Je marche dans la nuit. Les jeunes allemands ont presque tous une bière à la main. C'est samedi. Certains trottoirs sont hérissés de bouteilles, souvent vides, le cul par terre, jamais renversées. Le raccourci passe par une rue sombre, mais les lumières des porches la rendent interactive. Au fur et à mesure que j'avance elles s'allument et s'éteignent derrière moi. Comme une énième installation. Le monologue des deux machines a reçu le prix mérité du Lab et les lapins ont tenu leur promesse, sauf un qui est resté de marbre. La fatigue me rend ivre.
Je m'étais pourtant reposé au concert de Lynn Pook et Julien Clauss, allongé sur un matelas, équipé de 15 petits haut-parleurs qui me collent à la peau au travers de ma chemise et de la camisole dont ils nous ont affublés. Stimuline n'autorise que vingt-huit places, vingt-huit spectateurs, dont certains s'endormiront, rassérénés par cinquante minutes de musique enveloppante. Un haut-parleur derrière la tête, deux sous les omoplates, deux sur les hanches, deux sous les genoux, deux sur les coudes, deux sur les pieds, un sur la colonne, un sous le coccyx, le système audio-tactile imaginé par Lynn fait vibrer la musique à la surface du corps. Le squelette fait circuler le son. Nous entrons en résonance avec les graves. La piqûre des aigus vient nous asticoter. Le point d'écoute varie sans cesse. Nos oreilles sont obstruées par des bouchons pour que nous ne soyons plus sensibles qu'au contact. L'atmosphère rougeoyante s'éteint pour qu'aucune image ne vienne perturber notre écoute. L'expérience fait oublier le côté un peu décousu de la composition musicale que j'aurais suggérée plus structurée et par conséquent plus variée. La variété n'est pas très en vogue chez les jeunes musiciens si j'en crois tous les concerts minimalistes auxquels nous avons assisté depuis quelques mois.
Stimuline n'est pas un coup d'essai. Lynn Pook est passionnée par l'audio-tactile depuis plusieurs années et Julien Clauss aime interroger le son en le déplaçant de sa fonction vers des nouveaux espaces. Ils nous offrent une nouvelle façon d'entendre qui intéressera forcément aussi les sourds et les aveugles. Même si nous restons à fleur de peau et que la promiscuité fait ressembler ces trois quarts d'heure à une communion, nous entrons dans le monde de l'aventure intérieure.
Mais il est tard. À cette heure-ci la mienne sombre dans celui des rêves. Mes yeux se ferment. La musique ne consiste plus qu'en un battement de cœur, la circulation du sang dans mes veines, une vague respiration et les canalisations que la chambre d'hôtel ne réussit pas à filtrer dans la ville endormie.