J'ai laissé un message à Françoise à La Ciotat pour la rassurer que je suis bien rentré. Nous sommes partis chercher nos 100 lapins à Lille où ils viennent de se produire deux semaines à EuraTechnologies. À l'aller le ciel est bleu, nous filons comme des météores, des draps propres bordent notre route, les terrils impriment leur image en négatif. Au retour nous nous retrouvons dans une poisseuse tempête de neige. Soudain on n'y voit plus à dix mètres. Comme mes yeux sont collés au pare-brise pour distinguer ce qui reste des traces de pneus de la voiture qui est passée avant nous je tends l'appareil à Antoine. Il n'y a plus personne sur la voie de gauche. Il suffit de rouler en cinquième sans freiner ni tourner les roues et de se laisser glisser jusqu'à Paris.
La plupart des automobilistes perdent leurs moyens face à des conditions climatiques inhabituelles. Ça patine au lieu de démarrer en seconde. Ça prend des risques inconsidérés en faisant du pare-choc contre pare-choc, encordés pour ne pas céder au vertige. Les impulsifs déboîtent sans prévenir. Lorsque je conduis je ne fais confiance à personne, particulièrement aux poids lourds qui abusent souvent de leur masse, exténués par les cadences infernales qu'ils subissent.
Les informations autoroutières prennent la main sur le lecteur CD, mais n'évoquent que des accidents en Normandie. Tant qu'il faisait beau, Steve Reich accompagnait le mouvement, mais quand le blanc obscurcit le ciel je préfère Natacha Atlas pour réchauffer le paysage. Les champs ressemblent à des lacs gelés. Mounqaliba, son dernier album a beau être "in a state of reversal" (en état de renversement ?) il ressemble trop à n'importe quelle station de radio maghrébine. Quitte à voyager vers l'Afrique du Nord, j'aurais préféré Le triomphe de l'amour d'Areski Belkacem, l'ombre lumineuse de Brigitte Fontaine, son tuteur comme on dit d'une fleur. Arrivés à la maison j'ai posé sur la platine son rayon de miel doré pour faire fondre le verglas autour de la maison...