70 février 2011 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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lundi 28 février 2011

Chez Borzage même la mort ne peut séparer les amoureux


À l'Idhec je n'avais jamais entendu parler de Frank Borzage avant de voir Strange Cargo. La présence de Joan Crawford que j'avais adorée dans Johnny Guitar, un de mes dix films préférés, ne suffisait pas à expliquer ma fascination pour la passion qui traverse l'œuvre où je sentais pourtant quelques relents mystiques auxquels j'étais habituellement allergique. J'utilisai même sa bande-son en février 1977 pendant l'enregistrement de He has been bitten by a snake, improvisation collective avec Un Drame Musical Instantané ! À chaque nouveau film de Borzage que je découvrirai je serai surpris par la force et l'originalité des émotions, et étonné que son œuvre soit si peu connue. La censure et les aléas de production ont dressé tant d'obstacles sur sa route.


La publication de ses films muets par Carlotta confirme mon sentiment. L'heure suprême (Seventh Heaven, 1927) me laisse sans voix ! L'amour fou salué par les surréalistes est partout présent. Ses mélodrames vont à l'inverse du renoncement chez Douglas Sirk qui s'en est pourtant largement inspiré tant dans le traitement dramatique que dans le soin porté à l'image. Les films de Borzage exaltent la passion entre deux êtres que rien ne peut séparer, ni la misère, ni la guerre, ni la mort. J'ignore pourquoi le noir et blanc, d'une beauté inimitable, me rappelle les illustrations d'antan, gravures de Gustave Doré ou peintures de Caspar David Friedrich. Seuls les films de F.W. Murnau me font cet effet. Le coffret DVD, Prix du Syndicat Français de la Critique de Cinéma, rassemble trois autres chefs d'œuvre jusqu'ici inaccessibles, L'ange de la rue (Street Angel, 1928), Lucky Star et ce qui reste de La femme au corbeau (The River, 1929), complété par une foule de suppléments, entretiens avec Hervé Dumont, biographe de Borzage qui a supervisé l'ensemble, courts-métrages de la série Screen Directors Playhouse, entretien radiophonique avec le réalisateur, livret de 72 pages, etc. La frêle Janet Gaynor et l'indestructible Charles Farrell sont les héros des trois premiers, l'érotique Mary Duncan incarnant l'héroïne du quatrième.


Après ses démêlés salariaux avec la Fox, on retrouve Janet Gaynor aux côtés de Farrell dans la première version parlante de Liliom (1930), antérieure de quatre ans à celle de Fritz Lang. L'ascétisme des décors stylisés fait paraître naturelle l'intrusion de l'au-delà, images hallucinantes d'un train, très borzagien, entrant dans l'image comme une attraction foraine qui serait sortie des rails. L'amour, toujours, vaincra la bêtise et la mort.

N.B.: les séquences YouTube sont très loin de la qualité exceptionnelle des remasterisations éditées par Carlotta à l'époque de cet article du 28 février 2011.

Et deux chefs d'œuvre de Murnau


Carlotta [avait] aussi édité L'aurore et City Girl de F.W. Murnau, toujours sublimement remasterisés et rassemblés en un coffret rempli de suppléments formidables dont la version tchèque, dite européenne, du chef d'œuvre absolu que représente L'aurore, malgré son insuccès à sa sortie (avec Janet Gaynor !), en plus de la version américaine dite movietone. City Girl, avec les deux acteurs principaux de La femme au corbeau, est le dernier film de Murnau avant Tabou et son accident mortel. Le réalisateur montre déjà son inclinaison pour le naturalisme magique et son rejet d'Hollywood, même s'il réussit un généreux portrait de l'Amérique des grands espaces. Beaucoup plus cruel, direct et essentiel, Murnau peint pourtant au scalpel quand Borzage dessine au fusain.
Le muet ne doit pas rebuter les jeunes cinéphiles. Le noir et blanc y est symphonique, l'action universelle, la force poétique inégalée. Autant que possible, j'essaie d'évoquer dans cette colonne des films rares ou méconnus, abusivement réputés difficiles ou simplement redécouverts grâce au travail des éditeurs DVD. Comme tout chef d'œuvre, leur modernité est inaltérable parce qu'ils bravent le temps.

dimanche 27 février 2011

Moustoques (17)


Un soir à Kompong Chhnang j'ai réalisé une série de photographies sur une nuée d'insectes. C'est le genre de bestioles que l'on préfère voir en peinture que de les entendre vrombir à vos oreilles en plein milieu de la nuit. J'allume brusquement pour localiser le vampire. J'éteins. Je rallume. Je claque. Je serviette. Badigeonnage à l'Insect Écran. Rampage sous moustiquaire. Tous les moyens sont bons selon les endroits et les ressources. Parfois on se réveille boursoufflé, parfois les yeux gonflés de fatigue. D'autres fois l'on ressent un sentiment de victoire alors que l'on a occis un animal qui ne pensait pas à mal, mais voulait simplement se nourrir. S'il ne risquait pas de nous refiler une saloperie et que son anesthésiant ne démangeait pas on se laisserait peut-être aller à jouer à True Blood.
Rentrés à Paris depuis un mois, nous ne comprendrons pas comment hier soir, malgré le climat hivernal, un moustique pouvait avoir l'audace de vrombir autour de nos oreillers ?

samedi 26 février 2011

Aléas du voyage (16)


Le chauffeur du bus est un sale con. Comme il est furieux que quatre petites vendeuses de mangues aient réussi à grimper à une halte il referme les portes sur les gamines et ne les rouvrira qu'à la prochaine étape, quarante kilomètres plus loin. Nous aurions dû nous méfier. Ce salopard se fiche d'avoir oublié de nous déposer à Kompong Chhnang. Heureusement que je m'en aperçois à Udong, sinon nous débarquions ce soir à Phnom Penh. Évidemment personne ne parle une autre langue que le khmer et mes connaissances en ce domaine sont encore très limitées !


En faisant des pieds et des mains nous convainquons le propriétaire de la station de lavage de bus de prévenir un car qui roule dans l'autre sens et nous sautons en marche pour rebrousser chemin. Ouf ! Sauf que nous tombons en panne. Une marchande de fruits sur le bord de la route accepte de nous prêter son téléphone portable pour prévenir de notre retard la Sokha Guesthouse. Nous remarquons que, même dans le plus grand dénuement, pratiquement chaque cambodgien semble posséder un portable. La matrone qui dirige l'auberge en profitera pour nous rançonner, mais c'est de bonne guerre ! Dommage qu'elle ait continué à être si antipathique, car l'endroit est agréable. Le touriste est une vache à lait qui nourrit mieux que les buffles. Nous reprendrons contrôle de la situation le lendemain en faisant mine de partir.

La température nocturne ne nécessite nullement d'avoir recours à l'air conditionné, générateur de crève automatique, ni même au ventilateur, pourtant bien pratique pour éloigner les moustiques. Nous sommes dévorés et espérons échapper aux maladies que le Guide du Routard énumère avec une délectation sadique. Hormis cela, le Lonely Planet est dix fois plus pratique.

vendredi 25 février 2011

Retour de l'espoir


Les révolutions arabes prouvent que rien n'est jamais joué. Dans l'une de ses conférences, le philosophe Slavoj Žižek s'étonnait que chacun envisage la fin du monde, mais pas celle du capitalisme. La chute des dictatures montre que tout est possible, ou, comme le rappelle mon camarade Pierre Oscar Lévy à la fin de chacun de ses billets, "depuis le 14 janvier 2011, et le début de la Révolution Tunisienne, l'improbable est certain." Je n'irai pas jusqu'à croire, comme mon père me l'enseigna, que le bien finit toujours par triompher, mais la loi des cycles qui régit l'univers, du fait le plus intime aux chamboulements planétaires, de la physique du son et de la lumière à nos humeurs fluctuantes, montre que rien n'est inéluctable. En marge de l'entropie qui ne saurait être négligée si l'on tient sérieusement à notre planète, la révolution est le temps qu'il faut pour nous jouer de bons et de mauvais tours. Rien n'est stable. Aucun système, aucun corps, aucun atome. Le mouvement historique qui vient de commencer peut redonner espoir à tous les aquoibonistes, exploités du monde entier sous la coupe de quelques nantis qui leur font croire que c'est dans l'ordre des choses. De la Chine à l'Afrique, des Amériques à l'Europe, les gouvernements du monde entier sentent le danger d'un réveil des consciences. Car les opprimés de toutes sortes sont des millions de fois plus nombreux que les élites qui les oppriment ou les exploitent. Le démagogique Yes, we can! du président Obama pourrait signifier l'éveil de nos populations anesthésiées, formatées par le corps d'armée de la communication, télévision en tête. Taxé d'utopiste pour n'avoir jamais perdu mes illusions, j'ai coutume de répondre que tant qu'un seul homme résistera au renoncement ambiant le feu de la révolte ne pourra s'éteindre. Sur tout le globe les braises attendent d'être ranimées. Les capitalistes s'inquiètent avec raison, les banquiers fignolent leurs programmes de reconversion, les entreprises de travaux publics se frottent les mains, les marchands d'armes cherchent où créer de nouveaux marchés, et les femmes et les hommes, écœurés de l'arrogance et de l'impunité de ceux qui nous gouvernent, apprennent ou se souviennent que, pour changer le monde, il n'est que soi-même.

