules des jumelles auraient permis, mais ce sont évidemment les larges plans d'ensemble qui reproduisent le mieux les tableaux vivants se succédant dans la Cour d'Honneur du Palais des Papes. Le découpage cinématographique de Don Kent permet de ne pas ressentir trop cruellement le temps théâtral qui crée le suspense qui lui est propre lorsque l'on vit les évènements en temps réel.
Parallèlement était présenté Purgatorio sur la scène de Chateaublanc, capté par Julien Jacquemin : une mère, un père et leur fils habitent un appartement au somptueux décor des années 70 où un drame terrible va se jouer devant nos yeux éberlués, dans un hors-champ sonore plus efficace que toutes les démonstrations illustratives. En plus du tulle à l'avant-scène où des textes s'écrivent sans déformation, comme des sous-titres de cinéma, leur conjugaison successive au futur, au présent et à l'imparfait produit des effets de distanciation temporels habituellement incompatibles avec le théâtre.
Au delà de la plasticité exceptionnelle de ses images, Castelluci met en scène des scènes critiques de notre société, avec une rare acuité et une sensibilité très personnelle. Il sublime les interrogations des hommes en les plaçant face à leurs contradictions. Dans le même mouvement il révèle la beauté du monde et l'horreur qu'il engendre, il nous enchante et nous dérange. Le travail sonore du compositeur Scott Gibbons, révélé par ses collaborations avec le Groupe F de Christophe Berthonneau, participe remarquablement à l'originalité de l'œuvre librement inspirée de Dante. Amplifiant le son des corps et les respirations des acteurs, jouant sur la synchronisation d'actions banales par des transpositions disproportionnées, mêlant ces éléments électro-acoustiques à des chœurs parfois trop mystiques à mon goût, il participe pleinement à la majestuosité de la scénographie. En manipulant les sons réels il les fait basculer dans "l'enfer du musicien".
L'installation que représente Paradiso, le troisième volet présenté dans l'église des Célestins, montre les limites du traitement métaphorique de Romeo Castellucci. S'éloignant des spectacles chorégraphiques qui nous émerveillent, il se rapproche ici des effets de surface d'un Warhol ou des boursoufflures d'un Matthew Barney. Mais la trilogie reste géniale puisqu'elle m'autorise une interprétation unique, loin des notes fumeuses et saint-sulpiciennes du livret qui m'irritent et ne me sont guère sympathiques. De même les compléments de programme, deux entretiens, l'un avec l'universitaire Piersandra di Matteo et l'autre avec le metteur en scène ne sont pas à la hauteur du spectacle reproduit ici pour notre plus grande stupeur.

Un matin de 1976, je décidai que je n'étais pas plus bête qu'un autre et partis voler un exemplaire de Dante dans l'édition de la Pléiade pour en faire cadeau à ma petite amie. Mon sentiment de culpabilité devait se lire sur les caméras de la Fnac Montparnasse. Quelle ne fut pas mon sentiment de soulagement lorsque les vigiles m'attrapèrent ! Une libération ! J'avais l'air pourtant si dépité que le responsable tenta de me remonter le moral, m'expliquant que je n'avais pas été si mauvais, mais que c'était alors le rayon le plus surveillé de tout le magasin. Il nota mal mon nom, tant et si bien qu'il retranscrit celui de mon père prénommé Jean (les spectateurs noteront la référence au second épisode d'Inferno), et me fit payer l'ouvrage que j'emportai, omettant les centimes, ce qui représentait tout de même une petite réduction sur le prix fort ! Ce fut ma première et dernière tentative de larcin. Une grande leçon.

dimanche 22 mars 2009

Y a pas de soucis !


Il y a peu, j'écoutais Vincent Lindon parler du film Welcome. Il rappelait que les sans-papiers est un terme choisi pour son effet repoussoir. Les sans-papiers sont des immigrants possédant les papiers de leur pays d'origine, mais ils ne sont pas en règle avec le service d'immigration français. En Afghanistan ou aux États-Unis d'Amérique, nous serions tous des sans-papiers, passé le délai de trois mois de notre visa touristique ! Ces étrangers n'ont donc pas le droit de travailler sur notre sol. S'ils le font, ce qui est évidemment indispensable pour pouvoir se loger et se nourrir, ils sont allègrement exploités, souvent par ceux-là même qui leur refusent leur régularisation pour mieux les museler. Ce n'est pas non plus une nouveauté, par exemple l'Arche de la Défense fut en partie bâtie par des "illégaux". Depuis toujours, la France représenta la terre d'accueil pour tous les exilés, cette diversité en constituant sa spécificité, ce que le gouvernement de notre saigneur et mètre soixante s'acharne à détruire. Ne parlons donc plus de sans-papiers, terme négatif et péjoratif qui camoufle celui de réfugié politique ou de rescapé de la misère. Il ne restera plus qu'à nous battre pour les aider à retrouver leur dignité, et par là même, la nôtre.
Dans la série "enfumage" et terme inapproprié, l'égalité des chances est un concept surprenant car les deux termes sont parfaitement antinomiques. Depuis quand une probabilité est-elle compatible avec une équivalence ? Là où la chance entre en jeu, l'égalité est tout sauf envisageable. Voyons-le sous un autre angle : l'égalité des chances, c'est par exemple le loto ; tout le monde a les mêmes chances de se faire plumer. Les gagnants se comptent sur les doigts de la main.

Je comparerais cette (in)égalité au bouclier fiscal qui permet à 14 000 contribuables d'en bénéficier. Ah les pauvres ! Gain moyen : 33 000 euros. Mais Didier Migaud, président de la commission des Finances de l’Assemblée nationale, de préciser que grâce à Nicolas Sarkozy, 834 contribuables les plus riches d'entre eux, détenant un patrimoine de plus de 15,5 millions d’euros, ont touché du fisc un chèque moyen de remboursement de 368 261 euros en 2008, soit « l’équivalent de 30 années de Smic » ! C'est seulement pour une année. Les riches trouvent qu'ils payent toujours trop, mais comprenez bien que les impôts en question sont prélevés sur les revenus et non sur les avoirs. Dans le système capitaliste, la richesse engendrant la richesse, le capital étant voué à l'expansion, on ne devient jamais riche, on en hérite... L'héritage est un des piliers de l'inégalité. Car le mirage est bien entretenu pour permettre aux plus pauvres de rêver qu'ils pourraient un jour avoir accès à l'opulence. Les histoires de princes et princesses ont toujours fait fantasmer les classes les plus défavorisées... La question des impôts est peut-être mal posée. Est-il normal que l'écart soit aussi faramineux entre les hauts et les bas salaires ? Si les salaires et les gains étaient plafonnés, l'impôt n'aurait pas besoin de l'être. On nous dit que les riches quitteraient le navire et préfèreraient aller vivre à l'étranger plutôt que cracher au bassinet. Bel esprit républicain que voilà ! Si certains aspirent à perdre leur nationalité, d'autres accepteraient volontiers d'en bénéficier. On devrait pouvoir s'arranger. Mais si tous les gars du monde, et toutes les filles, voulaient se donner la main et lever le poing avec l'autre, il n'y aurait plus aucun pays pour héberger les voleurs et les exploiteurs, plus aucun paradis fiscal, plus de secret bancaire ni de blanchiment d'argent... Revenons à nos moutons, le terme est bien choisi même si mon camarade Bernard déteste qu'on embrigade les animaux dans cette galère, et réfléchissons à celui de "bouclier" fiscal. Si certains pensent à façonner des boucliers, donnons leur du fil à retordre et confectionnons lances et pics. À force de tant d'arrogance certaines têtes pourraient bien les couronner...

