Canine de Yorgos Lanthimos est un film éprouvant, mais c'est un vrai film (DVD mk2). Les cadres qui coupent la tête des personnages et le rythme inexorable du montage montrent comment le cinéaste grec se sert de ses outils de torture avec l'intelligence du dément. Canine (Kynodontas) rappelle évidemment Michael Haneke par le regard acéré qu'il porte sur notre société et les déviances brutales qu'elle occurre et Theo Angelopoulos pour le temps qu'il prend à installer des situations hermétiques qui déroutent les spectateurs. La folie qui habite la famille bourgeoise du film rappelle certains faits divers récents qu'il est toujours difficile d'assimiler tant ils paraissent extrêmes. Les murs des villas huppées, des pavillons de banlieue et des caves de HLM cachent pourtant bien des histoires terribles qui défient notre entendement. La mort en ce jardin.


La mort en ce jardin est le titre d'un film de Luis Buñuel de 1956 qui sortira aux Éditions Montparnasse le 8 juin prochain. Un autre enfermement ! Si ce film mexicain en couleurs tourné en français avec Georges Marchal (précédemment dans Cela s'appelle l'aurore), Simone Signoret (qui ne pensait qu'à retrouver Montand au lieu de travailler), Michel Piccoli (dont c'était la première collaboration avec Don Luis) et Charles Vanel (déjà rompu aux climats chauds du Salaire de la peur), n'est pas le meilleur Buñuel, il n'en recèle pas moins tous les ingrédients qui constituent son style génial en nous entraînant dans une aventure que Charles Tesson qualifie justement, dans un des bonus, de hustonienne. Il est fascinant de noter la somme de concordances de La mort en ce jardin avec les autres films de Buñuel, tant dans les thèmes (la religion, le sexe, l'argent, qui sont les trois sujets d'intérêt principaux des êtres humains !) que dans les détails anecdotiques (les fourmis gloutonnes, l'œil crevé, la carte postale de Paris, la révolte sanglante, la prostituée très popote, etc.). Les péripéties dans la jungle cèdent la place à l'évolution des personnages face aux nouvelles conditions de vie qui leur sont imposées. En pleine forêt vierge, le surréalisme vient toquer à la porte lorsque s'animent les Champs Élysées et que leur son ralentit aussitôt comme un rêve impossible. La jungle en robe du soir rappelle l'enfermement de L'ange exterminateur, même si la fin laisse ici espérer une échappatoire. Le tournage fut si éprouvant que le réalisateur rechigna toujours à l'évoquer. Il appela à la rescousse son ami Raymond Queneau pour se sortir d'un scénario qui lui donnait tant de fil à retordre qu'il écrivait son adaptation au jour le jour. Lorsque je vis le film pour la première fois il y a quarante ans, je fus happé par les couleurs et les sons de la forêt. Elle signifia désormais pour moi ce que j'avais aimé des courses au trésor, la surprise à chaque pas, le mystère, le dépaysement, l'obligation de changer ses habitudes, la mise en jeu de ses valeurs morales, leur vérification ou leur inanité, encore et toujours, l'impossibilité du réel.