jeudi 24 février 2011

Instantané des âmes


Comme j'attendais une amie journaliste pour lui conter ma dernière facétie Internet, 60 heures de musique inédite et gratuite sur drame.org et un album mis en ligne le jour-même de son enregistrement, je regardais les usagers du métro remonter de la station Belleville en rang serré et de face. Ma photo ne rend pas l'expérience non préméditée que je tentai alors. Manque de culot ou respect de l'anonymat ? Probablement les deux.
Comme je cherchais de laquelle des six bouches de métro pouvait surgir mon rendez-vous, j'éliminai celle où la foule compressée entoure le marché de la misère, particuliers démunis vendant quelques rares objets de leur quotidien à des frères de galère, beaucoup d'hommes, très peu de femmes. Les sorties devant Paris Store et au milieu du boulevard charriant peu de voyageurs, j'avais le choix entre deux, proches de la rue de Belleville, occultant la remontée mécanique dissimulée que mon amie choisira évidemment, me surprenant dans mon exercice équilibriste.
Espérant l'apercevoir remonter l'escalier sur lequel j'ai jeté mon dévolu, je me concentre sur les mouvements de groupe, dévisageant chacune et chacun le plus rapidement possible. Il m'est impossible de m'attarder plus d'un quart de seconde sur une figure sans manquer la suivante. Au bout d'un moment j'attrape le rythme et commence à percer les regards éblouis par la lumière du jour comme épinglés par le flash d'un photographe. Plus j'insiste plus je m'enfonce dans ce qui est présent au delà de l'expression, cette arrière-pensée que les yeux ne sauraient cacher, le doute ou le bonheur, l'amertume ou la franchise, la distraction ou l'angoisse... Toutes les émotions du monde défilent devant moi comme des bolides dans un jeu vidéo. Cherchant à les attraper au vol, je les frôle comme un jongleur auquel toutes les quilles échappent, pas le temps de les toucher qu'elles repartent déjà dans un saut périlleux que le monte-en-l'air exécute pour ne pas se faire prendre à son tour. Vertige de l'improvisation qui n'autorise aucun faux-pas, j'étais aspiré par les figures de style de mon jeu lorsque mon amie sortit de nulle part, intriguée par mon air ahuri, comme si elle me réveillait en sursaut. Je lui expliquai que lorsque j'écris ou compose et que le téléphone sonne, mon interlocuteur s'excuse toujours d'interrompre mon sommeil.

mercredi 23 février 2011

Bamboo Train (15)


La fin d'après-midi sera plus amusante que le pèlerinage sur les lieux du crime. Nous empruntons un des derniers trains de bambou, une natte sur deux essieux et un moteur de tondeuse à gazon. Lorsque nous croisons un autre chariot qui ramène les paysans de la rizière un des deux conducteurs démonte et dépose son véhicule sur le bord de la voie pour laisser à l'autre le chemin sur les rails.


Et nous revoilà repartis à toute birzingue, agrippés à la barre, les cheveux au vent, avec le soleil qui se couche sur la campagne et le son des rails tordus qui nous secouent comme si nous étions à la Foire du Trône. Sur leur blog en temps réel, ma nièce Chloé et son copain Simon précisent que ce sont des roues de char allemand. À l'instant où je mets en ligne ils ont franchi la frontière vietnamienne.


Françoise avec sa caméra et moi avec mon Lumix filmons en HD plusieurs plans séquences dont l'un servira de générique de fin à Thème Je, laissé en suspens jusqu'à notre retour. Comme si Françoise filait vers de nouvelles aventures, les rails du chemin de fer se croisant à l'infini. Comme elle sait exactement comment l'intégrer elle cadre les rails sur la gauche pour laisser défiler les noms de toute l'équipe.

mardi 22 février 2011

Retour sur les Khmers rouges (14)


Nous sommes définitivement abonnés au tuk-tuk. Il nous promène dans la campagne au milieu des rizières où poussent palmiers et cocotiers. On fait du sucre avec les uns et la noix de coco se retrouve un peu partout dans notre alimentation, fraîche avec une paille, râpée, transformée en lait pour soupes ou desserts.


Quant au riz il est servi d'office avec tous les plats. Le thé vert est gratuit lorsqu'il est chaud à la théière. Nous nous plions à la coutume des étrangers qui ne boivent que de l'eau minérale et s'interdisent les glaçons. La petite bouteille ne coûte que 500 riels, soit 10 centimes. On en trouve souvent deux offertes dans les chambres d'hôtel. Il arrive que l'on se fasse racketter, mais comment le reprocher aux autochtones dont l'extrême pauvreté tranche avec notre pouvoir d'achat ?


La première halte n'est pas des plus réjouissantes, mais elle garantit au peuple cambodgien de ne pas oublier la sinistre époque des Khmers rouges qui assassinèrent 1,7 million d'individus, 20% de la population, de manières expéditives et plus brutales les unes que les autres. Sur cette colline de Phnom Sampeau on poussait les condamnés dans le vide jusqu'au bas de la grotte : 10 000 morts. Il suffisait de porter des lunettes ou de parler une langue étrangère pour être considéré comme un intellectuel, donc un ennemi de la révolution, et être immédiatement exécuté. Comment comprendre cette boucherie perpétuée souvent par des jeunes paysans, garçons et filles, illettrés, mais sous les ordres d'hommes ayant fait leurs universités à la Sorbonne ? On raconte que la CIA aurait conseillé aux fonctionnaires de rejoindre les Khmers rouges pour infiltrer le mouvement maoïste. La paranoïa aurait condamné illico l'intégralité des fonctionnaires, et à leur suite les enseignants, les médecins, etc.


Mais l'explication est évidemment beaucoup plus complexe. Il faut remonter loin dans l'histoire du peuple khmer, se rappeler la colonisation de l'Indochine par la France, la guerre du Vietnam qui généra autant de bombes sur le Cambodge et des plus sales (le mélange bombes lacrymogènes + napalm = bombes au cyanure, information non officielle qui sortira un de ces jours quand les USA seront accusés de crime contre l'humanité), l'autodestruction des Khmers rouges, les Casques bleus de l'ONU transformant le pays en un immense bordel pour arriver à la corruption de nombreux dirigeants (collusion avec la police et la mafia), la mise à sac du pays (dilapidation des bois précieux, minerais, pêche, etc., vendus à l'étranger)... À part le tourisme et l'industrie textile le Cambodge ne vit que de l'assistanat de pays étrangers. Nombreuses ONG font leur beurre sur le dos de la misère, tout le monde le sait. Il faudrait plus d'un article pour tenter de comprendre la boucherie des années 70 qui rappelle furieusement le délire des gardes rouges que le gouvernement chinois finira par zigouiller après les avoir créés. Octroyer le pouvoir de vie et de mort à des jeunes gens illettrés a déjà fait ses preuves dans l'Histoire.
L'un de nos conducteurs de tuk-tuk raconte qu'il avait trois ans lorsque ses parents, instituteurs, ont été assassinés sous ses yeux. Enfermé avec soixante autres gamins, sans boire ni manger, qui mouraient au fur et à mesure, il fut l'un des trois rescapés et fut ensuite adopté. On se souvient de la vague d'adoption qui avait atteint alors l'occident...


