Mon goût pour l'orchestre plutôt que pour des musiciens isolés m'a très tôt orienté vers des instruments qui puissent remplir tout l'espace sonore et vers la composition. Passer de l'orgue électrique, un Farfisa Professional, au synthétiseur, l'ARP 2600, ne m'empêcha jamais de jouer simultanément d'instruments à vent, cordes ou percussion, avec la bouche, le nez ou les pieds ! Si j'adorais, enfant, regarder l'homme-orchestre arpenter les grands boulevards, j'en appréciais l'aspect mobile autant que la palette de timbres et son chaos organisé.
Mon instrumentation était hélas trop encombrante pour me mouvoir sur scène et, pis encore, m'en échapper. Sans compter un plan de vol très chargé, le fil électrique à la patte qui s'étalait sur mes tréteaux comme une toile d'araignée m'emprisonnait, me transformant en homme-tronc. Le trait d'union scénique de l'orchestre au tronc nourrit son homme, contrairement au disque obole, mais ne résout pas la question de la balade. Malgré mon horreur de la musique pendant les repas j'aurais aimé jouer de table en table comme un violoniste tzigane, dans l'intimité des unes, la confidence des autres, dédiant chaque morceau à telle ou tel convive, sans risquer de reconduction à la frontière. Malheureusement, l'ambiance snob des lieux de jazz aujourd'hui peu propices à des débordements d'humanité, probablement due à une hiérarchie pyramidale et à la concurrence privilégiant les egos à une générosité du partage, toute tentative de casser le rituel en faisant descendre les artistes dans l'arène semble vouée à l'échec. Mes velléités spontex, entendre ici spontanéistes, terme dont nous affublions les maoïstes en leur temps, ont forcément rarement porté leurs fruits ! Il n'est pas question de penser que c'est cuit, car l'enjeu d'être cru reste l'apanage des poètes.
Je m'équipai néanmoins d'un dispositif électro-acoustique simple et mobile m'offrant la joie de jouer du Tenori-on, instrument japonais sur piles produisant son et lumière en me promenant parmi la foule. Ayant glissé deux aimants sous ma chemise pour percher mes haut-parleurs sur chacune de mes épaules, j'entends la musique plein pot (l'ORL visité le mois dernier attestera pourtant que je ne suis pas sourd) pour y avoir simplement branché le synthétiseur-échantillonneur-séquenceur lumineux que je tiens des deux mains en l'actionnant avec les pouces et, si besoin, les autres doigts. Mes timbres comprennent les sons d'usine, mais également des voix d'Elsa et des percussions de ma fabrication. J'en suis si content que j'esquisse même quelques pas de danse. On aura tout vu, mais pas tout entendu.