Le travail du deuil
Par Jean-Jacques Birgé, vendredi 17 juillet 2009 à 00:14 :: Perso :: #1405 :: rss
On est comme à la campagne. Le cimetière de Charonne jouxte l'église Saint-Germain-de-Charonne qui servit de décor à la scène finale des Tontons flingueurs. C'est dire si la cérémonie commençait bien. Les vieux amis ressemblaient à des boulistes ayant raté l'heure de la sieste. Sous un soleil brûlant aux effluves presque corses, les oraisons prononcées en hommage à Jean-André Fieschi en dressèrent un portrait fabuleux et varié, certains avec énormément d'émotion, d'autres plein d'humour, les plus proches se laissant aller à quelques piques pleines de tendresse. Ainsi sa compagne Françoise Risterucci, Émile Breton, Christiane Lack, Jean-Patrick Lebel, Michel Vinaver et d'autres se succèdent au micro, mais ce sont certainement les témoignages de ses enfants, Marthe et Simon, qui sont les plus poignants et les plus fidèles. J'espérais retrouver certains visages, j'en découvre d'autres, je n'en avais oublié aucun. Une chanson corse et la trompette de Miles Davis accompagnent les derniers adieux. En guise de faire-part, la famille a mis à disposition des cartes postales figurant Jean-André à différentes époques de sa vie. Il a toujours adoré les images. J'en choisis une où l'on voit bien qu'il pouvait ne pas être toujours commode !
Lorsque ce fut mon tour je bégayai quelques mots à la mémoire de mon ami :
Cher Jean-André, je n'aurais jamais imaginé me retrouver dans ces circonstances.
Nous avons arpenté ensemble maints cimetières en lieux de promenade et de mémoire, de Venise sur l'île San Michele où nous étions venus porter des fleurs à la demande d'un ami sur la tombe de Stravinsky aux côtés duquel reposait Diaghilev jusqu'au Père Lachaise où tu voulais me montrer celle de Pierre Zucca. Un après-midi comme celui-ci, tu m'avais amené ici-même et tu m'avais indiqué celle de l'infâme Brasilach qui n'était pourtant pas ta tasse de thé bien qu'il ait écrit une célèbre histoire du cinéma.
Ce cimetière de Charonne, nous devrions le rebaptiser cimetière de Charon en hommage à tes qualités de passeur. Je parlais de toi en t'appelant "mon Maître", car lorsque j'étais jeune homme, tu m'appris la moitié de ce que je sais et me donna la méthode pour acquérir le reste. Je disais aussi que ma dette était inextinguible et ton dernier coup de théâtre ne me facilite pas la tâche. Tu tenais toi-même ce pouvoir initiatique de Claude Ollier. Aussi, pour que ta flamme ne s'éteigne jamais, il nous reste à continuer à transmettre ce que tu nous a légué, une appréhension aussi magique que matérialiste de notre monde.
On ne réveille pas un somnambule qui marche au bord du toit. Dors bien et continue à nous faire rêver.
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