La suite de la visite est moins glauque. Françoise filme les petits singes qui gardent le temple bouddhiste. Le style est toujours très indien, kitsch à souhait.

lundi 21 février 2011

Battambang (13)


Battambang est une ville banale. Rien à voir de particulier. C'est ce qui nous enchante. Nous sommes plus intéressés par la vie quotidienne que par les attractions touristiques, fussent-elles aussi époustouflantes que les temples d'Angkor. Le matin nous faisons une visite à l'école du cirque qui recueille de nombreux orphelins et nous rentrons en moto-dop, à trois sur le siège. Le chauffeur essaye de nous arnaquer, mais après quelques jours nous nous laissons moins faire que dans les premiers temps. Il n'y a plus ici les hustlers fatigants à force de proposer sans cesse tuk-tuks, colifichets, menus, marijuana ou n'importe quel souvenir à la gomme, d'autant qu'ils ont pratiquement tous les mêmes. Nous fuyons enfin les restaurants à la cuisine édulcorée en ne mangeant plus que dans les petits bouibouis et sur les marchés. Ne me demandez pas ce que j'ai mangé ! La plupart du temps nous montrons du doigt ce que nous désirons en soulevant les couvercles des grandes marmites. Beaucoup de poulet que l'on voit courir partout librement, du porc, des abats, du poisson, boucané ou grillé, des crevettes...


Hier j'ai enfin trouvé du serpent d'eau séché et des insectes frits. La grosse blatte coûtait 1500 riels, l'équivalent de 25 centimes, une fortune ! Les cafards, sauterelles et autres cancrelats étaient plus raisonnables. Cela se mange avec du sel, du poivre et un filet de citron vert. Pour les plus grosses bêtes j'ôte les élîtres vraiment trop coriaces.


À Phnom Penh, le long du fleuve, vers le Palais Royal, je trouverai également des mygalles (un peu caoutchouteuses), de minuscules oiseaux, idem pour les crabes qu'on met entiers dans la bouche, et nous nous nous délecterons d'un plat de chèvre aux fourmis rouges...


On trouve toujours ce genre de mets à l'heure de l'apéro, quand le soleil se couche. Des danseurs de tous âges dont les figures chorégraphiques ressemblent aux variétoches télévisuelles envahissent les berges et se trémoussent suivant avec discipline un guide qui diffuse de la soupe rythmée à fond les ballons. On pense plus à de l'aérobic qu'à du taï-chi, mais cela ouvre certainement l'appétit.

dimanche 20 février 2011

Sur le Tonlé Sap (12)


Le mini-bus qui nous emmène à l'embarcadère pour traverser le lac Tonlé Sap faillit nous oublier, mais nous l'attrapons de justesse après l'avoir fait appeler par la réception de l'hôtel. Non contente d'avoir touché sa commission, mais cela c'est de ma faute, celle-ci nous a raconté n'importe quoi : en fait de quatre heures de navigation nous resterons à bord dix heures, l'eau étant trop basse pour avancer. Le conducteur du bateau et son jeune assistant doivent faire des pieds et des mains pour nous sortir de la boue, sciant les herbes qui se sont enroulées autour de l'hélice déjà bien entaillée pour avoir râpé le fond des canaux. Le voyage est superbe. Nous traversons des villages flottants qui bougent en fonction de la crue du lac alimentant tout le Cambodge.


Du pont du bateau ou du toit où un soleil de métal envoie des gifles brûlantes nous apercevons des enfants en uniforme à l'heure de la récréation. L'église aussi flotte au gré des saisons. Certains pilotis rappellent Kompong Phluk visité la veille.


Les pêcheurs, le plus souvent des femmes, utilisent un astucieux système de balancier pour jeter et remonter les filets.


Je voudrais un chapeau comme celui qu'elles portent pour les protéger du soleil avec un foulard attaché à l'arrière qui peut couvrir les épaules ou cacher la figure si on le ramène sur la bouche. La visière est très large. Deux petits lacets pendent de chaque côté. C'est parfait aussi pour éviter de respirer la poussière de la piste. La mode est aux carreaux, des petits, des grands, peu importe la couleur. J'en choisirai un bleu et un orange, mais je ne sais pas qui osera, à part moi, porter ce couvre-chef si j'en rapporte des marchés le long de la rivière.


La plupart des touristes photographient les enfants. Cela me gêne-t-il ou préfère-je capturer la nature avec mon objectif ? Une saleté a pénétré entre les lentilles. On voit parfois une tâche sur certains de mes clichés.


Comme je demande au capitaine si ce bel insecte pique, il me répond que son oncle et deux autres personnes de sa famille en sont morts. Je suis content d'avoir posé la question après avoir fait la photo.


Nous faisons halte sur un resto flottant où nous gouttons de succulents petits poissons grillés et sucrés, servis comme tout ici avec du riz blanc. Aux jumelles je scrute le ciel où volent pélicans, cormorans, divers échassiers, hirondelles et de jolis oiseaux bleu et vert. Je fais une petite sieste sur le toit de zinc de l'embarcation et nous arrivons en début de soirée à Battambang, deuxième ville du pays, dont j'ai appris depuis à prononcer correctement le nom grâce aux films visionnés à notre retour.

samedi 19 février 2011

Mangrove (11)


Parfois le réel est si prenant que la distance s'efface. Ce jour-là je n'ai pris aucune note. Les photos me ravivent la mémoire. Kampong Phluk est un village sur pilotis auquel on accède par bateau. À la saison sèche, le lac Tonlé Sap est quatre fois moins étendu qu'en période de mousson. Le cours du fleuve qui mène à Phnom Penh s'inverse alors, coulant dans un sens ou dans l'autre selon la saison.


Les échasses en bambou qui portent les baraques en planches ou en feuilles prennent tout leur sens. L'eau peut monter jusqu'en haut. N'étant jamais venu si tôt dans l'année, le chauffeur de tuk-tuk qui nous amène à l'embarcadère n'a pas l'habitude de faire une si longue route.


Les porcheries sont souvent accrochées au-dessus des viviers. Leurs déjections nourrissent les poissons qui y sont enfermés. On mangera les cochons comme les poissons.


Nous nous enfonçons plus loin dans la mangrove. Une petite fille de cinq ans aide sa mère qui conduit la pirogue en poussant avec un bâton pour nous désembourber.


Nous nous laissons porter dans le silence seulement dérangé par les clapotis. Nous ne verrons aucun reptile. Au fil de l'eau la gamine chante un air khmer...

vendredi 18 février 2011

Cinq films exceptionnels de Stéphane Breton


On a beau avoir des connaissances, des pressentiments, des a priori positifs, des antipathies profondes, des goûts éclectiques, sait-on jamais d'où viendra la surprise, l'émotion qui vous chamboule et remet les pendules à l'heure ?
Dans l'après-midi nous nous étions ennuyés ferme en regardant Nénette de Nicolas Philibert, soit les commentaires des visiteurs devant la vitrine du zoo du Jardin des Plantes derrière laquelle une vieille orang-outang de quarante ans fait la moue. Les compléments de programme (La nuit tombe sur la ménagerie et La projection du documentaire à Nénette) relèvent de la même absence de point de vue que le film. C'est tourné sans grâce, monté sans raison, relaté par la presse parce qu'il est convenu d'apprécier le travail du palmé, sélectionné par les festivals avec toujours la même paresse, absence de curiosité et perte de l'essentiel. On aurait pu imaginer que l'animal renverrait au regard des autres, que les visiteurs feraient les singes et que Nénette interrogerait notre humanité, que nenni ! Dans le documentaire les sujets cachent souvent le style, cette affaire de morale, ou son absence, alors qu'en fiction le public reconnaît très bien la différence entre une machine à faire des entrées et un film d'auteur.
Le soir tombé, comme j'attendais mes invitées, j'ai glissé dans le tiroir du lecteur un DVD qui ne me disait rien. Entendre que je n'avais aucun préjugé, qu'il aurait pu aller rejoindre la masse des usurpateurs sur mes étagères comme générer l'étonnement, recherché trop souvent en vain. L'accroche disait que cela se passait dans les plis et les ourlets du monde, dans ces endroits où l'on ne va jamais, et revendiquait l'absence quasi-totale de voix off, assez pour m'intriguer.


