Il est des mois creux. Janvier est de ceux-là. Sans enfant scolarisé, c'est le moment idéal pour partir au soleil. Les prix sont bas, les sites déserts. À vérifier la date, certains penseront que je suis tombé sur la tête et ils auront raison, mais cela ne date pas d'hier. Le climat de notre mois de juin fait plutôt penser à novembre. Et encore ! C'est un automne pourri que nous vivons là. Pourtant le printemps avait été radieux, surtout pour les Arabes. Enfin, pas tous. Mais l'idée que l'impossible avait vu le jour avait redonné de l'espoir à celles et ceux à qui l'on objectait que "un oranger sur le sol irlandais, ça on ne le verra jamais" (Bourvil). Il n'y a plus de saisons, répétaient les grand-mères. Le réchauffement de la planète est accompagné d'effets secondaires. Le temps qu'il fait, le temps qui passe, sont des données relatives, que l'on s'ennuie ou que l'on s'affaire. Juin a toujours été pour moi un mois plein où les projets se bousculent au portillon. Cette agitation a paradoxalement suscité les phrases précédentes. Le sujet est pourtant d'un autre ordre, ou d'un autre désordre.
Car le thème du jour, c'est "moi". Entendre le titre du dernier film de Françoise Romand, Thème Je, une question dont j'ai la joie d'être la réponse sans y figurer autrement que métaphoriquement et subrepticement dans le rôle du Joker. En anglais, The Camera I, machine androïde, renvoie à l'œil de Dziga Vertov. J'ai toujours apprécié les jeux de mots, et j'applaudis ici les maux du Je de Françoise qui s'est filmée comme aucun cinéaste n'ose le faire, sans ne jamais chercher à se présenter à son avantage, plus appliquée à défendre "l'autre" avec compassion, quitte à se sacrifier pour son sujet. Lorsqu'il s'agit de soi, l'abîme vous flanque le vertige. Heureusement Thème Je vous embarque pour 1h45 d'aventures aussi drôles que dramatiques.


Plutôt que recopier le dos de la jaquette à laquelle je participai, je préfère citer la critique Anne Gillain : "La quarantaine parisienne, Françoise Romand se perd dans les cœurs et dans les villes. Une auto-dérision jubilatoire vécue sur plusieurs continents en mélangeant les langues dans une diversité culturelle, raciale et sexuelle ancrée dans son époque. Loufoque, ce portrait déjanté d'une cinéaste non linéaire explore l'auto-fiction avec ce mépris joyeusement décapant pour les conventions et susceptible de séduire un public jeune. Dans un genre assez inédit au cinéma, avec fantaisie et malice, humour et grincements de dents, elle met en scène des fantasmes fantasques. Elle s'invite au scalpel dans votre miroir, s'invente des jeux de hasard et un secret de famille. Cette expérience en DV flirte avec la webcam pour poser des questions de cinéma."
Tourné entre 1999 et 2010, le film ne voit son aboutissement que cette année. J'en vis une des innombrables versions alors que je vivais avec Françoise depuis déjà quelques mois. S'il m'apparut comme son meilleur film depuis Mix-Up ou Méli-Mélo, une question me tarabustait et une mise au point s'imposa : "as-tu vraiment besoin de vivre avec deux hommes à la fois ?" et "moi, tu ne me filmes pas, parce que je suis dans la vraie vie." Huit ans plus tard, Françoise a terminé le montage, intégré les chansons que j'avais écrites avec Bernard Vitet en 1992 et qui collent parfaitement aux différentes scènes qu'elles accompagnent, quitte à transformer le drame en joyeuse comédie.
La magnifique pochette de Claire et Étienne Mineur rejoint la collection DVD qu'ils ont illustrée, après Appelez-moi Madame et Ciné-Romand. Bonus tourné en 1977, Rencontres, le premier film de Françoise, montre à quel point son cinéma a de la constance : ses documentaires appartiennent plus à la fiction qu'à une quelconque quête du réel. Sa fantaisie s'étale sur l'écran quelle que soit la saison, tandis qu'elle nous livre ses quatre vérités de menteuse en scène. Elle nous raconte des histoires. Qu'imaginer d'autre lorsque surgit une caméra ? Chacun prend la pose. Françoise n'essaie jamais de nous la faire oublier. Elle joue avec, entraînant les acteurs dans son sillage.
Le DVD ne sortira qu'en septembre (dist. Lowave), mais on peut l'acquérir en exclusivité en écrivant à la production.