Comme j'étais allé chercher Bernard chez lui à midi rue Pelleport, nous avons fini par échouer sur un des lieux de nos crimes. Je visais Viet Siam, mais le restaurant qui appartient aux mêmes propriétaires que Lao Siam semble fermé le jeudi. Dans les années 80, Nïoullaville fut l'une des cantines d'Un Drame Musical Instantané. Nous y savourions les chariots de vapeur, en particulier les pattes de poulet et de canard, les tripes aux haricots noirs, mais aussi la salade de méduse, la soupe de poisson cambodgienne à la noix de coco, les bouillies de riz aux œufs de cent ans et au gingembre, les viandes laquées... Pour le côtes-du-rhône dont il était incapable de se passer, Bernard avait l'habitude de répondre au garçon qui attendait son feu vert : "Il est égal à lui-même !". L'endroit si couru à l'époque est devenu complètement désert, à tel point qu'il m'arrive de me poser des questions sur la finalité de tels commerces. On raconte que certains restaurants servent de blanchisseurs ; il suffit de déclarer beaucoup plus de couverts que la réalité. Simple supposition, car je n'ai aucune idée sur comment un restaurant aussi immense qu'un hall de gare peut tenir sans clientèle. Hélas ou évidemment, le niveau a considérablement baissé, pas les prix ! Et Bernard d'évoquer les changements et les stagnations de notre société, la grande mutation...
J'ai pris une photo de ses nouvelles lunettes, des Matsuda que j'avais gagnées aux enchères sur eBay pour un bol de riz. Tandis que je le raccompagne, mon camarade me confie qu'il se verrait bien composer une symphonie ou un opéra, à condition qu'on lui en passe commande, mais ces temps-ci sont bien pauvres en projets de ce genre. Dans ces années 80, avec le Drame, nous avions composé la suite symphonique La Bourse et la vie, l'opéra-bouffe L'hallali ainsi que J'accuse et Contrefaçons avec un orchestre de 70 musiciens... Dans l'attente d'une telle opportunité je lui demande juste quelques conseils pour une suite d'accords en vue de les tester sur FluxTune pour lequel j'ai des petites idées... Nous espérons tous deux retravailler ensemble sur un projet orchestral dès que l'occasion se présentera. Si le trompettiste Bernard Vitet ne jouera plus sur scène pour raison de santé, sa pâte de compositeur ne fait que se bonifier avec l'âge. C'est un truc sympa de la musique, les vieux compositeurs ne sont pas mis au rencard, bien au contraire... C'est un métier où il peut être agréable de vieillir.