La Liberté guidant le peuple d'Eugène Delacroix a été récupérée maintes fois, en particulier lorsqu'elle servit d'illustration au billet de 100 francs de 1978 à 1995. Mais quelle image plus juste face aux provocations d'une classe de nantis qui se croit intouchable ? Ce sentiment d'impunité a chaque fois coûté cher à ces profiteurs. Voilà pourquoi certains hommes politiques de la droite commencent à critiquer ces excès de zèle en matière d'arrogance. Jusqu'où acceptera-t-on la distribution des bénéfices aux actionnaires, des subventions aux banquiers, des indemnités aux responsables de faillites tandis que leurs entreprises licencient à tours de bras et que le gouvernement saccage des pans entiers de son économie comme les secteurs de l'enseignement, de la recherche, de la santé ou de la culture ? Les élus ont bien raison de se faire du souci.

samedi 21 mars 2009

Jack Diéval, Bernard Vitet, Art Taylor... à Belgrade


Après avoir dégoté sur eBay Surprise-Partie avec Bernard Vitet, son premier disque, j'ai trouvé la réédition en 33 tours 25 cm, remasterisation conforme à l'original, de l'enregistrement du quintet de Jack Diéval des 4 et 5 mars 1961 sur Jugoton. Le pianiste est accompagné par Bernard Vitet au bugle, François Jeanneau au ténor, Jacques Hess à la basse et Art Taylor à la batterie. Même si Cosmic Sounds, situé en Grande-Bretagne, a mis deux mois à me l'envoyer, je suis content de poser sur ma platine tourne-disques cet enregistrement dont m'a plusieurs fois parlé Bernard. Les notes de pochette ont été heureusement traduites en anglais, avec certes pas mal de petites erreurs, mais on apprend tout de même que Pennies from Heaven, Moonlight in Vermont et Gloria occupent la première face avec en invités le ténor Eduard Sadjil et le trompettiste Predrag Ivanovi?. Sur la seconde, Theme n°4, My Birthplace et Bon Voyage sont des compositions yougoslaves de ce "modern jazz". Ce disque constitue le volume II du tryptique Sastanak u Studiju (Meetings in Studio) enregistré par la RTB, la Radio Television de Belgrade en charge d'immortaliser les artistes nationaux, ici avec leurs invités français.
Bernard avait l'habitude de jouer avec Diéval pour sa célèbre émission de radio Jazz aux Champs-Elysées. Il jouait également très souvent avec Jeanneau, entre autres au Club Saint-Germain ; on peut les entendre ensemble chez Claude François (!), sur deux titres de la musique du film de Roger Vadim, ''La bride sur le cou'', avec Georges Arvanitas au piano (Jazz et cinéma vol.2, Universal) et évidemment Free Jazz (cd réédité par in situ) avec François Tusques, Michel Portal, Beb Guérin... Pour les concerts de Belgrade à l'origine du disque avec Diéval, Bernard était très flatté de jouer avec Art Taylor qui avait accompagné Miles Davis période Gil Evans, John Coltrane sur Giant Steps, Thelonious Monk, etc.

Pennies From Heaven (Johnston-Burke) - ordre des chorus :
Diéval (piano) - Sadjil (ténor) - Vitet (bugle) - Jeanneau (ténor) - Ivanovi? (trompette sourdine) - Sadjil/Jeanneau - Vitet/Ivanovi? - Sadjil/Taylor/Jeanneau/Taylor - Vitet/Ivanovi? - Ivanovi?

vendredi 20 mars 2009

L'image, le texte, le son


L'image...


Le texte...


Et le son : Ze Klaxon Kompany (RATP) est un orchestre de chalumeaux (shalmaïs), instruments souvent utilisés par les fanfares révolutionnaires de l'Allemagne des années 30. C'est un des plus gros dont joue Bernard sur la pochette de son disque Mehr Licht ! Ce bouquet de klaxons à pistons permet de passer au-dessus de la mêlée des slogans qui envahissent la rue.

jeudi 19 mars 2009

Le grand écart


La chevelure de Mélisande nous invite à gravir le petit écart qui nous sépare du précipice. Tout en bas la mer recopie cent fois le verbe aimer. Le vent peigne les herbes vertes et brillantes dans les deux sens. Cela dépend des jours. Imitant les petits oiseaux noirs qui y ont fait leur nid, nous nous prélassons sur cette couche moelleuse sans crainte de glisser.
Lorsque la nuit est tombée, nous y enfonçons les doigts, traversant la grotte pour rejoindre l'autre côté de l'arche, du côté de l'aiguille. La galerie de mineurs est déserte. Les galets roulent sous nos pieds. Je me trouve trop gros. Je vais faire un peu d'exercice cet après-midi avec tous les artistes conscients du besoin de changement. Nous avons rendez-vous devant le Cirque d'Hiver à 14h. Ensuite nous rejoindrons le gros de la manif. Je me fondrai dans la masse.

mercredi 18 mars 2009

Au creux de l'aiguille


Il faut savoir appeler un chat un chat. Nous avions abandonné le nôtre aux divans profonds. La falaise était déserte. Entre les mains du lutin gantées de bleu l'aluminium tournait au platine. Le petit être en avait prélevé un morceau pour dessiner des sourcils à ses vers obscurs tant le soleil tordait le métal de ses rayons d'abeilles. D'arrogants oiseaux cognaient de leurs becs le toit de l'espace. Nous les avons chassés avec des gobelets, nous les avons chassés avec soin. L'eau chaude sentait la réglisse, l'eau froide chantait "reviens", encore et encore. Les vagues auront bercé notre nuit depuis un balcon sur l'horizon. Presque tous les bons restaurants d'Étretat ferment le mardi et le mercredi. Nous voilà bien ! La Salamandre saura nous sauver...

mardi 17 mars 2009

Anticipation


J'anticipe de quelques heures, prenant le risque d'une panne, d'un météorite, d'une rencontre fortuite ou d'une reconduite à la frontière. Prenez-le comme un vœu. I know where I'm going! Il est des impatiences qui précipitent les évènements comme des rêves prémonitoires forcent le destin. Le journal lumineux d'Antoine, Time Slip (désormais accessible en français), tel le film de René Clair, C'est arrivé demain, me donne le vertige. Si j'arrive mieux à coincer le présent dans sa fugacité, je continue de préférer l'immensité du passé et plus encore l'avenir, aux infinis possibles, son architecture rêvant sa fondation. Les vecteurs ont pour moi plus d'attrait que les lignes. Certains partagent mes interrogations. Pour d'autres, nous y sommes déjà. Le temps de vivre et le temps de lire. Besoin vital de humer le parfum des embruns, d'entendre les galets rouler sous mes pas, de m'enivrer du vent du haut de la falaise... L'aiguille creuse fut d'abord publiée en feuilleton dans le journal Je sais tout. Mais nous faisons seulement semblant, nous espérons. Sinon nous ne partirions jamais.

lundi 16 mars 2009

Vide-grenier (1)


On ne peut pas tout garder. J'aimerais parfois faire le vide. Dans une cassette qui ferme à clef, double paroi lourde comme une haltère, j'ai rassemblé des pièces de monnaie de tous les continents depuis le XVIIe siècle jusqu'à nos jours passés. Sur le haut d'une armoire, j'ai empilé les albums de timbres que je collectionnais lorsque j'étais enfant, mais je n'ai pas le courage de me replonger dans le catalogue Yvert et Tellier pour ne pas me faire arnaquer. Connaissez-vous un philatéliste et un numismate à qui me fier pour une expertise ? J'ai récupéré chez ma mère des cartes postales éditées par Pulcinella en 1958 de dessinateurs humoristiques : Bellus, Busillet, Folon, Gad, Gielly, Gus, Hervé, Faizant, Kiraz, Moallic, Morez, Pouzet, Sempé, Tetsu. C'était Noël. Au classeur où elles sont exposées, au papier à lettres à en-tête des vielles dames de Faizant avec la liste des prix, je comprends que mon père était devenu représentant, après faillite suite à une grève de techniciens au Théâtre de l'Étoile pendant les représentations de l'opérette Nouvelle Orléans avec Sidney Bechet qu'il avait produite. Il mettra vingt-cinq ans à rembourser. Il y a quatre planches originales de Kiraz pour la revue Ici Paris et trois de Laplace. Je regarde ce que cela vaut sur eBay. Bien qu'en bon état, le Jeu de l'ORTF ne s'allume plus. Le journal Pilote s'étale du n°596 au 671 (1971-72). De la même époque, ma collection du magazine Zoom du 1 au 46 et un paquet de Photo. Qui peut bien s'intéresser à un tapuscrit de l'opérette Valets de cœur de Pascal Bastia ? Faites vos offres. On transmettra.
Il est nécessaire que je construise l'avenir au lieu d'entretenir le passé. Je dois me débarrasser de tous les livres que je ne relirai jamais. Idem pour les disques et les DVD plutôt que de construire de nouvelles étagères en recouvrant les murs restés vierges. Je suis bien obligé de conserver les archives du Drame et de mon travail. Garder seulement ce qui possède une réelle valeur affective ou bien une utilité encyclopédique. Je ne touche pas à Cocteau, Ramuz, Schnitzler, ni aux livres d'images, ni à la bibliothèque musicale qui est au rez-de-chaussée, ni à celle qui concerne le cinéma au premier. Jusqu'ici j'ai reculé devant le travail considérable que cela représente. Tout bazarder d'un coup serait idiot. On ne fait pas cela dans l'urgence à moins d'y être contraint. La roue tourne. Il faut oublier pour faire de la place aux idées neuves.

