Si le cinéma hollywoodien vise des adolescents âgés d'une quinzaine d'années les séries américaines produites pour la télévision s'adressent à un public plus adulte. À la mesure de leur industrie culturelle servant d'affiche à leur propagande les États Unis tentent toujours d'affirmer leur suprématie planétaire grâce à des budgets et des moyens considérables. Contrairement au cinéma dominant qui s'enlise dans les clichés à grand renfort de bons sentiments, de héros séduisants et de musique symphonique sirupeuse, les séries développent essentiellement des personnages en accord avec la misère qui envahit le pays. Leurs héros sont de pauvres bougres, drogués, alcooliques, déprimés, malades, perdus dans un monde qui n'est plus le leur, des hors-la-loi dont plus aucune morale ne vient sonner le glas puisqu'ils ont déjà chuté. Leur survie découle d'une nouvelle indépendance, ces marginaux s'inventant un monde où ils peuvent évoluer derrière la façade, bannière étoilée entretenue pieusement depuis des décennies. Monnaie de la pièce, le cinéma indépendant subit en retour cette influence et livre des œuvres où règnent la pauvreté et le sordide, le misérabilisme devenant le nouveau fond de commerce au risque de faire le lit d'idéologies populistes des plus dangereuses. Peu de revendications et de propositions constructives émanent de ces constats d'échec.
Le prof de chimie de Breaking Bad, avec fils handicapé et femme enceinte, fabrique de la méthamphétamine, associé à un jeune toxicomane, pour subvenir aux besoins de sa famille alors qu'il est atteint d'un cancer des poumons en phase terminale. Nurse Jackie se shoote au Vicodin pour affronter son rôle d'infirmière aux urgences. Shameless, basé sur une série anglaise à succès, est porté par William H. Macy en patriarche alcoolique et fraudeur avec ses six enfants livrés à eux-mêmes. Weeds est la version soft de Breaking Bad et Shameless, une jeune veuve produisant de la marijuana pour nourrir sa famille. Le savant amnésique de Fringe s'envoie en l'air avec tout ce qui lui tombe sous la main. Le héros de Californication est accroché à son sexe comme à une bouée de sauvetage. La détresse des patients du psychanalyste interprété par Gabriel Byrne dans In Treatment (En analyse) est évidente (principe : une séance du lundi au jeudi, le vendredi réservé à sa visite va chez sa propre thérapeute). Treme montre la Nouvelle Orléans dévastée après l'ouragan Katrina. Mad Men met en scène des publicitaires, avec clope et verre de whisky à chaque plan, dont le cynisme n'a d'égal que leurs frustrations. Les Desperate Housewives portent bien leurs noms. Six Feet Under évoquait une perspective inéluctable. Etc.
Dans toutes ces séries le sexe tient une place prépondérante, réaction au puritanisme de la société américaine, la religion omniprésente se confondant avec l'État. Si l'homosexualité n'est plus un tabou, la présence d'acteurs afro-américains est devenue incontournable et la jouissance féminine comme masculine quasi obligatoire. La politique est esquissée, allusions humoristiques anti-républicaines écrites par des staffs forcément pro-Démocrates. Avec la drogue et le sexe, l'indice plus notable est l'abandon du happy end et du "politiquement correct". Les pires crapules restent impunies pour permettre aux épisodes de se perpétuer de saison en saison. Il n'y a que l'hyper-réaliste The Wire pour faire mourir ses chefs de gang les uns après les autres. Les nouveaux héros sont de pauvres hères qui n'ont rien de glamour et qui traînent leurs carcasses dans une société en pleine déconfiture. Ils s'en sortent tant bien que mal par de petites combines souvent mesquines, à notre plus grand plaisir, les équipes de scénaristes rivalisant d'humour et d'astuce pour nous conter ce qui se profile à notre horizon.