Et soudain, dès la première image, on sait que l'on est en face d'un grand film ! La vitre qui s'interposait entre le sujet et l'objet explose pour laisser la place au dialogue. Plus on avance dans les montagnes de Nouvelle-Guinée plus on est subjugué par le ton du commentateur, pas de voix off en effet, mais un cameraman hors-champ dont l'objectif ne triche jamais en faisant semblant de ne pas exister comme dans la plupart des films du genre, Jean Rouch compris. Stéphane Breton dirige la collection dont fait partie le coffret L'usage du monde vol. 2 réunissant cinq films qu'il a tournés, aussi exceptionnels les uns que les autres. Cet ethnologue, commissaire au musée du quai Branly, ne cherche pas la différence chez les peuples qu'il filme, mais où nous sommes et, par extension, qui nous sommes, lui le premier, retournant sur les lieux de ses crimes, année après année.
Eux et moi (2001) est aussi drôle qu'une comédie burlesque tant Stéphane Breton sait prendre le temps qu'il faut pour apprivoiser ses sujets. Sa complicité est telle que l'on se demande si tous les documentaires du genre que l'on a vus jusqu'ici n'étaient pas en fait chargés malgré eux d'une certaine forme de racisme ou de colonialisme, un ostracisme bienveillant. Sa caméra est un médium qui dresse un pont entre eux et nous, fuyant tout exotisme. Les sous-titres qui traduisent du papou ne cherchent pas arrondir les angles, ils piquent comme des flèches. Peinant à approcher ces hommes d'un autre monde, Breton tente d'éveiller leur curiosité en les attirant sur son terrain pour constater qu'ils sont du nôtre et réciproquement ! En renversant les rôles il ouvre une brèche qui va lui permettre de pointer ce qui tient de l'humain quelle que soit notre histoire, jusque dans la nuit des temps.
Son second film, Le ciel dans un jardin (2003), qu'il sait le dernier car le gouvernement indonésien ferme désormais ces territoires aux étrangers, est plus nostalgique, mais on rit tout autant avec les femmes et les hommes de cette tribu qui ont souvent le sourire aux lèvres. En 2007, à partir de ses nombreux voyages chez ses amis Wodani, Breton effectue un montage d'images fixes noir et blanc dont le grain produit un effet magique, Nuages apportant la nuit, composant une sorte de poème symphonique sur des musiques pré-existantes de Karol Beffa, un conte mystérieux et féérique où l'auteur se laisse aller à la rêverie comme une écriture automatique qui dicterait la succession des plans. Un tout petit bémol : pourquoi avoir ajouté de la musique classique, redondante et inutile, en deux courts endroits des autres films ?
Un été silencieux (2005) ne comporte aucun commentaire. Le conflit entre le patron et son employé tourne à la tragédie. Filmant l'estive des troupeaux kirghizes dans les Monts Tian Shan, près de la Chine, Breton suit les disputes des bergers où l'orgueil des mâles fait irrémédiablement monter le ton. On se fait tout petit.


Rentré chez lui et et filmant les rues de Paris comme Le Monde extérieur (2007), l'ethnologue-cinéaste montre à quel point son regard est précis et acéré. Les cadres sont justes, la partition sonore aussi riche que l'on puisse le souhaiter, d'ailleurs souvent post-synchronisée. Breton filme les gens et leurs traces en cherchant le trou par lequel s'écoule le trop-plein. Le monologue s'adresse à son ami des montagnes de Nouvelle Guinée, comme s'il regardait avec ses yeux. De film en film la comparaison est fatale.
Si vous aimez les documentaires, ne cherchez plus, commandez ce double DVD toutes affaires cessantes (Ed. Montparnasse). Ce sont les plus beaux, les plus drôles, les plus bouleversants que j'ai vus depuis longtemps. En filmant "ailleurs", dans des endroits où ne vont pas les touristes, avec un goût du détail invraisemblable, Stéphane Breton réfléchit mieux qu'un miroir. Il révèle que les choses ne sont pas comme elles sont, mais comme nous ne voulons pas les voir.


Pour plus d'information, savoureux entretien de Stéphane Breton par Stéphane Breton sur Arte TV et entretien radiophonique pour Télérama.

jeudi 17 février 2011

Dr Fish (10)


Siem Raep. À chaque coin de rue sont installés de grands aquariums remplis de Garra rufas où nous sommes invités à nous tremper les pieds. Pour 3$ les trente minutes une centaine de petits poissons vous sucent les arpions, avalant les peaux mortes et vous prodiguant maints bienfaits thérapeutiques. La première impression est électrique. Françoise se tord des rire sous les chatouilles.


Le préposé se sert de nous pour appâter les badauds. Une bonne heure plus tard nous sommes toujours là, détendus par le fish foot massage du Dr Fish. L'Ocean World du Paragon Siam Center de Bangkok en a fait une de ses principales attractions. En rentrant au Bopha Angkor Hotel nous nous apercevons qu'un bassin identique est situé juste en face de notre chambre ! Le lendemain je me referai donc une petite séance. Les poissons étant nettement plus gros je ressens très bien l'aspiration de leurs petites bouches. Mes pieds, plus appétissants que ceux de mes voisins à en juger par la grappe des bestioles qui s'y accrochent, sont devenus d'une douceur incroyable.
De retour à Paris, nous apprendrons que cette attraction gagne les centres de beauté européens...

mercredi 16 février 2011

Œuvres interactives épinglées comme des papillons


En 2008, j'eus le plaisir d'annoncer la mise en ligne de quelques uns des modules interactifs réalisés avec Frédéric Durieu sur le site LeCielEstBleu.org (alors encore .com). En 2009, Fred mit quelques exemples linéaires de l'inédit FluxTune, notre serpent de mer que j'espère toujours voir éditer prochainement. Mon coéquipier réitère l'expérience en proposant des démos linéaires de quelques unes de nos œuvres communes dont certaines sont inédites ou épuisées, tel Alphabet, notre hit de 1999 salué par une quinzaine de prix internationaux et souvent considéré "comme le plus beau et le plus abouti Cd-Rom de la courte histoire des Cd-Rom culturels".


Le jardin des délices et Planet Circus sont restés à l'état de prototype tandis que l'iMac Show est tel qu'il fut conçu. J'ai sonorisé ce dernier avec ma voix, mais les animaux du cirque sont tous bien réels. Le jardin des délices présenté ici n'est qu'un extrait du pilote pour lequel nous avions réalisé toute l'introduction et un tableau de chacun des trois panneaux du triptyque.


Alphabet est une adaptation d'un livre de l'illustratrice tchèque Kveta Pacovska réalisé en trio avec Murielle Lefèvre. La graphiste du jardin des délices, inspiré de Jérôme Bosch, est la Colombienne Veronica Holguin. Thierry Laval est celui de Planet Circus. On trouvera les génériques complets sur la page YouTube de chaque film.


Tous les liens donnés ici permettent de se faire une petite idée de notre travail, mais il est important d'avoir en tête que toutes ces œuvres sont destinées à se laisser apprivoiser par leurs utilisateurs. Chacun peut se les approprier comme le font les gamers des jeux vidéo.


Si vous voulez jouer vous-même avec ces œuvres interactives, rendez-vous sur le site LeCielEstBleu.org, mais il est indispensable de télécharger auparavant le plugin Shockwave et de l'installer si vous ne l'aviez déjà fait...

mardi 15 février 2011

Au tour d'Angkor (9)


Comment et pourquoi écrire sur Angkor lorqu'il existe tant de guides et d'ouvrages spécialisés pour vanter la magie de ses 287 temples ? Je n'imaginais pas le site si étendu et la variété des édifices dégage un tel émerveillement.


En trois jours nous avons accumulé le petit et le grand circuit, plus quelques excursions plus éloignées de Siem Raep, soit à peu près tous les temples les plus recommandés, du majestueux Angkor Wat dont le nombre des visiteurs est à la mesure de son gigantisme au Ta Prohm envahi par les racines des fromagers en passant par les tours aux quatre visages du Bayon, les fresques ciselées du Banteay Srei (là où le jeune pilleur Malraux se fit prendre la main dans le sac) et le Beng Mealea laissé en l'état où il fut découvert.


Passé les trois lieux les plus courus nous découvrons chaque temple dans le calme et la sérénité de la végétation environnante, parfois envahissante.


Lors de nos visites nous sommes plus sensibles à la géographie qu'à l'histoire. Je ne suis pas si touché par le style alambiqué de l'art khmer que je trouve un peu chichiteux, trop chargé, anticipant les vêtements asiatiques avec nœuds-nœuds, volants, dentelles qui surchargent inutilement. Les étoffes sont belles, mais les coupes abominables. Comme j'apprécie mieux la modernité de l'art roman aux pompes du gothique flamboyant ! Les fresques d'Angkor n'ont pas la puissance et la folie de l'Inde qui les ont alimentées, mais l'ambiance des sites est fantastique.