dimanche 15 mars 2009

L'axe z


Les abscisses et les ordonnées m'ont longtemps fait rêver, avant que je ne connaisse l'axe z de la 3D. Zoom ou travelling, c'est la distance du photographe à son modèle. Ne me cantonnant pas aux claviers, j'apprécie les instruments de musique qui me font faire des gestes amples dans l'espace, Theremin, AirFX, Beam, KaosPad, percussions, rhombes... Mais c'est l'angle et la distance au centre qui m'intéressent.
Ici l'à-plat d'Aperture a transformé Scotch en culbuto. Cela m'étonnerait qu'il accepte ce rôle très longtemps. Je l'épingle illico pour ne pas le perdre. Je fais une petite boule avec le papier du chocolat en aluminium. Ensuite il se débrouille tout seul pendant que je suis occupé à jouer avec des lettres.
Je ne classe aucune de mes photos, espérant que la chronologie suffira à me faire retrouver ce dont j'aurai besoin. Mes tirages papier sont dans un fouillis inextricable. La plupart des négatifs ont été séparés des tirages. Plus moyen de s'y retrouver. Ce sont les seuls séquelles absurdes d'une séparation douloureuse. Lorsque je veux illustrer un billet, je compte sur le hasard. Revoici le troisième axe ! Mais encore faut-il savoir l'orienter. Je courbe les abscisses, fléchis les ordonnées. Rien n'est droit. Tous les chemins serpentent. J'entends des oreilles siffler autour de moi. À quatre pattes je m'arrête pour trier quelques vieux papiers. Certains sont jaunis, effacés par le temps, d'autres brillent un peu trop, ils me font honte. On reconnaît encore bien les jeunes gens et les jeunes filles qui sortent du carton. Mais le temps, porté par une sorte de quatrième axe, réorganise les photons, tantôt avec tact, tantôt avec la plus grande brutalité. Je réfléchis à l'avenir de ces traces. Dois-je les disperser, les léguer, les figer dans leur légende ? L'accumulation révèle la distance parcourue. Les conditions atmosphériques ne peuvent fixer aucun instant privilégié. Raviver les souvenirs ? À la vue de certains, mon esprit s'embue.
Aujourd'hui, Scotch fera comme tout le monde. Il réécoutera Bashung et encore Bashung. Tout s'explique.

samedi 14 mars 2009

L'écriture de mon père


Mon père est mort il y a plus de vingt ans. J'ai très peu de souvenirs matériels venant de lui. Il avait tout perdu lui-même lorsque les Allemands ont raflé leurs biens pendant la guerre. Il me reste une boîte de soldats de plomb, c'est un comble, son Monopoly avec une balle de fusil en guise de pion, une bobine de fil magnétique, l'ancêtre de la bande magnétique, avec sa voix dessus peut-être... Même si tout n'est pas effacé je ne connais personne qui possède l'appareil pour vérifier. J'ai pris quelques photos, mais je n'ai acheté ma première caméra vidéo qu'un an avant qu'il ne disparaisse. Sur la cassette d'un vieux répondeur, j'ai conservé sa voix. Je crois que c'est tout.
Le reste est chez ma mère, pas grand chose, du moins je le crois et c'est ce qu'elle affirme. Juste avant que nous nous fâchions, elle m'a remis deux livres de compte du temps où il était agent littéraire. Elle allait les mettre à la poubelle. Ma mère n'aime pas les souvenirs. Elle est dans le déni du passé, ce qui n'arrange évidemment pas nos rapports. Je ne pense pas que ce soit Alzheimer, mais elle nie même avoir tenu les propos de la semaine dernière. Comme elle pense que le passé n'a aucun intérêt elle reproduit éternellement les mêmes schémas. Avec le temps, j'ai fini par comprendre ce qui lui appartenait et ce que je devais à mon père.
Dans le premier livre de compte sont glissés quelques documents émanant du Tribunal de Commerce de la Seine et adressés à l'Agence Birgé, 153 rue du Faubourg Saint-Honoré à Paris. Les pages font apparaître les sommes qui correspondent à de surprenants libellés tels Pourboire et surtout la liste des auteurs auxquels le deuxième livre de compte est consacré avec les dépenses occasionnées par chacun en particulier. J'y découvre le contrat des Éditions Julliard pour Le salaire de la peur de Georges Arnaud, suivent son adaptation cinématographique et les contrats avec les États-Unis, la Norvège, l'Allemagne, de nombreuses avances, toujours en espèces, et puis 2000 francs pour réparer une lettre de la machine à écrire... Le contrat est dénoncé le 1er septembre 1951.


Les pages concernant Michel Audiard se réfèrent essentiellement à des livres aux Éditions du Fleuve Noir et à des dialogues, Le passe-muraille, L'homme de ma vie, Elle et lui, La baie des anges, Les dents longues, Massacre en dentelles, Priez et méfiez-vous, Le Monde en images et C'est arrivé à Paris... Je tourne les pages en admirant son écriture, plus grand monde écrit ainsi. Pascal Bastia, Francis Carco pour Jésus la Caille... Quel âge avais-je, deux ans peut-être, lorsque j'ai accompagné mon père chez le poète qui habitait quai de Béthune et possédait un perroquet ? Je me souviens de son appartement le long de la Seine... D'autres auteurs du Fleuve Noir : Jacques Chivot, M & G Dabat et puis mon père lance Frédéric Dard qui ne s'appelait pas encore San Antonio et dont le premier livre est dédié "à Jean Birgé". Le premier contrat date du 15 mai 1950, les écritures courent jusqu'en 1956. Je suis étonné chaque fois par les versements en espèces, de toutes petites sommes et la somme des avances ! Il semble que mon père ait même tapé certains romans, les photocopieuses n'existaient pas, il suffisait que l'on ait oublié le carbone ou que tout simplement on ait besoin de déposer un exemplaire d'un manuscrit, il fallait tout retaper ! Des corrections également... Broute-nuages, Du plomb pour ces demoiselles, Laissez tomber la fille, Tartempion, encore Jésus la Caille, Mes hommages à la donzelle, Les gaulois, Sérénade pour une souris, La farce et l'ange, Bel Ami, J'ai bien l'honneur, Le cave, Un dimanche à tuer... Je continue à tourner les pages : André Gossiaux, Jacques Lombard, Michel Marly, Evelyne Mas... J'espère qu'un de ces jours ma mère tombera sur le reste de ses archives. Des lettres ? Je sais qu'il y a une reconnaissance de dettes de Jules Berry quelque part dans une armoire, ce qui ne doit pas être très original ! De Sidney Bechet, j'ai pu rassembler quelques photos, c'est tout pour l'instant.
Né en 1917, comme beaucoup d'enfants de son âge mon père avait appris à écrire avec des pleins et des déliés. Ces études d'allemand lui avaient également enseigné le gothique. J'aurais bien été incapable d'imiter sa signature. Celle de ma mère était plus simple. Je n'ai jamais essayé, laissant cette spécialité de faussaire à ma petite sœur.

