Erreur d'appréciation, ce n'est pas le mur qui s'enfonce, mais le sol qui se soulève. La cabine s'envole produisant un sifflement étrange avant de se stabiliser et de s'ouvrir sur un couloir de la couleur des blouses des petits bonshommes verts de tout à l'heure. Pas d'autre issue pour notre trio que de s'avancer jusqu'à ce qui ressemble à un nouvel ascenseur. Aucun bouton n'offre de choix d'étage. Quatre parois coulissent autour de l'habitacle dont le sol est vitré. C'est reparti pour un tour, mais cette fois la nouvelle cabine dévale vers le centre de la Terre, laissant deviner les strates virtuelles de l'arsenal envahies de créatures de Huber. Le soin apporté au décor tranche avec l'aspect extérieur en béton sur lit de boue séchée. Ilona pense au magasin Akeï qui avait ouvert dans la Zone près de chez elle, un espace où le moindre désir des clients est comblé avant qu'il ne soit exprimé. La perfection clinique avait déclenché une vague de suicides sans précédent tant au sein des employés que parmi les usagers. La libido se nourrit des fantasmes à jamais renouvelés. L'exiguïté du bolide qui traverse le boyau vertical fait remonter celle des trois protagonistes se pressant les uns contre les autres le long de la paroi. L'attraction foraine laisse craindre quelque coup fourré, comme le sol du cylindre se dérobant sous les pieds ou les faisant glisser sur un toboggan de la mort ! Les terreurs enfantines refont surface dans un mouvement contraire. À force de croiser des méduses et autres bestioles improbables, c'est à se demander si le parfum distillé ne contient pas quelque substance hallucinogène. Ralentissant enfin il se stabilise avant que les parois ne disparaissent devant des rues bordées de gratte-sol à perte de vue où chaque fenêtre est un écran brillant dans cette nuit artificielle surchauffée. Des petites fumées s'échappent de grilles sur lesquelles avancent Max et Ilona tandis que Stella, le nez en l'air, tente de comprendre à quoi rime cette débauche d'images volées, dont la profusion semble interdire l'analyse. C'est la régie vidéo de l'univers. Des caméras de surveillance côtoient des chaînes de télévision de l'autre bout du monde. Rien de surprenant. On finit par s'habituer. Sur une des façades les images de personnes cadrées serrées et faisant face à l'objectif suggèrent que le système a pris la main sur les webcams des usagers. Certaines montrent des bureaux ou des appartements vides. Comme tout univers kafkaïen, le comique recouvre le drame absurde d'un glacis de vertige. Et puis il y a le son, le son qui sort de partout, qui rebondit, qui s'efface sous le coup de l'addition, un nuage de brume sonore, le drone de la civilisation, sa basse continue. Comment les petits bonshommes verts arrivent-ils à faire le tri devant ces milliards de pixels ? Qu'ils soient prisonniers d'une société de contrôle n'étonne en rien le trio vers qui s'avance un des crânes rasés. C'est au moins un être humain, fait remarquer Stella qui a beaucoup d'imagination. Son père, comme elle, a reconnu l'œuvre de la Déesse. Elle dévore ses enfants en volant leur image et leur voix. Elle les broie, les malaxe et les filtre dans une passoire d'un nouvel âge que d'aucuns espéraient rester croupir dans les tiroirs de savants fous à la solde des manipulateurs. La prouesse scientifique aveugle les physiciens. Comment résister à l'attrait d'un nouveau jouet, lorsque sa dimension atteint les limites du possible ? N'envisagent-ils jamais les effets secondaires ? L'armée initie ou récupère tout ce qui est à portée de son budget. Qu'avons-nous fait ? lance Max, atterré, au clone qui allait ouvrir la bouche.

Rappel : le premier chapitre a été mis en ligne le 9 août 2009, inaugurant la rubrique Fiction.