Le film réalisé par Serge Bromberg et Ruxandra Medrea à partir des essais et des plans tournés par Henri-Georges Clouzot pour son film inachevé L'enfer joue de la frustration comme Cet obscur objet du désir. C'est l'histoire d'une jalousie. Le duel finira en cauchemar par la mort de l'objet, incarné par Romy Schneider et par le film lui-même fantasmé par son démiurge, mais aussi par celle du sujet, infarctus du réalisateur quelques jours après la désertion de son principal acteur Serge Reggiani atteint de la fièvre de Malte ou d'une dépression. Le film s'arrête là. Clouzot tournera encore la cinquième symphonie de Beethoven et le Requiem de Verdi avec Karajan, puis La prisonnière... À cheval entre making of et film expérimental, le document exceptionnel, édité aujourd'hui en DVD par mk2 sous le titre L'enfer d'Henri-Georges Clouzot, oscille sans cesse entre la fiction ébauchée et un documentaire s'interrogeant sur les raisons de son échec. Le résultat est aussi excitant que frustrant. L'enquête s'appuyant sur les témoignages de protagonistes de l'époque est classique et bien faite tandis que les extraits laissent penser que Clouzot aurait pu signer un chef d'œuvre. Si le jeu des comédiens et le montage du film avaient obéi aux mêmes lois psychédéliques du délire généré par la jalousie comme ces effets cinétiques et colorés sur le visage de Romy Schneider ou la pixélisation sonore réalisée par l'ingénieur du son Jean-Louis Ducarme et le compositeur Gilbert Amy, alors on peut rêver d'un film qui n'aurait ressemblé à rien de connu. Mais le sort en a décidé autrement.


Jusqu'où faut-il savoir aller trop loin ? se demandait Cocteau. Tout avait commencé comme un rêve, budget illimité et un scénario basique offrant une liberté plastique où l'expérimentation n'avait plus de limites. La rigueur de Clouzot se retourna contre lui. Ses méthodes de direction brutales firent s'enfuir Reggiani, l'absence d'interlocuteur à la production engendra le gâchis, la profusion du matériel tourné entraîna l'alchimiste dans un tourbillon, comme le jaloux du scénario, jusqu'à la catastrophe. Romy Schneider n'a jamais été aussi belle, les contrariétés de Reggiani servent son personnage, tous les acteurs sont à leur place, la scène où le jeune Bernard Stora, alors stagiaire, court jusqu'à l'épuisement est très émouvante et la musique originale de Bruno Alexiu donne à la reconstitution le ton de 1964 quand Clouzot, brocardé par la Nouvelle Vague comme le reste de la "qualité française", espéra révolutionner le cinéma.


Certains films n'auront jamais existé que dans l'imagination de cinéastes aujourd'hui disparus. D'autres réapparaissent quand on les croyait perdus. Il existe probablement des boîtes rondes en métal dans un grenier ou encore un archiviste pour vérifier ce qu'il y a tout en haut de ces étagères... En 2008, on a bien retrouvé une copie complète de Metropolis au Musée du Cinéma de Buenos Aires, 25 minutes des scènes manquantes et l'ordre des séquences dans le montage d'origine de ce chef d'œuvre du 7e art, même si le film de Fritz Lang développe une idéologie douteuse, critiquée par le réalisateur lui-même. Dès 1927, Lang ne pouvait plus cautionner les penchants nazis de sa femme Thea von Harbou, scénariste du film, dont il divorcera en 1933 en fuyant l'Allemagne. En février dernier, la nouvelle copie de 145 minutes a été projetée simultanément au Festival de Berlin et sur Arte, accompagnée par un orchestre symphonique jouant la partition originale composée par Gottfried Huppertz.


D'Invasión de l'Argentin Hugo Santiago je ne connaissais que la musique d'Edgardo Cantón. Réalisé en 1969, le film dont les co-scénaristes ne sont autres que Jose Luis Borges et Adolfo Bioy Casares, fut interdit en 1974 et huit bobines de son négatif original volées. Restauré en 2000, ce film qui ne ressemble à nul autre ressort aujourd'hui en DVD hors circuit traditionnel, uniquement disponible sur Dissidenz. Dans un magnifique noir et blanc extrêmement contrasté, l'intrigue énigmatique est une politique-fiction où un petit groupe d'hommes défendant une ville assiégée tombent les uns après les autres, chacun dans des circonstances liées à sa personnalité. Le tango le plus noir accompagne cette tragédie à mi-chemin entre l'Antiquité et un futur déjà passé, puisque ses auteurs n'imaginaient pas qu'ils anticipaient sur l'Histoire. On peut sentir son influence sur Out 1 que Jacques Rivette tourna peu après ou sur les films de Raúl Ruiz. Il faut aimer s'y perdre.