vendredi 13 mars 2009

Le petit manège de la musique des jouets


Sacha Gattino me fait écouter un monde musical dont je croyais tout ignorer, mais que je pressentais pour en avoir tâté moi-même à mes débuts et dans mon travail de designer sonore. Tous ces artistes ont un goût pour la matière organique qui n'a rien de commun avec la virtualité synthétique. Ils pervertissent le réel en une sorte de théâtre de l'absurde empreint d'humour et de tendresse. Les boucles rythmiques et les agrégats chaotiques dessinent le même décor, un paysage brintzingue digne de Lewis Carroll ou Dave McKean.
Je prends des notes pour me retrouver parmi les chansons pop éthérées d'Animal Collective remplies de petits sons sympas, les charmants samples rythmés de la déjantée Moonstruck Parade du Japonais Bisk, les grincements accompagnant la voix enfantine de Coco Rosie que l'on imagine ne jamais pouvoir grandir, le duo de guimbardes de Makigami Koichi et Anton Bruhin, les engrenages mécaniques de Németh, la transe ethno de Badawi a.k.a. Raz Mesinai dont le théâtre musical nous caresse à rebrousse-poil avec ses bris horlogers, les jeux de cloches et les fanfares dérisoires de l'orchestre d'éléphants de Dave Soldier et Richard Lair, les jouets riquiquis d'Emmanuel Dilhac et ceux féroces de Spunk, la causticité de Wevie Stonder... J'en profite pour entamer une nouvelle dégustation du CD du polyinstrumentiste Frank Pahl produit par le guitariste français David Fenech, lui-même auteur d'une tendre et foisonnante Polochon Battle.
Sans remonter à Leopold Mozart, Joseph Haydn, Erik Satie ou Spike Jones, leurs ancêtres se nommaient White Noise, Moondog, Third Ear Band, Robert Wyatt, famille à laquelle appartiennent aussi Pascal Comelade et Pierre Bastien avec qui notre Nabaz'mob partagera l'exposition Musique en Jouets qui ouvrira ses portes le 24 juin au Musée des Arts Décoratifs à Paris...
Je ne peux pas adhérer totalement à ce mouvement qui, à mon goût, manque souvent de gros plans. En opposition, le jazz néglige les effets d'ensemble pour privilégier l'expression individuelle. C'est la raison pour laquelle Pierre Bastien, par exemple, ajoute sa trompette de poche à ses machines en Meccano. Tous ces musiciens peignent des décors féériques. Les jazzmen incarnent les héros. Le rock mise sur la puissance là où le classique joue sur la nuance. Il me faut un peu de tout cela pour trouver ma voie. En quête de perspectives, j'apprécie la transparence. Amateur de coups de théâtre, j'affecte les contrastes. Sacha dessine les scènes, j'en écris le synopsis, mais si nous devions enregistrer un album j'inviterais des acteurs à s'y mouvoir. Mais pour les spectacles vivants que nous projetons, les images de Nicolas Clauss et les sons qui y sont rattachés suffisent à occuper l'espace...
Comment pourrais-je être insensible à ces jeux d'enfants alors qu'avec Antoine Schmitt nous sillonnons le globe avec une ribambelle de cent lapins en plastique et qu'avec Frédéric Durieu, d'Alphabet à La Pâte à Son, j'invente des machines musicales interactives pour que chaque enfant qui sommeille en nous puisse s'épanouir. Ma collection de jouets musicaux est une boîte à outils où j'alimente régulièrement mes rêves sonores depuis 40 ans. C'est donc avec joie et armé de chocolat noir que j'irai me promener dans ces forêts de sucre d'orge et que je hanterai les palais de pain d'épices de ce monde enchanteur. Je sais bien que je ne pourrai m'empêcher de casser du sucre sur le dos des sorcières, de faire mordre la poussière d'ange aux trop gentilles fées pour être honnêtes, je déchaînerai malgré moi des tempêtes à la poudre de coco et ferai semblant d'enfiler mon déguisement, incapable de répéter deux fois le même tour, laissant à Sacha le soin de garder le cap vers cet horizon qui semble si proche mais s'éloigne au fur et à mesure que l'on avance. Ce programme devrait parfaitement coller avec les images mouvantes de Nicolas (ci-dessus une poupée de Money, inédit) qui nous engloutiront corps et biens, paysages obscurs éclairant la scène de leurs rayons de miel et de piments si puissants qu'ils nous emporteront la gueule parce qu'on aime ça plus que de raison. Un théâtre de la cruauté émerge des scènes enfantines les moins innocentes.

jeudi 12 mars 2009

La voix de Jean-Pierre Lentin s'est éteinte


Guy Darol m'apprend la triste nouvelle. Il résume sa carrière : critique musical (Actuel, Le Monde de la Musique, Muziq), journaliste scientifique (Sciences & Avenir, Libération), producteur à France Musique puis France Culture, directeur de Radio Nova, Jean-Pierre Lentin fut l'un des membres fondateurs d'Actuel...
J'avais rencontré Jean-Pierre fin 1969 grâce à Marie-Reine, ma première petite amie. Marrante et radicalement différente des autres filles du lycée (celui d'à côté, la mixité n'étant pas de mise à cette époque), elle avait senti arriver le vent psychédélique qui allait souffler sur notre continent. La première visite chez Dagon, l'orchestre des frères Lentin, était intéressée. Ils possédaient une denrée rare que nous venions de découvrir et qu'il était difficile de se procurer. Dominique, aujourd'hui toujours batteur de la scène alternative, planait tandis que Jean-Pierre, le bassiste, incarnait déjà le patriarche de la bande, sérieux et amusé à la fois. Ils vivaient évidemment encore chez leurs parents dans le XVème où nous passions régulièrement les voir. Le père, Albert-Paul Lentin, qui m'impressionnait par son engagement anti-colonialiste et anti-impérialiste dont ses positions sur la guerre du Vietnam et sur le conflit israélo-palestinien, était alors en train de fonder le journal Politique-Hebdo. Je me souviendrai toujours d'une descente de police où la perquisition avait fini par s'avérer fructueuse aux enquêteurs qui fouillaient l'appartement. L'un d'eux avait lancé un cri de joie : "Ça y est. On les tient... Y en a au moins un kilo !". Il avait les deux mains dans le plat du chat.
Avec mon light-show H Lights, j'accompagnai ensuite Dagon, qui outre Jean-Pierre et Dominique Lentin comprenait le guitariste Daniel Hoffman et le flûtiste Fabien Poutignat (dit Loupignat, fondateur des broches lumineuses Loupi !). J'organisai même les premiers concerts de rock du Lycée Claude Bernard où je suivais mes études avec, le 4 février 1971, ces types hirsutes venus du Lycée Buffon. À la Fac Dauphine, je me joins à eux sur scène, diffusant de vieilles publicités radiophoniques remontées et jouant d'un drôle d'instrument électronique que j'avais inventé à partir d'un amplificateur de téléphone. Les Lentin m'avaient trouvé un déguisement de danseuse des Folies Bergère avec des plumes multicolores qui m'empêchaient de m'assoir ! Je réitérai l'expérience au Musée d'Art Moderne de la Ville de Paris, l'ARC, pour l'inauguration de l'exposition Andy Warhol. Au milieu de leur répertoire à la fois carré et déglingué, Dagon interprétait un étonnant Chinese fox-trot de 1931, chanson qui leur servait d'emblème et dont il possédait le 78 tours, Opium (fumée de rêve), qui figure sur le double cd Chansons Toxiques dans l'enregistrement original du ténor Marcel's.
En mai 70, lorsque Actuel est repris par Jean-François Bizot, je passe de temps en temps au journal récupérer le nouveau numéro tout chaud. Mes deux années de différence faisaient tout de même le grand écart avec ce grand frère. Nous aurons l'occasion de nous revoir chaque fois dans des conditions toujours inattendues, comme la dernière chez mon voisin Olivier Koechlin qui avait organisé une soirée à Bagnolet avec des musiciens Gnaouas. J'aimais beaucoup échanger nos découvertes musicales et j'essaie de rédiger ces souvenirs pour que toutes ces disparitions prématurées ne restent pas lettre morte.

La réaction se répand pour l'instant sans consistance


Plus ça va, plus la droite envahit la Toile. En ces temps de crise qui se précise hélas chaque jour, j'aurais dû plutôt écrire : moins ça va, plus les propos ineptes, non argumentés et réactionnaires envahissent Internet. Je m'en suis aperçu à la teneur des commentaires sur divers blogs que je consulte régulièrement. La droite a compris l'importance des nouveaux médias, elle aura mis le temps. Mais comme les plagiaires elle aura heureusement toujours deux ou trois métros de retard, à moins que le pouvoir ne lui facilite la tâche en censurant l'expression sous diverses formes voilées auxquelles adhère sans s'en rendre compte une partie de ce qu'il est coutume d'appeler abusivement la gauche. La planète n'était déjà pas au meilleur de sa forme, rendue exsangue par l'ultra-libéralisme, forme cynique et arrogante du capitalisme, mais nous sommes entrés depuis peu dans une logique inique et suicidaire qui dépasse les bornes.
La liste est longue des signes dépresseurs : l'État renfloue les bandits du secteur bancaire, il accumule les lois répressives au lieu de développer l'information et la formation, la religion envahit l'espace public et laïque, les riches se sucrent et les pauvres tirent la langue, les marchands d'armes s'en fichent plein les poches, les pollueurs s'en donnent à cœur joie, les victimes continuent à voter pour leurs bourreaux, le colonialisme a repris du poil de la bête sous de nouveaux masques, etc. etc. Je repense à l'évêque brésilien qui, affirmant que le viol est moins condamnable que l'avortement, excommunie à tour de bras alors que la gamine a neuf ans, c'est dire ce qu'il pense des femmes ! Dans Libération, la liste des artistes mal informés qui soutiennent la loi absurde, inapplicable et répressive sur Internet (Hadopi) est renforcée par une quatrième de couverture désespérante (mieux vaut lire dans le numéro de samedi l'entretien avec Benjamin Bayart)... Je découvre encore que le Pôle Emploi (fusion ANPE-Assedic) a payé 500 000 euros leur logo alors que les Assedic cherchent des noises aux chômeurs sous le moindre prétexte (vous avez bien lu, 500 000 € pour un logo... En plus il est laid à mourir ! Pour l'anecdote, Geoffroy Roux de Bézieux est président de Mobile Virgin France et de l’Unedic). Etienne Mineur, sur le même lien que je viens de souligner, nous gratifie de l'arrogance de Jacques Séguéla pérorant que "si à 50 ans on n'a pas une Rolex, on a raté sa vie !" Comment s'étonner ensuite des idioties que laissent certains internautes en commentaires si nous sommes abreuvés d'aussi pitoyables exemples ?
Non, mais je ne vais pas commencer la beaucoup trop longue liste des sujets de déprime alors que le soleil printanier nous exhorte à prendre l'air. Pourvu que ce soit sur celui des lampions (j'ai croisé une énième manif à République en allant chercher mes nouvelles lunettes) et que l'on ne sombre pas avec tous les déçus dans une révolution en chemises brunes. C'est toujours le danger en cas de crise lorsque la population n'est pas du tout formée politiquement et que son immense majorité répète stérilement le discours creux et efficace seriné par la presse, que ce soit les chaînes de télévision à la botte du gouvernement ou les quotidiens qui appartiennent presque tous aux marchands d'armes évoqués précédemment.
Moralité : il n'y en a pas.

