Avec une semaine d'avance sur l'équinoxe (je reste incorrigible), la mouche dominicale m'a piqué : au lieu de me reposer comme j'en avais l'intention (absolument incorrigible !) j'ai passé la journée d'hier à repeller la maison à la recherche des patchs originaux de l'ARP 2600 acquis en 1973 et revendu vingt ans plus tard. L'idée n'est pas si saugrenue depuis que j'ai décidé de retrouver le synthétiseur avec lequel j'ai commencé, à condition d'en dégotter un en bon état, à un prix pas trop délirant. À l'époque je m'étais lourdement endetté, mais grâce à cette acquisition j'avais instantanément trouvé du travail et amorti l'investissement trois ans plus tard. Un samedi après-midi à Pigalle, le démonstrateur zélé qui m'a vendu l'ARP 2600 a décidé de toute ma vie.
C'est fou ce que l'on peut accumuler. Comme mes recherches ont été laborieuses j'ai d'abord eu le temps de trier, classer et jeter. Les partitions n'étaient évidemment plus où elles avaient été ni auraient dû être. Après le studio, le grenier et la cave, je finis par tomber sur le dossier dûment étiqueté sur la dernière étagère des archives. J'aurais préféré passer la journée allongé avec le Godard, mais ma névrose obsessionnelle m'interdit le repos tant que je ne suis pas arrivé à mes fins.
De 1971 à 1980, il s'est construit moins de 3000 exemplaires de cette machine fantastique, plutôt encombrante avec son look de central téléphonique, mais dont les qualités acoustiques ont toujours éclipsé à mes oreilles ses deux concurrents, le MiniMoog trop brillant et l'AKS (ou VCS3) trop plastoc. L'Anglais Macbeth en construit une réplique, mais le M5 lui ressemble sans en posséder ni le timbre ni les spécifications. Comme j'avais décidé de me débarrasser, faute de place et de budget, des instruments dont je ne me servais plus, j'avais bêtement vendu mon instrument fétiche sous prétexte qu'il n'avait pas de mémoire et ne répondait plus à la musique que j'avais envie de créer. Il était difficile de l'accorder, ses circuits moulés d'alors étaient irréparables, j'avais besoin d'autre chose. Je l'avais remplacé par un PPG Wave 2.2 à la transparence inégalée, puis par un DX7 enfin équipé de la norme MIDI permettant une connexion à un ordinateur ou à d'autres modules, synthétiseurs en rack et effets spéciaux. Je ne m'étais jamais résolu à upgrader le PPG dont les ondes abstraites avaient été supprimées par Wolfgang Palm, mais j'avais fait ajouter une carte SuperMax au DX7 dont l'arpégiateur et la pseudo multitimbralité me comblaient. Quelques mois après l'avoir cédé, je regrettais mon ARP qui aurait été idéal pour mon travail de designer sonore dans le multimédia. Les goûts du public oscillant comme un VCO, il était naturel que les gros sons analogiques redeviennent à la mode. Lorsque la noise me titille, lorsque je souhaite faire évoluer doucement les timbres, lorsque j'ai besoin d'expliquer de quoi un son est constitué, lorsque j'aimerais improviser en ne partant de nulle part, je n'entends que lui sous mes doigts, d'autant que j'en jouais en virtuose et avais aussi noté scrupuleusement une centaine de combinaisons démentes dont j'avais accouché. D'où l'impérieux besoin de vérifier que mes patchs avaient bien été conservés !
Ci-dessus on reconnaîtra la partition opératoire de 1975 du premier morceau de l'album Défense de (Birgé Gorgé Shiroc, GRRR 1001 ou réédition cd MIO 026-027 écoutable sur notre site). Si je pouvais vendre seulement six exemplaires vinyles de l'original devenu culte, je pourrais m'offrir l'objet rare. Quant à la réédition (cd+dvd, 7h30 de musique plus le film La nuit du phoque), MIO ayant cessé ses activités, elle est presque épuisée à son tour. Tout passe. Et repasse.