Pour 15$ la journée (le Riel n'est utilisé que pour la petite monnaie, le dollar s'est imposé avec les contingents de l'ONU après la période des Khmers Rouges où l'argent avait été aboli), un tuk-tuk nous emmène et nous attend à chaque station. Sur le chemin tandis qu'il s'approvisionne en essence je photographie une station-service !


À l'arrivée à l'aéroport le chauffeur du taxi se propose de nous conduire les trois jours suivants, mais il nous fera faux bond le matin du second bien que nous n'ayons pas encore payé sa journée effectuée. Un autre chauffeur de tuk-tuk qui baragouine quelques mots de français offre évidemment de prendre le relais. Deux jours plus tard le premier réussit à nous retrouver, mais il ne viendra pas non plus au rendez-vous où nous devions lui régler sa journée...


Au Cambodge il est crucial d'identifier le sourire commercial du sourire désintéressé ; le pôle touristique d'Angkor fausse la donne et bat les cartes de la logique. La générosité sur certains points est contrariée sur d'autres, et ce de manière pour nous absurde et inexplicable. Nous apprendrons plus tard les ressorts de la psychologie khmère.

lundi 14 février 2011

Frictions (8)


Altercation dans l'avion qui nous emporte au Cambodge avec un trou du cul qui se prend pour le nombril du monde. C'est le monde à l'envers. Le paltoquet pousse rageusement nos sacs prétendant que le coffre à bagages au-dessus de son siège lui est assigné. Comme je ne me laisse pas faire le malautrou, qui ne sait visiblement pas reconnaître corporellement l'envers de l'endroit, prend la mouche, l'insecte embourbé lui collant à la peau. L'arrogance de l'homo touristicus s'exprime hélas dans des occasions plus critiques comme à l'aéroport où je surprends des mâles blancs d'une vulgarité effarante envers les Thaïs qui en cette occasion font mine d'être sourds. La scène est ahurissante, superposition de deux temps sans aucun contact. Mélange de racisme ordinaire et d'un reste de colonialisme écœurant, on préférerait ressembler à n'importe quoi d'autre qu'à un Occidental. Occident, le nom de l'extrême droite française avant de devenir le Front National...
Les couples mixtes devraient incarner le contraire de cette attitude hautaine, mais ils inspirent hélas souvent le doute lorsqu'il s'agit d'un quinquagénaire libidineux et d'une jeune Asiatique trente ou quarante ans plus jeune. Contrairement aux préjugés répandus le tourisme sexuel n'a pas généré la prostitution en Asie. Ne représentant que 20% de ce commerce qui permet à ces jeunes filles de nourrir un temps leur nombreuse famille, il a seulement choisi d'investir une spécialité locale comme d'autres optent pour le soleil. Sans entrer dans les détails, les blancs qui viennent ici chercher une épouse profitent honteusement d'une culture machiste qui place les femmes à un rang subalterne, servile et intégralement dévouée. Il arrive même qu'une femme mariée, ce sont elles qui tiennent les cordons de la bourse, donne des sous à son mari pour qu'il aille voir les filles ; tant que c'est tarifé l'honneur est sauf ! Il existe bien entendu maintes histoires d'amour qui font fi des particularités culturelles, mais les couples entrevus par ici sont trop souvent des caricatures où la différence de sexe renvoie directement à la différence de classes. D'un autre côté, la prostitution n'est pas si éloignée des conventions sociales qui régissent les lois du mariage occidental ou encore la vente de sa force de travail à un patron, sauf qu'ici elle s'expose ouvertement, sans complexe et même avec une certaine fierté de posséder une femme jeune et jolie, entièrement au service de son seigneur et maître.


Au cours de notre voyage nous allons être plusieurs fois confrontés à la prostitution, dans les bars à filles de Phnom Penh ou sur Sukhumvit à Bangkok où des centaines de jeunes filles font la retape sur le trottoir et devant les hôtels spécialisés. Dans le quartier musulman il est hallucinant de croiser des femmes voilées mélangées à ces gamines en jupettes ultracourtes. Nous comprenons mieux pourquoi l'Hôtel Atlanta interdit la clientèle sexuelle, mais là j'anticipe de trois semaines...

dimanche 13 février 2011

After


Merci à toutes celles et tous ceux qui sont venus nous écouter. Votre chaleur fut communicative. Jouer sans filet produit le lendemain un vertige confondant l'apesanteur et la chute en posant mille questions. Nous savons ce que nous avons commis, mais seuls les films tournés hier soir ou l'enregistrement réalisé par l'équipe du Triton pourront me permettre d'imaginer ce qui fut entendu. Vincent dit qu'il voulait être concentré comme si la musique était écrite. Il proposa une forme sonate (allegro, presto, adagio, finale) en demandant à ce que le public n'applaudisse pas entre les mouvements. Dégagés des contraintes de la composition dont l'instrumentation structurait l'heure exacte que nous avions pressentie, les rappels eurent la légèreté de la détente, le sourire nous dictant ces miniatures complices.
Jusque tard dans la nuit nombreux amis participèrent à un after d'une grande délicatesse où ma fille Elsa chanta en grec, en russe et en italien avec Vincent Segal au violoncelle, Lucien Alfonso au violon, Pascale Labbé à la guitare, Antonin-Tri Hoang au xaphoon, myself à la guimbarde. La soirée s'acheva librement dans un délire vocal de Pascale rejointe par mes facéties électroniques portables et les infatigables archetiers.
La maison résonne maintenant d'un silence que je ne peux apprécier qu'après avoir rangé mes instruments. Le concert ne se termine qu'avec cette remise à zéro quasi maniaque, me permettant de tourner la page en y apportant toujours un paquet de ratures, mise au poing musclée justifiant qu'on se frotte à l'avenir.
Mais déjà le passé nous rattrape. Peter Gabor, aussi rapide que l'éclair, met en ligne un montage d'extraits du concert sur Vimeo dans un beau noir et blanc qui colle bien avec la musique (enregistrement audio), plus une série de photographies où l'on retrouve son goût pour les fondus, le tout rassemblé sur son blog.

samedi 12 février 2011

Duo Birgé Segal au Triton ce soir à 21h


Cherchant un titre à notre duo, j'ai tout de suite pensé à Duchamp. Comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d'une machine à coudre et d'un parapluie semble avoir été créé pour nous. On reconnaîtra facilement l'analogie avec le violoncelle de Vincent Segal et mes détournements. Notre art serait-il une savante entreprise de déconstruction qui transite par des années d'analyse pour sauter directement au passage à l'acte ? Une histoire de fous, en somme.
Le programme détaille :
Si le violoncelliste Vincent Segal ne craint pas la pluie, le compositeur Jean-Jacques Birgé possède une collection d'aiguilles. Sur scène tout est possible. Sérieux comme des bouffons, ils nous convient à partager leur nouveau chant de Maldoror, parodiant tout ce qui tombe entre leurs mains sans renier leur amour pour les lieux communs, le romantisme et le naturalisme, l'improvisation et les musiques contemporaines quelle que soit leur époque. Les machines célibataires de Birgé se laissent séduire par le lyrisme et l'élégance du violoncelle de Segal pour construire ensemble la plus humaine des Ève futures. Les deux joyeux adulescents attaquent la musique à l'acide comme une paraphrase critique du monde où ils ont grandi et qui n'est plus qu'une caricature de lui-même. Leur distanciation crée le vertige en incarnant la victoire de l'imaginaire sur le réel.
avec
Vincent Segal - violoncelle, frein et arbalète
Jean-Jacques Birgé - MascaradeMachine, Tenori-on, trompette à anche, flûtes, etc.
L'arbalète, le frein, la trompette à anche et les flûtes ont été construits par Bernard Vitet dans les années 70. MascaradeMachine est un instrument virtuel conçu par Antoine Schmitt et J-J Birgé en 2010.
J'ai fourni une photo que Françoise avait faite l'an passé au moment de notre visite-concert de l'exposition Vinyl à la Maison Rouge. J'ai relu ce que nous avions imaginé pour cette rencontre rare.
Ce soir, samedi 12 février à 21h au Triton