mercredi 11 mars 2009

Le silence éternel des espaces infinis m’effraie


Tandis que j'écoutais l'album Cartography d'Arve Henriksen, je me suis souvenu d'un morceau que j'avais enregistré avec Bernard Vitet à Clamart le 21 janvier 1999 et que mon camarade souhaite voir figurer, avec quelques autres inédits, dans la réédition en CD de son disque 33 tours solo Mehr Licht ! pour lequel il cherche un producteur. Il a également souhaité le rebaptiser Le silence éternel des espaces infinis m’effraie après avoir porté plusieurs titres. Nous en avions même réalisé une version interactive, Loopy Loops, mais cela ne nous avait pas convaincu suffisamment pour l'éditer. La version ci-dessous est présente sur C'est le bouquet!, CD d'inédits d'Un Drame Musical Instantané téléchargeable gratuitement avec le n°3 de la revue Sextant qui m'est en partie consacrée (aperçu des 32 pages affichable en cliquant sur un bouton du site de la revue !). Dix ans avant Cartography, je lui trouve des airs de ressemblance avec l'index 3, Migration, mais notre tempo est beaucoup plus vif ; évidemment la trompette d'Henriksen me rappelle bigrement le son de Bernard. Nous avons enregistré le bugle en playback après que j'ai joué les machines en temps réel.

Huit minutes. Je sais bien que prendre le temps d'écouter de la musique sur un blog n'est pas évident. Les lecteurs zappent d'un site à un autre. On butine mais on ne prend souvent pas le temps de se poser. C'est dommage, j'aimerais casser ce rythme infernal, brisé le règne de la vitesse. On peut toujours rêver. Vous pourriez par exemple lancer le fichier son en cliquant sur le bouton Play et l'écouter en continuant à lire. Pièce inédite comme tous les autres morceaux mis en ligne sur ce blog.

mardi 10 mars 2009

Big Brother is watching you


Marie-Jésus m'envoie une photo époustouflante prise par David Bergman lors de l'investiture de Barack Obama le 20 janvier dernier. En zoomant sur le public, on peut distinguer presque chaque personne dans la foule !
La caméra-robot a une définition de 1 474 megapixels, soit 295 fois plus de puissance que les photos à 5 megapixels des caméras familiales. Une seule photo et la possibilité de "ficher" un million de personnes ? Pas exactement ! Le site Gigapan donne moulte explications sur le système : le robot permet à votre appareil de prendre des milliers de photographies que le système réassemble en une seule grande image et de placer sur le site de Gigapan, cough, cough !

Etienne Mineur, référent graphique en ligne


digup•tv est une toute fraîche web-tv documentaire sur la création numérique. Pour ces débuts, elle s'entretient avec le réalisateur Mate Steinforth (PsyOp), le graphiste et animateur Pierre Magnol, le designer d'interactivité Remon "Fluid" Tijssen, les animateurs Rob Chiu & Chris Hewitt, et, last but not least, le graphiste Étienne Mineur que mes lecteurs ne peuvent ignorer, que ce soit pour son incontournable blog sur le graphisme ou le site de son studio, incandescence. À côté de la "revue", la "galerie" présente le collectif de réalisateurs NoBrain avec leurs nouveaux travaux et toute une série de clips, toujours sous la forme de vidéos. Un blog, pour l'instant à peine amorcé, complète le tableau.
Si j'en parle aujourd'hui, c'est séduit par la qualité des réalisations de digup•tv, que ce soit au niveau des enquêtes elles-mêmes que pour tout ce qui tourne autour, films complémentaires, liens et informations clairement présentés... La réalisation d'Emmanuel Dumont rend parfaitement le personnage d'Étienne Mineur, prises sur le vif répondant à ses créations numériques. Comme chaque fois, Étienne réussit à communiquer sa passion, composée d'un ludisme toujours adolescent et d'un professionnalisme à toute épreuve. Le film de 20 minutes, tourné en HD 16/9 ("avec un Kit mini 35 permettant d'avoir une profondeur de champ réduite comme au cinéma"), dessine un beau portrait de ce zébulon monté sur ressorts aérodynamiques.
J'ai rencontré Étienne en 1995 alors qu'il était directeur artistique d'Hyptique. Nous avons travaillé ensemble sur Au cirque avec Seurat, premier CD-Rom auquel j'ai participé comme compositeur et designer sonore. Nous avons enchaîné avec mon premier CD-Rom d'auteur, Carton, avec Antoine Schmitt comme directeur technique. Pierre Lavoie appelait notre trio la "dream team". J'ai ensuite longtemps collaboré avec Étienne, que ce soit à Vienne pour tout l'habillage d'EuroPrix 98 (clips télé, scénographie du musée, etc. - extrait vidéo sur incandescence / projets 1998) lorsqu'il avait rejoint NoFrontiere en Autriche, ou pour les Mots de Pass' d'Antoine Denize en Belgique, les jeux du site Adidas, le danseur Zerpo du CielEstBleu pour Nike, etc., sans compter un nombre incalculable de projets inachevés, CD-Rom infini sur le cirque, plateforme Magado avec Gallimard, Le Seuil et le dessinateur Moebius, vidéo perso, etc. Nous évoquons toujours de retravailler ensemble, en particulier pour le film qu'il prépare sur les graphistes en Asie, même s'il m'a fait quelques infidélités en travaillant avec l'excellent designer sonore Sacha Gattino. La réussite des 27 versions du site Issey Miyaké m'ont tellement enchanté que je n'ai pu en prendre ombrage, à tel point que je viens de m'associer avec mon exquis collègue pour jouer ensemble sur scène dans le cadre des Somnambules formés avec le peintre Nicolas Clauss.
J'apprécie toujours autant la capacité d'Étienne à réagir au quart de tour (je me souviens d'un projet que nous avons inventé de toutes pièces devant des clients éberlués, l'émulation de l'un et l'autre jouant des effets de surenchère créative qui rendaient malade le camarade développeur qui aurait eu plus tard à mettre en pratique nos élucubrations sans limites, je dois avouer que nous étions aux anges), son enthousiasme et sa curiosité dans les domaines les plus variés (je m'entends comme larrons en foire avec les encyclopédistes en herbe qui s'intéressent et se passionnent pour les sujets les plus divers, on appelle ça la culture générale), sa faculté de changer le plomb des imprimeurs en or numérique sans craindre de renverser le processus, capable de s'affranchir du passé pour le connaître sur le bout des doigts... Ses conférences sont les seules qui m'excitent autant que les miennes ;-) et je lui dois ce blog puisqu'il m'en a communiqué le virus il y a bientôt quatre ans ! Avec Claire, sa compagne également graphiste, ils ont dessiné ma carte de visite dont j'ai du mal à me débarrasser même si mes coordonnées ont changé tant elle est en accord avec ce que je souhaitais exprimer ; et récemment Étienne a réalisé la pochette de la mienne, compagne, pour son dernier DVD, Appelez-moi Madame. Bien qu'il en rêve peut-être, allez savoir, je souhaite à sa progéniture de choisir un autre secteur d'intervention, parce qu'avec deux parents graphistes aussi doués ce pourrait vraiment s'avérer un calvaire ! Mais je leur fais confiance, l'image recèle tant de possibles et leur goût pour le son est aussi fin que le reste...

lundi 9 mars 2009

Closed Zone, le siège de Gaza


Poptronics signale ce soir ce petit film d'une minute trente réalisé par Yoni Goodman, directeur de l’animation de Valse avec Bachir.
Closed Zone a été mis en ligne le 4 mars par des activistes pacifistes israéliens, le Gisha Legal Center for Freedom of Movement. Annick Rivoire donne suffisamment d'informations dans son article pour que je n'ai pas besoin d'en rajouter...

