Commerçants, si vous désirez actualiser vos vitrines, dirigez-vous sans hésiter vers le Grand Palais où de jeunes artistes rivalisent d'astuce et proposent des idées amusantes pour animer la présentation de vos produits en attirant l'attention des passants !
L'ensemble, sans exception aucune, donne l'impression d'une exposition de jeunes étudiants des Beaux-Arts de seconde année travaillant sans aucune urgence sous l'égide de professeurs dépassés par les mutations du monde qui les entoure. Ces jeunes gens dorés semblent pourtant tous feindre de le réfléchir au travers d'idées spirituelles et de bons mots dignes de l'Almanach Vermot. L'art plastique disparaît au profit d'une sélection de manifestations monomaniaques censées les conduire au firmaaament de l'aaart alors qu'ils n'expriment que l'impuissance de ce monde à se renouveler et proposer de nouvelles utopies.
Le programme remis par une armée de gentils médiateurs formés à la même école, après un avant-propos roucoulant d'une ministre de la culture peu encline au monde contemporain, commence ainsi son mode d'emploi : La Force de l'Art 02 réunit dans l'actualité de la création les œuvres d'artistes de générations et de styles à peine comparables - comme le furent, en leur temps, Monet, Mondrian, Duchamp, dissemblables par l'âge ou les préoccupations, mais qui, dans une même période, créèrent en France des œuvres inoubliables..." Les bras m'en tombent. J'ai du mal à taper la suite tant ma stupeur devant tant de vacuité est à la taille de la majestueuse coupole du Grand Palais. Je n'arrive même pas à être en colère. Tout cela est désarmant, c'est le mot, désarmant. L'exposition, tragique, réfléchit bien l'État de l'art dans notre pays. Comment faut-il interpréter tant de signes s'accumulant dans le même sens ? Est-ce l'enseignement de l'art dans les écoles qui pousse à cette superficialité se camouflant derrière quelques concepts faciles et spirituels ? Certains sont même amusants, voire astucieux. Est-ce le reflet d'une société anesthésiée et corrompue ? Promouvoir ces artistes-là serait-il une manière de faire taire la colère qui gronde ailleurs ? À comparer avec les œuvres de Kréyol Factory présentée à la Grande Halle de La Villette par exemple, on saisira l'écueil qui sépare l'urgence du tout petit supplément d'âme visé ici et pour autant manqué. Dans le meilleur des cas, résident quelques idées amusantes pour égayer les vitrines des magasins, impression renforcée par une scénographie "blanche" qui a le mérite de ne pas écraser les zœuvres.
La Force de l'Art 02 ne se cantonne pas à ce salon de l'étalagiste. Décentralisée, elle présentera Daniel Buren au Grand Palais, Gérard Collin-Thiébaut au Louvre, Bertrand Lavier à la Tour Eiffel, Annette Messager au Palais de la Découverte, Orlan au Musée Grévin, Pierre et Gilles à l'Église Saint-Eustache. La messe est dite. Espérons que les performances programmées certains jours sauront embraser l'exposition anesthésiante d'une virulence ou d'une beauté qui lui font cruellement défaut ! Les mises en ligne d'artistes virtuels sauront-elles recaler notre nouveau monde au-delà de tant de torpeur et d'auto-suffisance ? Le premier mouvement de cette Force de l'Art est une farce de l'or où l'État sarkozien montre les dégâts considérables qui sont à l'œuvre et où l'on tente de pallier à l'absence de l'art par des coups médiatiques encadrés par un dispositif pédagogique plus nocif qu'inefficace. Ce qui est fondamentalement en question c'est l'orientation de l'art vers un processus marchand, directement et indirectement. Ainsi les Festivals de Cannes, d'Avignon ou des Vieilles Charrues, générateurs d'une manne qui se chiffre en millions d'euros pour les régions, sont progressivement phagocytés par un marketing viral qui les vide de leur sens, l'art, le dérangement.
L'agit-prop a de beaux jours devant elle si la colère vient à gronder. Et puis, la beauté sera convulsive ou ne sera pas.