, nous improviserons librement en nous laissant aller au plaisir de jouer ensemble et de partager ces instants avec le public. En relisant cette dernière phrase ou si j'écoute ce que nous avons déjà enregistré ensemble il me semble avoir bien changé depuis les spectacles d'Un Drame Musical Instantané...

vendredi 11 février 2011

Le baiser de la femme araignée


Étonnant comme l'on peut être sensible ou pas à un film, un livre, une musique !
J'ai bien aimé l'énigme du polar Requins d'eau douce d'Heinrich Steinfest (Carnets Nord), ses ressorts inattendus, mais je suis resté en retrait de son style sec. Je me pose toujours des questions sur la littérature étrangère qui ne me préoccupent pas lorsque les auteurs sont francophones. Cette frustration vient-elle de l'original ou de sa traduction ? Sur ma table de nuit m'attendent les textes sur le cinéma d'Alain Badiou (Nova Éditions), les entretiens avec Werner Fassbinder (G3J) et David Lynch (Cahiers du Cinéma), plus des romans qui m'obligeront peut-être à me poser, Marina de Carlos Ruiz Zafon, Le quai de Ouistreham de Florence Aubenas que Françoise a adoré et Un mage en été d'Olivier Cadiot qu'elle a emprunté pour moi à l'excellente Médiathèque de Bagnolet. En général j'aime justement beaucoup le style de Cadiot, sa musique. Le style. L.F. Céline en parlait très bien. Le style est plus important à mes yeux et mes oreilles que les histoires racontées. Une excellente raison pour égratigner la majeure partie de la production cinématographique actuelle, empêtrée dans les conventions imposées par la narration ou reportages démonstratifs...
Pourtant je n'ai pas accroché à Oncle Boonmee du Thaïlandais Apichatpong Weerasethakul qui semble enchanter pas mal de monde. Les images sont belles, mais le rythme, très personnel, est malgré tout mollement bancal. Est-ce magiquement stylé ou simplement maniéré ? Peut-être est-ce ce fichu sens du sacré qui me fait défaut ? Ou aurais-je une façon tordue de l'appréhender ? Je le sens lorsque je discute de Pasolini ou Bergman avec les amis. Le mysticisme me barbe quand il se substitue à l'inconnu. Comme si la question sans réponse le resterait éternellement ! J'ai essayé de regarder les Enquêtes extraordinaires de Stéphane Allix (Ed. Montparnasse), mais l'accumulation de témoignages ne mène nulle part. J'espérais quelque polémique entre divers scientifiques et philosophes pour m'aider à terminer le feuilleton un peu science-fiction dont il ne me reste que sept épisodes sur cinquante à écrire...
Question du style toujours avec Edward II de Derek Jarman. Le punk baroque appliqué à Marlowe m'horripile rapidement. Surcharge, surjeu, surtout. Tout paraît ampoulé, crémeux, redondant. L'icono homo accouche parfois de ce genre de monstre misogyne.
Le baiser de la femme araignée d'Hector Babenco, réalisateur brésilien d'origine argentine, m'inspire l'inverse (les deux DVD sont publiés par Carlotta). L'homosexualité n'est pas le sujet, mais le machisme qui produit les pires horreurs sur Terre. L'écrivain Manuel Puig révèle le secret de l'origine de son roman dans l'un des bonus. Il n'a pu trouver une seule femme qui revendique son asservissement à l'homme. Seul un travesti pouvait tomber dans le panneau, hors la réalité, dans le fantasme sans hésiter. Le film de 1985 n'a pas pris une ride. Deux prisonniers partagent la même cellule sous un régime dictatorial. Le film dans le film, raconté à l'un par l'autre, souligne l'évasion impossible. À la caricature de militant joué par Raul Julia répond l'extraordinaire finesse du personnage interprété par William Hurt, catalyseur d'un miroir aux faces multiples qui creuse l'inconscient en explorant les abysses de la sexualité et du pouvoir pour révéler la dignité de l'être humain. La résistance se dévoile sous des visages inattendus...

jeudi 10 février 2011

Le tuk-tuk en folie (7)


Les deux motos-taxis nous ramènent au speed-boat qui traverse les îles sauvages dont les arbres ont les pieds dans l'eau. Françoise filme les docks à l'arrivée dans le port de Ranong. J'ignore si les centaines d'individus une feuille de papier à la main qui font la queue sont des immigrants birmans ou des candidats à l'emploi, mais leur nombre est impressionnant. Le hangar à l'écart semble discret, à peine entrevu depuis le bateau.
Sur la terre ferme nous retrouvons l'ambiance de la Thaïlande avec ses petites échoppes et son grand marché où nous savourons un délicieux café thaï, version locale de ce que nous appelions café lao lors de notre précédent voyage, mélange de café noir infusé dans une chaussette et de lait concentré sucré, servi avec un verre de thé vert pour nous rincer la bouche après que l'épais breuvage ait envahi nos papilles. Nous ne dormirons pas de la nuit !


Le tuk-tuk bleu que nous avons hélé au passage oublie de nous déposer aux sources chaudes et nous fait faire le tour de la ville pendant une heure trente alors que les eaux sont à cinq minutes du Palmy Home, 300 Baths la nuit et une liaison wi-fi qui nous permet de réserver avion et hôtels pour la suite de notre périple. Sur le chemin des écoliers, remontant à la source, notre chauffeur, qui n'a visiblement pas inventé l'eau chaude, racole doucement les clients sans les voir et c'est moi qui les lui signale ! Inversement, il se frappe chaque fois le front lorsqu'il prend un grattement de nez pour une sollicitation de s'arrêter. Sur les docks que nous découvrons côté coulisses nous croisons notre premier éléphant, en plein travail.


Retour à la case départ. Nous plongeons nos petons dans une eau sulfureuse à 60° avant de déguster de succulentes brochettes d'œufs frits en apéritif. Un peu de shopping, mais les Thaïs se couchent très tôt, deux grandes soupes, et nous nous envolons le lendemain pour Siem Raep (Angkor) via Bangkok.

mercredi 9 février 2011

Histoire de rat (6)


Je reprends le journal de notre voyage en Asie réalisé en janvier... Sixième chapitre.
Que des rongeurs fassent la java au-dessus de nos têtes, nous empêchant de dormir, peut être contrariant, mais Françoise n'apprécie pas du tout qu'un gros rat lui tombe du faux plafond tandis qu'elle accroche son sac à un clou. Je vois l'animal galoper sous le lit, mais le temps que je tourne la tête vers ma compagne il a déjà disparu comme par enchantement. Il n'existe pourtant aucun trou dans le plancher de bois. Les jeunes Thaïs de la réception arrivent avec un chat qui, après avoir fait plusieurs fois le tour de la chambre, ira se prostrer derrière la cuvette des cabinets ! Comme nous insistons nous passons exceptionnellement la nuit dans un autre bungalow. Le lendemain matin, Françoise se met en quête d'un endroit moins exposé. Dans le resort (hôtel) d'à côté tout le monde est affairé à chasser un serpent grimpé sur la terrasse ! À tout prendre nous gardons notre rat pour les deux nuits qu'il nous reste à passer avant de regagner la terre ferme.
Coup de théâtre le lendemain soir. Des amis québécois nous ont acheté une assiette de glu au milieu de laquelle nous avons placé quelques cacahuètes grillées. Un gros rat s'y est collé les pattes et se débat comme un beau diable, hésitant nerveusement entre le fuite et le butin, trimbalant avec lui le piège tragique. Je rate le premier coup de gourdin. Je le fais couiner au second et l'achève au troisième avant que Françoise ne me rejoigne. Cela ne me plaît pas du tout. J'arrête là mes activités criminelles car, sinon, le quatrième coup aurait été destiné au DJ d'à côté, adepte des sub-basses minuit très largement passé. Le matin, j'aperçois le museau du gecko que je soupçonne avoir été l'adversaire nocturne du gros rongeur.