Du calot au culot


Bernard Vitet a toujours été à cheval sur les apparences, se teignant les cheveux et la barbe au moindre poil blanc. J'ai pris cette photo du provocateur rue Pelleport alors qu'il venait de retrouver le calot qu'il avait volé, gamin, dans un entrepôt allemand pendant la guerre, près du pont d'Austerlitz. Cela aurait pu lui coûter la vie. Comme il en avait assez d'être surnommé Polnareff dans son quartier à cause de ses larges lunettes Emmanuelle Kahn, je suis allé sur eBay lui acheter aux enchères une monture vintage Matsuda. J'ai également trouvé un autre modèle de la même marque avec des verres transparents. Quant aux bottes, allez savoir lesquelles ! Un soir de 1981 où nous jouions à Naples, je le vois ouvrir sa valise. Dedans, il y avait deux autres paires de bottes exactement identiques à celle qu'il avait aux pieds - peut-être même étaient-ce celles-ci ? - une brosse à dents et deux cartouches de cigarettes, un point c'est tout. Bernard les achète très justes pour pouvoir "les faire" et il les entretient mieux que son matériel qui traîne toujours partout à la poussière.
Pour les copains qui s'inquiètent, Bernard, après une période pulmonaire alarmante, reprend du poil de la bête. Ses rhumatismes ne lui permettent pas de se déplacer facilement, mais chaque jour montre un léger mieux...

dimanche 8 mars 2009

Retour du refoulé


Jusqu'à dix-huit ans j'ai cherché à faire plaisir à ma mère. Mais ma vie d'adulte a souvent été dictée par ce que mon père en aurait pensé, encore aujourd'hui, vingt-et-un an après sa mort.
Si ma mère avait été fière de mes efforts, je n'aurais pas eu besoin de me plier en quatre pour être un bon garçon (photo Rue Léon Morane le jour de la distribution des prix). Elle me faisait chaque fois téléphoner à ma grand-mère mes résultats scolaires. Devais-je valider ainsi les choix de ma mère dont la fierté n'était que de surface ? Comme mon père chouchoutait ma sœur, j'ai fait comme si j'étais celui de ma maman, mais c'est lui qui prodiguait tout de même les calins du dimanche matin lorsque nous les rejoignions dans leur grand lit. Si elle avait su exprimer sa tendresse, aurais-je été autant en demande avec les femmes dont j'ai partagé la vie ? Il y a dix ans, lorsque j'ai compris que sa misanthropie lui appartenait en propre et que je n'avais pas à la reproduire pour lui plaire, ma vie s'est allégée. J'ai recommencé à transmettre mon enseignement et regardé le monde avec des yeux attendris sans que ma vision critique en soit altérée pour autant. J'ai appris à laisser sa chance à chacun. Je ne me suis plus cassé la voix à hurler comme mes parents s'engueulant à tous bouts de champ lorsque nous étions petits. Le mépris de ma mère pour tout ce que je représente ne m'atteignait plus jusqu'à ce qu'elle s'attaque à ma fille. Sous son alibi "de gauche", ses aspirations bourgeoises condamnent nos vies de saltimbanques et nos sensibilités d'artistes lui sont aussi étrangères que nos interrogations psychanalytiques. Elle va jusqu'à vomir les intellos qui se posent des questions "qui n'ont pas lieu d'être", rejetant toute réflexion sur le passé auquel elle ne trouve aucun intérêt. Toute tentative d'évocation de mon père semble vouer à l'échec. Ainsi réécrit-elle l'histoire et reproduit éternellement les mêmes schémas névrotiques. Qu'y puis-je ? Pas grand chose si ce n'est assurer Elsa de mon entière solidarité. Ma mère m'avait pourtant appris à écrire et réfléchir. Je l'ai encore remerciée en lui répétant que je suis devenu ce que je suis grâce à elle, et à mon père évidemment, et qu'en crachant sur moi c'est sur elle qu'elle crache. Ils s'intitulaient eux-mêmes "intellectuels de gauche" !


Elle avait à peine plus que mon âge actuel lorsque mon père est mort. Il était son paratonnerre. Elle n'a pas su se réinventer, s'enferrant dans la névrose familiale sans plus aucun rempart, comme ses deux sœurs. Je comprends ce que je lui dois, à lui et à lui seul. Il nous envoya apprendre les langues étrangères et, par là-même, à voyager. Il me transmit son amour de la musique et les émotions intenses que l'art peut prodiguer. Lorsqu'il était touché il pleurait en écoutant au casque. J'ai récupéré vendredi celui qu'il portait sur les oreilles lorsque son cœur s'est arrêté. Ses engagements politiques et son courage me servent toujours de modèle. Je croyais que c'était le frimeur de leur couple, mais je me trompais. Il savait simplement de quoi il pouvait être fier, tandis que ma mère faisait semblant parce qu'elle ne s'aimait pas. Tout contact physique avec autrui la dégoûtait. J'ai souffert des liaisons adultères paternelles, mais c'était une autre époque. Mes parents (photo à La Baule) prétendaient être restés ensemble "à cause des enfants". Toute la responsabilité pesait sur nos épaules. Mon statut d'aîné responsable compléta le tableau de l'obsessionnel.
Nous ne pouvons rien pour nos géniteurs s'ils sont devenus sourds et n'expriment aucun intérêt pour ce que nous devenons. J'ai mis des distances avec ma mère pour me protéger de ses désirs mortifères et pour apprendre à vivre. Le souvenir que je garde de mon enfance reste le terreau fertile sur lequel j'ai pu me construire. Ma fille doit pouvoir en faire autant, à sa manière, soutenue par notre regard bienveillant. Lorsqu'elle se rebella et exprima ses sentiments avec la plus grande sincérité, j'étais fier à mon tour de ce que sa maman et moi avions participé à faire naître, de sa capacité à s'épanouir en s'en affranchissant.

samedi 7 mars 2009

... All the Marbles (Deux filles au tapis)


Comment peut-on passer à côté d'œuvres magnifiques sans les voir ? En cherchant des informations sur le dernier film de Robert Aldrich que j'ai exhumé de ma vidéothèque VHS pour le montrer à Françoise qui a évidemment biché pendant toute la projection, j'en étais presque déprimé. En 1981, ... All the Marbles, sorti en France sous le titre Deux filles au tapis, était probablement trop en avance sur son temps pour être remarqué à sa juste valeur. Les critiques y ont vu un film misogyne alors que n'importe quelle féministe jubilerait d'admirer les California Dolls cogner sur l'arbitre pourri et qu'il n'y en a pas une trace ni dans le scénario ni dans la réalisation. Bien au contraire, Aldrich, en filmant ces filles hors du commun, montre le statut des femmes dans une société corrompue qui vacille dès que l'on n'en respecte pas les conventions. D'autres parlent d'une comédie invraisemblable quand il s'agit d'un des meilleurs films réalisés sur le catch, très loin des tics éculés de The Wrestler d'Aronofsky. D'abord il y a le décor, villes du Nord des États-Unis dont on ne voit que les banlieues grises, motels miteux, autoroutes uniformes, tandis que l'on entend en off les savoureux dialogues à l'intérieur de la vieille voiture du manager dévoué et roublard. Aussi extraordinaire que chez son ami Cassavetes, Peter Falk y tient là un de ses meilleurs rôles, avec ses California Dolls, deux filles un peu paumées qui aiment comme lui leur travail, le catch à quatre pour la beauté du sport, filmé magnifiquement par Aldrich. J'ai l'impression de regarder un match à la télé comme lorsque j'étais petit. Évidemment c'est drôle, mais chaque scène est poignante, sur le ring comme hors piste. ... All the Marbles montre la veulerie des hommes et le courage des femmes, la pudeur des uns et le sacrifice des autres, le besoin de réussir pour elles qui ne sont qu'objet de désir pour les mâles. Aldrich a payé cher son indépendance de vue, viré d'Holywood pendant des années. Il évite les clichés racistes sur les indiens de Bronco Apache, montre les héros crapuleux de Vera Cruz, fustige le maccarthysme dans Kis Me Deadly (En quatrième vitesse) avec son Mickey Spillane en détective facho brutal, taille un costard aux producteurs de cinéma dans The Big Knife (Le grand couteau), dénonce la violence des hommes dans la guerre avec Les douze salopards, leur déshumanisation, la barbarie...

