Claude Monet disait à ses jardiniers : "cette année je veux que tout mon jardin soit mauve". Plusieurs mois à l'avance, il imaginait son modèle comme on prépare ses couleurs. J'en ai eu marre de chercher les failles du système, je me suis allongé quelques instants. Les mystères de l'informatique sont plus absurdes que les énigmes de la nature. J'ai empoigné le courrier, c'était triste. Le Journal des Allumés finit par ressembler à Jazz Mag. Je n'ai pas encore ouvert le Diplo arrivé hier matin, mais ce n'est jamais rose. La vacuité de la presse me pousse à nouveau vers les romans ; hélas, leur lecture saupoudrée me fait vite perdre le fil. J'oscille entre Haruki Murakami et Christiane Rochefort. À la vue de l'enveloppe des impôts, je me laisse espérer en payer plus l'an prochain. Après une bonne saison, l'oseille fleurit à côté des orties. Je comprends mal ceux qui s'en plaignent ou les professions où le truandage est de rigueur. Participer aux dépenses de la cité me semble sain. Évidemment j'aimerais mieux que l'on affecte mon obole à la culture, à la santé, à l'éducation, à l'emploi, à la solidarité, à la préservation de la nature et des autres espèces... Plutôt qu'à perpétuer le gâchis. On préfère produire des armes, entretenir une police agressive et faire des cadeaux de roi aux nantis et aux copains du Fouquet's.
Les fleurs poussent et trépassent. Il y a dix ans le jardin était envahi de centaines de roses jaunes. Les coquelicots rouge vif ne sont apparus qu'en 2000 pour ne plus jamais éclore. Depuis l'an passé, les brins de muguet sont devenus rares. Les plantes les plus vigoureuses étouffent les plus tendres. Sans produit toxique qui risquerait de polluer nos herbes aromatiques, sans interférence trop brutale de ma part sur le cours du temps, le jardin suit son petit bonhomme de chemin. J'évite parfois certaines injustices trop flagrantes, certains assassinats programmés. Les bambous gagnent toujours du terrain et la glycine que Françoise a plantée étend ses grappes sur le lavatère et l'églantier. Les iris violet nous font de l'œil. En juin nous repeindrons le mur du studio qui s'est très abîmé, jaune d'or et parme.
Pensant au défilé, j'imagine de nouveaux moyens de lutte contre le patronat. La désobéissance civile va de pair avec le courage de ses actes. Voire de sa propre pensée. La peur de soi-même régit l'inconscient collectif. Tout est lisse, une mer d'huile, un océan d'hydrocarbure, tandis que l'horreur se profile. À secouer l'arbre mort, on craint qu'il en tombe des fruits pourris, bruns, vert-de-gris. Pourtant, si nous ne nous prenons pas en main nous risquons d'en voir de toutes les couleurs.