L'atmosphère est devenue lourde et humide. L'horizon s'est dégagé laissant apercevoir la Birmanie derrière les bateaux de pêche, énormes araignées d'eau au milieu de leur toile. Nous dégustons leurs calamars au barbecue. Nous avons dégotté une gargotte derrière l'hôtel où tout est délicieux et moitié prix de celles installées sur la plage. Une petite dame sous un parapluie qui la protège du soleil, ici la peau blanche est le nec plus ultra, passe proposer du riz gluant à la banane entouré d'une feuille de bananier. Dès qu'il fait un peu trop chaud nous allons piquer une tête dans les vagues, cette fois sous la pluie. mais nous nous faisons picorer par le plancton. Cela change un peu des sun flies, petits insectes énervés qui ont couvert Françoise de petits boutons et du crabe de terre qui l'a pincée en passant.

mardi 8 février 2011

Un album en une journée, du rêve à la réalité


Mettre en ligne un album le jour même où il est imaginé et enregistré ! Une heure de musique inédite, en direct ou téléchargeable gratuitement sur le site drame.org. Le nouveau trio réunit la chanteuse danoise Birgitte Lyregaard, le polyinstrumentiste Sacha Gattino et moi-même.
Hier lundi nous avons donc composé, enregistré, produit et publié un album entier de notre nouveau trio.
Improvisateurs chevronnés, entendre des compositeurs ayant suffisamment travaillé dans le passé pour avoir rassemblé des caisses de biscuits et pouvoir les digérer le temps d'une session de trois heures, technophiles ayant suffisamment roulé leur bosse pour détenir leurs moyens de production et être capables de maîtriser ces nouveaux outils, zébulons assez fous pour mettre en ligne le soir le travail de la matinée, nous nous sommes bien trouvés tous les trois, d'autant que l'entente est parfaite, tant au niveau des humeurs que de la musique.
Alors que j'ai la chance inouïe de jouer au Triton (Les Lilas) samedi prochain avec le violoncelliste Vincent Segal, et nous nous entendons comme larrons en foire, une histoire de pur plaisir et de complicité absolue, je fais coup double en montant un trio avec Birgitte Lyregaard (qui vient de sortir un très bel album de jazz intitulé Blue Anemone avec le pianiste Alain Jean-Marie sur Challenge et qui a plus d'une corde à son arc vocal, sic) et Sacha Gattino (alter ego du nouveau siècle avec qui j'ai déjà enregistré, entre autres la musique du dernier film de Françoise Romand, Gais Gay Games). Avec Vincent comme avec mes deux nouveaux acolytes, l'ambiance est la même. Détente et concentration maximales. Les deux conjuguées nous laissent croire que tout est écrit alors que nous inventons à chaque pas sans ne rien savoir à l'avance de notre voyage. Ensuite, chaque auditeur/auditrice y trouvera ou non son bonheur, mais l'essentiel est que nous soyons aux anges, avec l'irrésistible désir de nous retrouver et de continuer.
Au delà de cette excitation de la découverte, le principe de cette journée productive pose de sacrées questions sur l'industrie du disque. Nous aurions probablement pu améliorer le montage en coupant quelques longueurs, enregistrer en multipistes pour parfaire le mixage, compresser l'ensemble pour offrir un master exemplaire, recommencer quelques prises, faire des morceaux plus courts, mais le fait est là, la musique est accessible dans le monde entier quelques heures seulement après en avoir rêvé !

lundi 7 février 2011

Saisonniers et petits retraités astucieux (5)


Certains saisonniers et retraités ont découvert le bon plan pour rendre leur vie plus agréable. Plutôt que de se morfondre sous la neige canadienne ou se geler sur les marchés ardèchois, ils émigrent en Asie quelques mois par an. Ils se rendent ainsi chaque année sur l'île de leurs rêves ou voyagent de pays en pays. Qu'ils rayonnent en Thaïlande ou découvrent Laos, Cambodge, Vietnam, ils passent de merveilleuses vacances moins cher que s'ils étaient restés chez eux. Internet les alerte des vols en promotion et les voilà partis pour une vingtaine d'euros en Malaisie, au Sri Lanka ou en Inde.
Un couple de Québécois sylviculteurs coupent leurs téléphone, électricité, assurance automobile, etc., ne conservant que leur loyer. Ils s'offrent un tiers de l'année au soleil, les doigts de pied en éventail et le sourire aux lèvres. De temps en temps des copains viennent les rejoindre pour partager la magie de ces paradis asiatiques. Ils s'extraient souvent des brutalités du monde médiatisé pour se retrouver entre eux et vivre des aventures uniques, alternant repos et découverte. D'autres, plus politisés, dévorent les livres d'histoire de la région et continuent à rêver d'un monde meilleur.


Ce régime de bananes n'a rien à voir avec celui des expatriés, qu'ils soient retraités à demeure ou actifs professionnellement. En Thaïlande il existe un visa spécial pour les seniors qui souhaitent y prendre leur retraite, mais y vivre en permanence pose maint problème d'intégration. Il devient nécessaire d'apprendre la langue, faute de quoi ils sont condamnés à ne se fréquenter qu'entre eux et nombreux craquent et reviennent en France au bout de quelques mois ou années. Les ressources culturelles de Chang Mai ne sont pas non plus celles de Bangkok. Au Cambodge, les expatriés que nous rencontrerons sont essentiellement des intervenants ONG, et là on croise toutes sortes d'individus, depuis les exploiteurs du charity business, sangsues que l'on peut tout de même évaluer à 60% de cette blanche occupation, jusqu'aux idéalistes militants qui espèrent heureusement soulager le fardeau de la population et militent activement pour former plutôt qu'assister...

dimanche 6 février 2011

Bain de minuit forcé (4)


Toujours à la recherche d'un bon endroit où manger, nous franchissons une rivière qui se jette dans la mer, coiffés de nos lampes frontales. À l'arrière mon dos brûlé sert de catadioptre si des motocyclistes s'aventuraient sur la plage à cette heure. Le resto de ce soir offrant le wi-fi gratuit nous choisissons d'y déguster d'exquis calamars au barbecue, du poulet au curry vert et des rondelles de banane flottant dans le lait de coco. Les calamars sont pêchés du matin, le poulet a gambadé librement s'il ne s'est pas fait écraser sur la route, rien de plus local que les bananes et les noix de coco. L'une d'elles a même failli nous assommer dans sa chute.
Nous n'avons pas le choix des horaires pour nous connecter car les groupes électrogènes ne fonctionnent que de 18h à 23h. Au retour la marée est montée à vitesse V et dans le noir je ne me rends pas compte de la profondeur du bras de mer. Je réussis à sauver mon pantalon que j'avais pris soin de retirer et que je tiens en boule à bout de bras, mais je me retrouve d'un coup avec de l'eau jusqu'au cou. Heureusement que les soirs sont cléments. J'ai sauvé mon iPhone et mon appareil-photo que j'avais pris soin d'enfouir dans les multiples poches de mon pantalon en coton acheté à Bangkok il y a trois ans, c'est le vêtement idéal pour se balader sans sac. L'océan s'énerve plus que les jours précédents, mais la pente sableuse est très douce, du moins lorsque l'on sait où l'on met les pieds.


De jour c'est tout de même plus facile ! Au large croise un navire de guerre, car les relations frontalières avec la Birmanie ne sont pas toujours au beau fixe. À l'origine nous avions prévu d'y partir, mais les élections de novembre rendaient la situation politique incertaine. Ce sera pour une autre fois. Lorsque nous nous baignons nous sommes souvent les seuls dans l'eau sur cette immense plage où le sable fin n'est dérangé que par les petits crabes qu'ils tatouent de milliers de petits trous étoilés...

samedi 5 février 2011

Mariage de la carpe farcie et du lapin


Comme je l'ai annoncé fin décembre je ne compte plus bloguer 7 jours sur 7, mais m'octroyer deux jours de pause le week-end où la fréquentation du site est systématiquement un peu plus calme. Je suis incapable de m'en tenir à cette bonne résolution, année du lapin oblige. Nous avons en effet reçu une menace de grève de notre clapier si nous ne marquions pas le coup. Le délégué syndical de Nabaz'mob a insisté sur le fait que leur énergie légendaire nous alimente depuis plus de quatre ans et puisqu'une partie de leurs gènes sont chinois il est légitime que nous fêtions avec eux le nouvel an. Heureux de répondre positivement à leurs revendications je suis allé faire quelques emplettes à Belleville où tambour, gong et cymbales précédaient les rafales de pétards.


