Nous sommes définitivement abonnés au tuk-tuk. Il nous promène dans la campagne au milieu des rizières où poussent palmiers et cocotiers. On fait du sucre avec les uns et la noix de coco se retrouve un peu partout dans notre alimentation, fraîche avec une paille, râpée, transformée en lait pour soupes ou desserts.


Quant au riz il est servi d'office avec tous les plats. Le thé vert est gratuit lorsqu'il est chaud à la théière. Nous nous plions à la coutume des étrangers qui ne boivent que de l'eau minérale et s'interdisent les glaçons. La petite bouteille ne coûte que 500 riels, soit 10 centimes. On en trouve souvent deux offertes dans les chambres d'hôtel. Il arrive que l'on se fasse racketter, mais comment le reprocher aux autochtones dont l'extrême pauvreté tranche avec notre pouvoir d'achat ?


La première halte n'est pas des plus réjouissantes, mais elle garantit au peuple cambodgien de ne pas oublier la sinistre époque des Khmers rouges qui assassinèrent 1,7 million d'individus, 20% de la population, de manières expéditives et plus brutales les unes que les autres. Sur cette colline de Phnom Sampeau on poussait les condamnés dans le vide jusqu'au bas de la grotte : 10 000 morts. Il suffisait de porter des lunettes ou de parler une langue étrangère pour être considéré comme un intellectuel, donc un ennemi de la révolution, et être immédiatement exécuté. Comment comprendre cette boucherie perpétuée souvent par des jeunes paysans, garçons et filles, illettrés, mais sous les ordres d'hommes ayant fait leurs universités à la Sorbonne ? On raconte que la CIA aurait conseillé aux fonctionnaires de rejoindre les Khmers rouges pour infiltrer le mouvement maoïste. La paranoïa aurait condamné illico l'intégralité des fonctionnaires, et à leur suite les enseignants, les médecins, etc.


Mais l'explication est évidemment beaucoup plus complexe. Il faut remonter loin dans l'histoire du peuple khmer, se rappeler la colonisation de l'Indochine par la France, la guerre du Vietnam qui généra autant de bombes sur le Cambodge et des plus sales (le mélange bombes lacrymogènes + napalm = bombes au cyanure, information non officielle qui sortira un de ces jours quand les USA seront accusés de crime contre l'humanité), l'autodestruction des Khmers rouges, les Casques bleus de l'ONU transformant le pays en un immense bordel pour arriver à la corruption de nombreux dirigeants (collusion avec la police et la mafia), la mise à sac du pays (dilapidation des bois précieux, minerais, pêche, etc., vendus à l'étranger)... À part le tourisme et l'industrie textile le Cambodge ne vit que de l'assistanat de pays étrangers. Nombreuses ONG font leur beurre sur le dos de la misère, tout le monde le sait. Il faudrait plus d'un article pour tenter de comprendre la boucherie des années 70 qui rappelle furieusement le délire des gardes rouges que le gouvernement chinois finira par zigouiller après les avoir créés. Octroyer le pouvoir de vie et de mort à des jeunes gens illettrés a déjà fait ses preuves dans l'Histoire.
L'un de nos conducteurs de tuk-tuk raconte qu'il avait trois ans lorsque ses parents, instituteurs, ont été assassinés sous ses yeux. Enfermé avec soixante autres gamins, sans boire ni manger, qui mouraient au fur et à mesure, il fut l'un des trois rescapés et fut ensuite adopté. On se souvient de la vague d'adoption qui avait atteint alors l'occident...


La suite de la visite est moins glauque. Françoise filme les petits singes qui gardent le temple bouddhiste. Le style est toujours très indien, kitsch à souhait.