Comment peut-on passer à côté d'œuvres magnifiques sans les voir ? Je me repose la question en pensant à Anathan de Josef von Sternberg, à 7 Women (Frontière chinoise) de John Ford, à Gertrud de Dreyer, à L'innocente de Visconti (encore quatre derniers films, des films de vieux !), à Convoi de femmes de Wellman, à Leo the Last de Boorman, à La symphonie des brigands de Feher ou aux 5000 doigts du Dr T de Rowland... Les connaisseurs appellent ces œuvres méconnues ou malaimées des films-culte !
Des cinéastes sont souvent méprisés pour de mauvaises raisons : Agnès Varda a beau récolter les faveurs du public et les récompenses je suis toujours étonné du mépris d'une grande partie de la profession, c'est une femme ; Jean Cocteau continue à subir l'anathème des surréalistes probablement dûe à son homosexualité déclarée, je ne vois aucune autre explication ; Jacques Rozier a ramé toute sa vie ; pourquoi Jacques Becker ou Jean Grémillon n'ont-ils pas la renommée d'un Jean Renoir ? Jusqu'à peu Michael Powell était inconnu dans notre pays. Parfois des histoires de droits bloquent les films ; connaissez-vous La nuit du carrefour de Renoir ? Les films de Pierre Etaix sont scandaleusement coincés par un contrat assassin. Quand je pense que les chaînes de télévision publique repassent sempiternellement les mêmes longs métrages, cela me met en rogne...

vendredi 6 mars 2009

Bachir, carnet de balles


Le 4 juillet dernier, j'avais écrit ici : Le film de Ari Folman est à rapprocher du Tombeau des lucioles, l'animation produisant une distance avec l'évocation troublée de la mémoire et de l'oubli. Le réalisateur aborde le massacre de Sabra et Chatila sous l'angle du refoulement. Les images d'ombre et de Lumière enrobent le cauchemar. Cet incontournable documentaire d'animation n'a hélas rien de la fiction ni du rêve. On prend cette enquête en pleine figure, parce qu'elle chatouille nos propres traumas. J'ai vu Beyrouth dévasté, les immeubles grêlés de millions d'impacts, j'ai vu la mer imperturbable, le soleil et la nuit. Valse avec Bachir me fait découvrir ce que je pouvais deviner, le contre-champ.
Depuis, le film a fait du chemin. Il a reçu 6 Ophirs du cinéma israélien, le Golden Globe et le César du meilleur film étranger et une quantité d'autres récompenses. Les Éditions Montparnasse le publient en DVD agrémenté de bonus qui en éclairent la réalisation. Il y est confirmé qu'il s'agit d'une histoire vécue par Ari Folman lorsqu'il avait 19 ans, qu'il commente en voix off tandis que ses camarades y témoignent pour la plupart sous leur vrai nom. Les quelques secondes de silence des images du Journal Télévisé d'Antenne 2 filmées à Sabra et Chatila le 18 septembre 1982 valident le choix du dessin animé. Dans un entretien, Joseph Bahout évoque la guerre du Liban, l'assassinat de Bachir Gemayel et le massacre de 4 à 5000 Palestiniens qui s'en suivit par la milice chrétienne libanaise avec l'approbation de l'armée israélienne dirigée par Ariel Sharon.
Depuis la sortie du film, le gouvernement israélien s'est rendu coupable d'un nouveau massacre dans la bande de Gaza, se mettant à dos la plus grande partie de l'opinion internationale. De nombreux Juifs condamnent enfin le colonialisme d'un état paranoïaque qui détruit des siècles de culture pacifiste et sonne le glas de l'intelligence. Aucune confusion ne doit pouvoir se faire entre la politique criminelle de l'état religieux et une grande partie de la diaspora en désaccord avec la folie qui s'enferme en Israël.
La consécration de Valse avec Bachir n'en a que plus de force. Le traitement freudien de la culpabilité des soldats israéliens traumatisés par ce qu'ils ont laissé faire, l'humour et les délires surréalistes que le cinéaste israélien s'autorise, son travail intime d'enquêteur en font une œuvre puissante et originale d'un genre nouveau aux côtés de Persepolis, comme l'avait été Maus pour la bande dessinée.

jeudi 5 mars 2009

Magique !


Comme j'avais passé la journée à installer le nouveau matériel informatique de ma compagne je n'avais pas grand chose à raconter. Ayant dormi trois heures la veille, j'étais allé prendre un bain à la mousse de thé vert avant de dîner et de m'écrouler hagard. C'est à cet instant que le téléphone a sonné. Ma fille proposait de passer me prendre pour assister au spectacle d'un illusionniste à l'Atelier du Plateau dans le XXème, où travaille sa cousine, ma nièce Chloé. Contrairement à la nôtre, la voiture d'Elsa a du chauffage, un début engageant ! C'est aussi une occasion de nous parler car je suis trop content de la voir. Je me suis donc laissé convaincre un peu plus facilement que d'habitude.
Enfant et jeune adolescent, je faisais des numéros de prestidigitation. Je m'entraînais des heures devant la glace à m'enfoncer une épingle dans la joue pour la faire ressortir de l'autre côté jusqu'à me faire saigner ou bien je faisais des numéros de divination et de transmission de pensée avec ma sœur. J'appris les sauts de coupe et les faux mélanges qui me serviraient plus tard au poker, mais le jeu y perdant de son intérêt, j'ai vite arrêté, de tricher et de jouer. Plutôt que de me faire offrir la mallette du petit magicien pour Noël, je me targuais de posséder des livres de professionnels, comme mon Cours Magica, retrouvé tout à l'heure pour vérifier ce que j'avais un peu oublié. Quoi qu'il en soit ce ne sont pas les trucs qui sont intéressants, mais la manière d'exécuter les tours. Hier soir, c'était magique...
L'Atelier du Plateau est un endroit voué à la rencontre des saltimbanques de tous poils, en particulier circassiens et musiciens. Jusqu'à dimanche inclus la Compagnie Phalène y joue Même si c'est faux c'est vrai, un spectacle de proximité où Thierry Collet nous embarque dans un temps qui n'a plus d'âge. Le magicien sait nous mettre dans sa poche pour nous faire ressortir par les manches, par forcément les siennes, c'est là que c'est fort. Passé les illusions d'optique et sonores, Thierry Collet se fait conteur pour se jouer de notre candeur. Par ses tours merveilleux, il nous fait tâter du faux-semblant et pointer la manipulation mentale dont nous sommes quotidiennement les victimes inconscientes. Heureusement, la performance est ici poétique et scientifique, drôle et fascinante. Croyez-moi, c'est vrai, tout est faux, allez prendre un bain de jouvence au Plateau, c'est magique !


Ma photo, comme d'autres, faisait partie d'un des tours de la soirée. Je n'ai pas compris par qui elle avait été prise ni comment elle s'était retrouvée dans la main de Collet, dépliée comme par enchantement, accessoire au même rang que le poisson rouge, la plume qui chatouille à distance, le clou dans la narine, le trou qui se promène ou les bulles de savon domptées... Les illusions apportent une autre lumière sur la réalité. J'insiste, c'est à 20 heures et le dimanche à 17. On peut même y manger un morceau.

mercredi 4 mars 2009

Jour de claque


Hier fut une journée catastrophique pour le porte-monnaie. Françoise lança les hostilités en renouvelant sa station de travail FinalCut, son vieux Mac ayant atteint sa huitième année (attention, un nouveau MacPro est sorti hier). De mon côté, conseillé par Sacha, je craquai pour un KaosPad 3, multi-effet qui redonnera un coup de jeune à mon clavier VFX-SD dont les bidouillages en temps réel ont fini par me paraître limités après vingt ans de pratique ! Nous avons ensuite marché main dans la main jusqu'au trottoir d'en face pour nous offrir de nouvelles lunettes, les siennes sont vertes, les miennes bleues, dans les deux cas fines montures modernes et métalliques qui nous feront voir la vie en rose, du moins l'espérons-nous. Heureusement la ristourne en rapport avec notre grand âge et nos mutuelles respectives atténuent la douloureuse.


