Au menu d'aujourd'hui, la petite cuisine. Caviar et musique ne sont plus ce qu'ils étaient, mais ils n'en ont pas perdu pour autant leurs saveurs. Les temps changent, certaines merveilles disparaissent, d'autres se développent, nous nous adaptons et recommençons sans cesse de nouveaux tours.
J'avais furieusement envie de me faire un cadeau d'anniversaire. Le pico vidéo-projecteur Optoma pk101 de la taille d'un paquet de cigarettes me tentait, mais l'objet ne règle pas la question du son et qu'en aurais-je fait, je me le demande encore, même s'il s'adapte sur mon iPhone ?
Attiré par les petits appareils faciles à trimbaler, j'ai fait un saut chez Univers-Sons pour tester le Micro Sampler Korg, mais j'ai trouvé la machine trop complexe d'accès en regard de mon attachement au geste instrumental. Le son n'avait rien d'exceptionnel et une pédale d'échantillonnage pour guitaristes répondrait probablement mieux à mes besoins. Je regrette le Super Replay de Francis et mon ARP 2600 revendu en 1994. Régulièrement, je pose la question rituelle : "Avez-vous reçu quelque chose de barjo ?" La réponse est triste et désespérante. Plus aucune marque ne développe de nouveaux synthétiseurs ou d'effets innovants. Coûtant beaucoup moins cher à produire et à vendre, le virtuel règne en maître. Le numérique n'a hélas pas la chaleur de l'analogique, et l'ordinateur portable n'est pas très sexy. L'improvisation ne se satisfait pas non plus de ces interfaces écran aux menus empilés où les accès directs sont réduits à la peau de chagrin. Autant jouer de la trompette, du tambour ou du pipeau, on sent l'air qui vibre quand la matière se laisse caresser. Les dernières machines amusantes que j'ai acquises et qui se laissent apprivoiser sont mon Tenori-on et mon V-Synth (j'aime bien aussi le Kaossilator et le Kaos Pad). Remarquez que je dis "mon" lorsque j'ai réussi à les faire miens. Les réglages du Roland offrent d'infinies variations et le nombre de boutons garantit un jeu vivant des plus excitants. Je m'en suis servi récemment pour le Rideau d'eau à Francfort, le Paravent de verre de Saint-Gobain et pour le jeu 2025 ex machina sur lequel je travaillai hier avec Nicolas. La qualité d'un instrument réside donc pour moi dans son potentiel à se l'approprier. Les synthétiseurs d'aujourd'hui sont des petits claviers "fashion" qui reproduisent les sons à la mode. Que voulez-vous que j'en fasse ? Ils se périment aussi vite que les produits Kleenex qui les emploient.
Rentré bredouille, je suis passé au marché des Lilas acheter du poisson et des légumes. Les aubergines ne sont plus de saison, mais j'avais envie d'inventer un de ces caviars dont j'ai le secret. On oublie tout de suite celui d'esturgeon que nous dévorions à la petite cuillère chez les parents de Michaëla, juste avant de prendre un sacré savon ! Pour le caviar d'aubergine, on met la chair des plantes potagères que l'on a cuites au four dans un mixeur avec de l'ail, de l'huile d'olive, du vinaigre (là j'ai testé le Melfor rapporté de Strasbourg avec quelques gouttes de pâte de vinaigre balsamique), du sel (ici du sel gemme de l'Himalaya parfumé au gingembre), du poivre (remplacé cette fois par du piment peri-peri zoulou), des herbes, et hop, au réfrigérateur !
Peter Gabor me demande de participer le 1er décembre prochain, au Forum des Images, à l'évènement "Retour vers le Futur" dans le cadre de l'école e-artsup, "une conférence autour des bouleversements inhérents à l’avènement du numérique découpée chronologiquement en fonction des métiers qui ont été les premiers touchés par l’avènement du numérique." Il s'agira pour moi de raconter ce qui a changé dans ma pratique de compositeur avec l'arrivée du numérique. Je l'ai prévenu. Pas grand chose, juste de nouveaux outils, de beaux jouets pour le gosse qui ne rêve que plaies et bosses musicales ! Un violon, un susu, un synthétiseur analogique ou un ordinateur possèdent chacun leurs qualités et leurs limites. Ils cohabitent dans mon studio et sont choisis en fonction des projets. Ma palette s'est agrandie. Pourtant la MAO (musique assistée par ordinateur) me permet de tester les partitions d'orchestre avant répétitions et de créer des constructions inédites. Le choix des instruments influe toujours sur les créations. Je montrerai donc FluxTune qui permet de composer radicalement différemment d'avec un séquenceur et je le mettrai en relation avec un enregistrement vidéo réalisé il y a plus de 25 ans, lorsque nous jouions des trompes et flûtes en PVC, de la guitare et de la trompette, du synthétiseur analogique (voilà le ARP !). Ce ne sont jamais les instruments qui font le style. Si le numérique n'a pas changé ma vie de compositeur, il a transformé ma vie quotidienne, mais ça c'est une autre histoire.

P.S. : La conférence "Retour vers le Futur" a été reportée au mois de mars 2010.