Pourquoi bouder son plaisir devant l'énorme attraction foraine de James Cameron ? Le cinéma est né dans les foires et la 3D confère au spectacle onirique le sentiment d'être propulsé sur une autre planète pourtant très proche de la nôtre. Le divertissement s'appuie certes sur un scénario basique, avatar extraterrestre de La forêt d'émeraude de John Boorman, politiquement correct, suffisamment critique pour embarquer toutes les bonnes consciences. Les peaux-rouges ont ici la peau bleue de Vishnou, couleur de l'immanence et de la substance de l'espace. En sanskrit, avatâra signifie « descente », réincarnation du dieu protecteur de la religion hindoue. Il est dommage que la musique composée par James Horner soit d'un conventionnel achevé, avatar, cette fois pris dans son contresens, de l'industrie américaine. On aurait pu souhaiter plus d'imagination quant à la partition sonore qu'un orchestre symphonique hollywoodien, quelques variations new-age et une messe idoine à en faire pipi dans sa calotte. S'il ne participe jamais au scénario, le relief est parfaitement adapté aux chatoiement de formes et de couleurs de la planète Pandora. Mais le succès du film ne tient pas qu'à ces artifices...
Avons-nous tous le même Avatar ? Dans le phénomène d'identification propre au cinématographe, le héros a beau être un mâle blanc (notons au passage qu'aucun acteur noir vient pervertir la distribution !), les spectateurs et spectatrices rêvent d'incarner cet ancien Marine, justicier touché par la beauté de la nature et transformé par l'amour. Neytiri, la guerrière Na'vi obéit à la même démarche, laissant tomber sa garde devant la détermination de Jake Sully. L'un et l'autre sont nos avatars, personnages d'un monde rêvé où tout communie dans l'harmonie.
Sommes-nous tous le même Avatar ? Hypnotisés par les images en relief qui explosent sur l'écran, nous incarnons à notre tour le spectateur idéal qu'a rêvé l'industrie américaine. Sur toute la planète, les terriens communient devant ce spectacle de divertissement sans que la charge critique transforme en quoi que ce soit la politique impérialiste des États-Unis. On accepte en Irak, en Afghanistan et ailleurs ce que nous condamnons munis de lunettes polarisantes.
Il est vrai que le système 3D utilisé rend simultanément aveugle chaque œil à la moitié de ce qui est projeté. Les lunettes anisotropes aux propriétés bi-réfringentes réassocient le changement d'angle pour ne constituer qu'une seule image sur laquelle nous focalisons sans étendre notre système critique à la réalité. Nous sommes bien les parfaits avatars de notre civilisation.