Déjà ce matin en dévalant la rue du Chemin vert je croisai trois groupes de dragons éclatants et notai au passage que leurs entrailles étaient mixtes, les deux tiers seulement des protagonistes étant asiatiques. Le Sentier s'est donc mis à l'heure chinoise jusque dans ses traditions millénaires, mariage de la carpe farcie et du lapin. À quelle hydre ressemblera leur progéniture ? Dragon moi-même, j'espère trouver les accords, mélange savant de consonances et dissonances, qui me permettront de vivre en harmonie (musicale) avec les nouveaux maîtres du monde, ce qui menace de ne pas être une sinécure.

vendredi 4 février 2011

Thaï Massage (3)


Le farniente occupe activement les jours suivants et les nuits sont plus douces depuis que j'ai fait fuir le rongeur en frappant le plafond avec une branche de papayer. Mon dos a rougi pendant une tentative de snorking (masque et tuba) qui s'est avérée plutôt décevante car à cet endroit les récifs coralliens sont abimés et l'eau trouble, ce qui n'empêche pas les poissons de pulluler. En mourant le corail perd ses couleurs.
La cuisine thaïe est bonne, mais un peu limitée. La noix de coco et le piment restent ses meilleurs atouts. Je ne cesse de préciser phêt phêt pour que le cuisinier n'atténue pas le feu qui tapisse mes papilles et renforce le goût des plats. Après avoir dégusté un succulent ananas en espérant qu'il brûle ma graisse, je me laisse aller aux vertus du massage pendant près de deux heures, allongé sur une natte au bord de l'eau, avec les mêmes doutes qu'il y a trois ans. Il est agréable de se faire faire des papouilles, mais je ne sens pas l'écoute des magiciennes chinoises. On ne doit pas confondre massage de confort et massage médical tel que pratiqué dans les hôpitaux.


Si l'eau est courante nous n'avons du courant que le soir lorsque sont mis en route les groupes électrogènes, moment où nous nous enduisons d'Insect Écran, des fois que les moustiques nous prennent pour cible. Il y en a beaucoup plus qu'à notre dernier séjour asiatique à la même époque, mais cela reste raisonnable en saison sèche. En rentrant nous croisons des écriteaux qui rappellent les drames récents. Le panneau suggère de gagner les hauteurs, mais c'est une forêt infestée de serpents !

jeudi 3 février 2011

Cochon qui s'en dédit


Cochon qui s'en dédit est un film gore si j'en juge par la définition qu'en donne le Petit Robert, « qui suscite l'épouvante par le sang abondamment versé ». Il ajoute « La drôlerie du gore vient de l'excès ». Le film est infesté de gorets à en vampiriser le jeune éleveur breton enfoncé dans un cauchemar de productivité dont les cadences infernales le mènent forcément à la catastrophe. L'allégorie porcine renvoie à l'aliénation de l'homme dans la société industrielle qui l'aspire dans une spirale où règne la confusion jusqu'à lui faire perdre ses repères. Il finit par faire corps avec la machine qui le broie, avec ses bêtes qu'il nourrit et saille dans un cycle pasolinien où le sexe et la merde finissent par tout submerger. En compléments de programme de ce remarquable DVD Jean-Louis Le Tacon filme L'homme-cochon, 20 ans plus tard dans les ruines de la porcherie avant que le cancer ne l'emporte. Un atelier pédagogique à l'EESI de Poitiers avec Patrick Leboutte lui permet de revenir sur sa démarche, empruntée à Jean Rouch, ici plus ethnographie partagée que cinéma-vérité au vu des libertés qu'il s'octroie en filmant en Super 8 l'éleveur qu'il aide activement pour le rembourser du temps qu'il lui vole avec son tournage. Cochon qui s'en dédit participe pleinement à la collection éditée par les Éditions Montparnasse qui ont déjà publié de passionnants coffrets sur le cinéma militant de mai 68, mais, par cette folie qu'il mit en scène en 1980, dépasse l'imaginable pour atteindre à la banalité cruelle de ce qu'est devenue notre époque. En comparaison, ses Bretonneries pour Kodachrome représentent une satire gentillette des us et coutumes folkloriques de la Bretagne. Le Tacon montre une forte compassion pour les sujets qu'il filme de la manière la plus critique. N'empêche que les images démentes, réelles ou fantasmées, resteront longtemps gravées dans notre mémoire comme autant de signes terribles de ce qu'a pu produire l'absurdité économique et sociale du capitalisme.

mercredi 2 février 2011

À l'horizon la Birmanie (2)


il n'y a que quelques pas à faire dans le sable pour plonger dans l'Océan Indien. Par temps clair on peut apercevoir la Birmanie (Myanmar). Les grands bateaux ressemblent à des vaisseaux pirates faits de bric et de broc comme dans les élucubrations hollywoodiennes du cinéma australien. Ils pêchent les calamars de nuit avec de puissants projecteurs.


Après avoir traversé des plantations d'hévéas et de noix de cajou nous avons rejoint à pied la côte est. Des aigles de mer et de petits échassiers nous surveillent comme nous attaquons les pentes douces de l'étroit bitume qui sert de route aux scooters. En Thaïlande on roule à gauche. Sur l'île les automobiles sont interdites. Nous rentrons en taxi-mob à temps pour profiter du soleil rouge s'enfonçant sur l'horizon comme dans une boutonnière.


Je dévore L'ombre du vent de Carlos Ruiz Zafon qu'Elsa m'a offert pour Noël. Nous sèmerons nos lectures au fur et à mesure sur notre route pour alléger nos bagages et faire de la place pour de nouveaux trésors. Françoise fait une cure de sommeil pendant que je me laisse aller à la rêverie annoncée. Hélas, à cent mètres, les sub-basses du bar psychédélique nous réveillent, techno allemande comme la plupart des touristes de cette île paradisiaque non répertoriée par le Routard. Nous préférons aller faire un tour pour voir ce qui se passe sur la plage à minuit plutôt que pester contre cette pollution nocturne.


Deux jeunes Thaïs font s'envoler des montgolfières de fortune en allumant un feu sous une haute lanterne de papier blanc. L'étoile incandescente brûle au large au-dessus des vaisseaux qui marquent une ligne d'horizon fictive comme la corde d'un arc formé par la baie que nous arpentons dans le noir. La nuit s'avérera agitée. Après les décibels de quatre débiles abrutis je surprends le gecko dans la salle de bain, souple comme un gros gant de toilette grisâtre qui fait autant de bruit que la veille, mais chaque fois trop brièvement, et une seule fois par nuit, pour que je parvienne à l'enregistrer. C'est ensuite autour d'un rongeur de faire la nouba au-dessus de nos têtes. Il grattera et rongera le plafond toute la nuit.
Le matin je plonge dans l'eau redevenue bleue pour chasser un cauchemar, reste de l'an passé et du temps exclusif où le travail occupait mes pensées. Le ciel fait la couleur de l'eau...

mardi 1 février 2011

L'invention du monde


Choses Vues publie le premier DVD d'une collection consacrée aux surréalistes et au cinéma. Il réunit trois films rares de Michel Zimbacca dont deux en collaboration avec Jean-Louis Bédouin, ainsi qu'un long entretien avec André Breton réalisé en 1960 à son domicile rue Fontaine. L'invention du monde et Quetzalcóatl, le serpent emplumé (1952) présentent une collection étonnante d'objets bruts qui inspirèrent les surréalistes accompagnée par un texte de Benjamin Péret dit par Roger Blin, Gaston Modot, François Valorbe, etc.
La puissance poétique de ces arts plastiques renvoie à quelque chose d'intime enfoui dans la nuit des temps, les mythes transmutant les grandes questions de l'homme en soulignant l'inconscient collectif qui provoquera les expressions sophistiquées des surréalistes. Les musiques ethniques renvoient aux arts premiers tandis que la variété des inspirations des peintures et des sculptures donne le vertige en regard de l'art moderne qui prend de ce fait une allure régressive, pâles copies de ces objets nécessaires.
Ni d'Ève ni d'Adam (1969) met en scène Maryse Sandoz, Claude Faraldo et Jean Benoît dans le rôle du Nécromancien pour un essai sur l'amour et la mort tandis que Zimbacca s'entretient longuement sur les surréalistes et le cinéma.
Pour compléter la publication de ces documents rares et précieux, signalons une exposition organisée par Francis Lecomte sur le sujet à la librairie Le Flâneur des deux rives (60, rue Monsieur le Prince 75006 Paris, du 2 au 26 février 2011) avec des documents sur Péret, Brunius, Painlevé, Breton, Svankmajer, Zimbacca, Gilles Ehrmann, Marcel Marien, Robert Benayoun et d'autres surprises...