Le vaisseau est si profond qu'on penserait la quille interminable. L'ascenseur qui porte la signature de la Déesse met Max mal à l'aise. Les deux filles accroupies n'ont rien remarqué, occupées à comprendre comment fonctionnent les fermetures magnétiques de leurs sandales sur coussin d'air, un truc ahurissant limitant les frottements et qui donne l'impression de planer au-dessus du sol. La trajectoire de la cabine est étrangement courbe. Ce que l'on perçoit du tunnel donne la sensation d'une coulisse de trombone contrebasse. C'est l'image qui s'est imposée toute seule à Max qui n'en a jamais vu et ne sait même pas si cela existe. Dans sa jeunesse il avait joué de ce biniou dans un orchestre d'improvisateurs que les profanes assimilaient à du free jazz. Mais il n'avait jamais swingué une cacahuète et préférait souffler dans son embouchure en imaginant des figures impossibles, des volutes de fumée et des gestes de cow-boy dont le lasso attrapait le rythme de la batterie pour lui serrer le kiki. Les syncopes n'en étaient que plus hirsutes et les mélodies plus improbables. D'avoir toujours fonctionné par images lui avait permis de se structurer pendant sa période muette où sa tignasse avait tenu la place d'une portée de mille lignes, ce qui s'y était accroché figurant autant de notes et d'altérations. On ne sait plus quoi inventer. Certains auraient pu croire à une partition de musique contemporaine, mais c'eut été franchement injouable à moins de prendre quelque liberté avec l'original. De toute manière il n'aurait pas eu le choix, tatouage indélébile des artistes véritables. Son pétage de plombs remontait parfois à la surface comme des bouffées délirantes, heureusement très brèves, mais d'une intensité pouvant devenir déstabilisante et dangereuse selon la place où il se trouvait quand ça le prenait. L'habitacle se stabilise et ses portes s'ouvrent sur un couloir de verre où sont projetées toutes sortes de données plus mathématiques que littéraires. Max aurait aimé se pencher sur ces équations surmontant cadrans, camemberts, jauges, compas, etcétéra, mais la petite dame qui leur sert de guide presse le pas et les invite à pénétrer dans une salle de réunion où trône un magnifique aquarium. Un de leurs accompagnateurs fait remarquer que, question d'échelle, c'est plutôt la Pia qui fait figure d'accessoire aquariophile. L'immersion est le plus beau spectacle dont un être humain puisse rêver. Une nuée fluorescente force l'admiration d'Ilona qui vient d'un pays encerclé de montagnes. L'écran s'anime, comme si l'invisible était révélé par quelque processus chimique. L'un et l'autre sont vrais et sont faux. Si la vision est sous-marine, nous sommes en présence d'une vision en réalité augmentée permettant d'admirer toute une panoplie d'événements recomposés à partir des instruments d'analyse dont le navire est truffé. Mais l'heure n'est pas à la contemplation.
Les explications sont toujours moins excitantes que les projections mentales. Le mystère n'en est plus un dès lors qu'il est révélé. Il faut néanmoins se mettre à table. Il n'y a que dix chaises pour onze convives. Stella s'assied la première en susurrant que le jeu des chaises musicales n'a jamais été son fort. Sont présents nos trois amis, le second du Capitaine, la petite dame qui ponctue toutes les interventions d'onomatopées très imagées et les deux grandes filles en blouse blanche que Stella baptisera Pinguy et Pongua suite à leur intervention chorale, un Asiatique très confus mais plutôt rigolo, les deux gars qui les avaient reçus à leur arrivée sur le bateau dont un restera donc debout et un vieux mieux effacé qui passe son temps à régler son sonotone. Comme la réunion va durer deux heures Stella prend des notes et tentera plus tard de résumer la situation.