Françoise marchande ensuite d'autres sortes de paires chez Anatomica. Elle craque, entre autres, pour des Mogami de chez Trippen qu'elle aura du mal à porter à bicyclette ou à emporter dans sa valise, look japonais qui lui fait gagner huit centimètres en s'y sentant étonnamment confortable comme avec toutes ces chaussures de fabrication allemande à la semelle anatomique. En enfilant mes Kajax dorées j'ai l'impression d'être dans les sandales d'Aladin. Cette fois, les vendeurs sont adorables et rigolent des facéties de ma compagne essayant bottines sur mocassins, aussi profitons-en ! Depuis que je me chausse ergonomiquement ma fatigue est divisée par deux, et la plasticité des Trippen (voyez leur site) montre nettement plus de fantaisie et d'invention que mes sempiternelles sandales Birkenstock que j'ai l'habitude de porter à la maison ou bien l'été (j'en ai tout de même racheté une paire, les vieilles commençaient à sentir mauvais à force d'y suer nu-pieds). Chaque fois que je sais que je vais rester longtemps debout, j'opte pour ces chaussures dont la semelle épouse la voûte plantaire. Pour s'être comprimé les orteils dans des souliers trop étroits nos arpions se déforment, et à la longue le dos morfle monstrueusement. Question de culture. Aussi solides qu'astucieuses, leur coût vaut le coup. On ne peut pas toujours imaginer où le progrès va se nicher !

mardi 3 mars 2009

Hommage au premier Zappeur, mère de l'Invention


Coïncidence. Tandis que je suis plongé dans le nouveau livre de Guy Darol sur Frank Zappa, Fred Goaty me commande un article "personnel" sur Lumpy Money, le nouveau triple CD produit par la famille Zappa, pour le prochain numéro de Muziq où œuvre également Darol avec autrement plus de z'ailes que moi m'aime. Dès que j'en aurais terminé la lecture, je me replongerai dans la musique qui saurait trop me distraire si je tentais de faire les deux en même temps. L'écriture d'un des meilleurs journalistes musicaux actuels, alliant la rigueur littéraire et un travail d'enquête hors pair, réclame toute l'attention du lecteur tant les mots choisis sortent de l'ordinaire. Cette recherche frise parfois le baroque alambiqué à l'image de son héros, inventeur iconoclaste tous azimuts, dynamiteur de formes et "zappeur" fou ! Si cette dernière expression n'avait pas son origine (1929, dit le Robert Historique) dans l'onomatopée suggérant le bruit d'une arme à feu et, par extension, marquant un évènement brutal, j'aurais sans peine imaginé qu'elle fut inventée par le compositeur américain.
Ce Frank Zappa édité par Le Castor Astral me touche plus que je ne m'y attendais, pour les points de concordance qu'il révèle entre mon parcours et celui de Darol, encore d'heureuses coïncidences. Ce livre me semble d'ailleurs plus destiné aux fans de Frank Zappa qu'il n'est ouvrage de vulgarisation. L'auteur s'y livrant lui-même plus qu'il n'en est coutume dans une biographie classique, je retrouve mon désir de mêler dans mes billets l'intime et l'universel. C'est aussi l'histoire d'une rencontre et d'une passion qui commence avec We're Only For The Money alors que les Beatles étaient jusqu'ici notre référence, l'anglais appris en Grande-Bretagne vers Salisbury, le métier de compositeur qu'il nous fait choisir à notre tour, le partage de notre passion impossible à garder pour soi seul... Bien que j'ai commencé mon voyage quatre ans plus tôt aux USA, à Amougies et durant les années qui suivirent où je côtoyai mon idole, nous avons arpenté ensemble tant de lieux sans ne jamais nous rencontrer...
Et Darol de survoler l'immense territoire de "l'homme-Wazoo" comme il l'appelle dans la première version du bouquin publiée en 1996 avant qu'il ne la revoit et ne l'augmente aujourd'hui (technique éprouvée du remix par son génial modèle) : les influences multiples qui montrent l'étendue de la culture de Zappa, son engagement politique, tant d'évocations qui raviront ceux qui ne connaissent que sa musique, mais ignorent tout du bonhomme. Sans oublier l'auto-portrait émouvant qui fait de cet hommage l'un des plus beaux livres de son auteur.
Pour ne pas être en reste avec les exégètes, Guy Darol offre en prime, ce qui occupe tout de même la moitié du bouquin, chronologie un poil "romancée", discographie sommaire (les albums sous le nom du barbichu ou celui de son groupe, les Mothers of Invention), précieuses filmographie et bibliographie, plus les incontournables liens Internet qui n'existaient pas encore en 1996 lors de la première édition.

lundi 2 mars 2009

Les crêtes du lundi


C'est un peu idiot, mais je me repose aujourd'hui où le blog génère le plus haut taux de fréquentation de la semaine. Le cycle est pratiquement immuable. Si les lundis enregistrent de très bons scores, la fin de semaine chute immanquablement. À croire que les internautes partent en week-end, font leurs courses, vont se promener, je ne sais pas... Prenant leur distance des machines, auraient-ils une vie plus saine que le reste de la semaine ? Surfer ne serait plus considéré comme un loisir ? Si l'ordinateur est un merveilleux outil, pourquoi ne bricolent-ils pas le week-end ?
Le lundi, comme ils réattaquent sévèrement, je me demande s'ils ne se connectent pas depuis leur boulot. Est-ce pour ne pas rempiler trop brutalement qu'ils en profitent pour se distraire ou bien associent-ils Internet au monde du travail ? Les heures les plus embouteillées se situant vers la fin de l'après-midi, j'opterais plus volontiers pour un besoin de penser à autre chose avant de rentrer chez soi ou encore en arrivant à la maison, avant de se pencher sur les tâches domestiques. Tout cela n'a aucune importance. Les statistiques restent ésotériques. Les mots-clés de la googlisation touchent principalement les billets d'ordre pratique, recettes de cuisine, problèmes informatiques, des sujets relativement peu courants sur cette page. Alors ?
Alors quoi ? J'avais décidé de me reposer en n'écrivant rien aujourd'hui, du moins pas grand chose. Un petit creux de vague. Des nuits vraiment trop courtes. Les vacances de plus en plus mythiques alors que j'en ressens chaque jour plus cruellement le besoin. Lorsque je crois être arrivé au bout du rouleau, un évènement me redonne un nouvel élan. Je pense aux fidèles qui se réveillent avec mon blog. J'aurais peut-être besoin de faire comme eux. Il y a quelque chose qui cloche dans mon raisonnement. Il faut vraiment que je me repose.

dimanche 1 mars 2009

Cortex : l'oubli structure le récit


Je raconte souvent que je ne regarde jamais la télévision, mais ce n'est pas tout à fait vrai. Abonné à Canal+ et à Ciné-Cinémas, je vois de temps en temps en temps des films et de rares émissions de création, évitant soigneusement tout ce qui constitue le paysage télévisuel standard, en particulier le Journal, les débats, la télé-réalité, le sport, la publicité, etc., et la pratique du zapping. Sur un écran de plus de trois mètres de base, la laideur s'étale avec trop d'évidence. L'effet de loupe force l'analyse et souligne l'entreprise de manipulation. Une fois par an peut-être, je tombe estomaqué sur l'horreur offerte quotidiennement à ce qu'il est coutume d'appeler les téléspectateurs.
Pour choisir les films programmés sur la vingtaine de chaînes qu'il m'arrive donc de sélectionner grâce à l'antenne satellite accrochée sur le toit, je feuillète un magazine qui en précise les horaires. Si Libération et Le Monde, récupérés tôt le matin dans la boite aux lettres, en signalent quelques uns, le Télérama du mercredi reste un outil précieux, d'autant qu'il fait également office de magazine de société qui est loin d'être le pire dans les dossiers qu'il effleure. Pour y avoir longtemps coché les programmes de France Musique et France Culture où j'enregistrais des heures et des heures de musique sur cassette audio, j'ai conservé la pratique de vérifier ce qu'il y a à la télé avant d'opter pour un DVD plus en accord avec mes centres d'intérêt. Les autres canards auxquels je suis abonné, Cahiers du Cinéma, SVM Mac, Le Monde Diplomatique et les magazines de musique dans lesquels il m'arrive d'écrire, ne sont d'aucune aide pour occuper mes soirées, préférant d'une part la lecture matinale et d'autre part ne supportant pas facilement les petites lignes après une journée passée à en décrypter et en taper sur les écrans envahissants de notre espace vital. Le soir, je ferme les volets et m'écroule en général sur le divan ou dans un fauteuil pour m'obliger à me déconnecter de mon hyper-activité, quel que soient les sens qui ont été mis à l'épreuve pendant la douzaine d'heures intense passée à travailler sept jours sur sept.
Ainsi hier soir samedi, le jour le moins sexy de la programmation télévisuelle, je note à 20h45 sur Canal un polar de Nicolas Boukhrief intitulé Cortex dont le sujet semble intéressant, l'enquête d'un inspecteur atteint de la maladie d'Alzheimer, placé dans une maison de retraite où les pensionnaires meurent un peu trop souvent. Le handicap du héros interprété avec la plus grande sensibilité par André Dussollier crée un climat de mystère et de suspicion qui fait partager ses doutes au spectateur, notre mémoire étant astucieusement mise à l'épreuve comme la sienne. L'ambiance de la clinique offre de formidables dialogues surréalistes et la veilleuse violette des nuits nous plonge dans un état semi-comateux où la paranoïa flotte comme un doux délire. Comme dans Memento, l'oubli structure le récit et produit de vrais effets de cinéma. Aux côtés de Dussollier dans un de ses meilleurs rôles, les autres comédiens sont tous formidables, donnant sa profondeur à l'abîme de perplexité dans laquelle nous sommes plongés.