Il y eut de nombreuses machines infernales avant Der Lauf der Dinge de Peter Fischli et David Weiss comme ces architectures de dominos qui s'abattent indéfiniment dans d'incroyables ballets. Le clip réalisé par James Frost appartient à cette tradition de la réaction en chaîne. Filmé dans un entrepôt sur deux niveaux à Echo Park près de Los Angeles, il accompagne la chanson This Too Shall Pass de l'album Of the Blue Colour of the Sky. L'installation a été conçue et construite par le groupe OK Go qui a mis plusieurs mois à construire la machine avec des membres de Syyn Labs. Même si les mouvements des objets sont synchronisés avec la chanson, je ne suis pas certain que cela apporte grand chose. Tout ce travail pour illustrer une chanson nulle, c'est dommage ! Le son des catastrophes aurait été plus approprié.
La musique n'est pas la panacée universelle. J'en ai fait les frais hier encore. Lorsque nous nous sommes retrouvés en mixage avec Pierre-Oscar Lévy les ambiances et les bruitages se sont imposés face au quatuor à cordes que j'avais composé sur Les noces de Cana. La musique était très bien, mais à quoi rime de placer de la musique sur un film ? L'orchestre présent à l'image se justifiait parfaitement, mais le réalisme montre ses limites lorsqu'il est question de narration ou de distance critique. Le tableau de Véronèse sonorisé avec les enregistrements que j'avais réalisés au Louvre dans la salle où il exposé devenait banal dès lors que la musique masquait les convives, y compris le perroquet (ajouté au son pour souligner sa présence fugace) et le chien (appuyé par un commentaire discret du public comme la découpe de la viande, l'assemblée des notables, la présence de Véronèse lui-même à la viole ou l'acte alchimique). Je synchronisai l'effet de transmutation en faisant couler du liquide dans une jarre et j'ajoutai un zeste de vaisselle pour parfaire l'illusion produite par les visiteurs du Louvre dans leurs langues respectives et la réverbération de l'immense salle.
Prêchant contre ma paroisse, je me demande souvent pourquoi ajouter de la musique à un film. Quelle tradition la suscite ? Quelle absence est-elle censée combler ? Quel est son propos ? C'est encore pire au théâtre où l'on sent le bouton Play du magnétophone. Je préfère souvent la musique in situ comme chez Renoir ou Demme, ou si elle apporte un complément réel et sensique à l'image ou à l'action. Considérer que tout est musique et que l'orchestre, réel ou virtuel, participe à la partition sonore générale évite de focaliser sur un fantasme dont la réalisation nuit le plus souvent à l'objet que l'on croit servir en arrondissant les angles quand il faudrait surtout savoir les choisir !
Lorsque je livre une musique à un réalisateur, je lui dis toujours qu'il peut en faire ce qu'il veut, la triturer comme il l'entend si le film l'exige. S'il le fait en dépit du bon sens, je ne retravaille pas avec lui (ou elle), voilà tout. Pierre-Oscar avait raison de vouloir réduire mon quatuor du XVIème comme on réduit une sauce. Le rôt s'en trouve grandi, donnant à mon travail sa véritable dimension évocatrice. Et la phrase de Cocteau de résonner toujours à mes oreilles, "Ne pas être admiré. Être cru."