À l'occasion de l’exposition Un visage, des visages à La Condition Publique de Roubaix, Nicolas Clauss présente une nouvelle version de son installation vidéo Terres arbitraires qu'il avait créée en septembre 2010 au Théâtre de l'Agora d'Évry (blog) et récemment révisée pour La Friche Belle de mai à Marseille (vidéo). Nul besoin de répéter ce que j'écrivais alors sur cette direction radicale de son travail renouant avec ses premières amours pour la psychologie sociale et politisant sa démarche, si ce n'est que l'artiste a continué à filmer les garçons des cités partout où il s'est exposé et que le déploiement sur 28 écrans de toutes tailles, appuyé par une création sonore octophonique, donne tout son sens à cette dénonciation des stéréotypes du "jeune de banlieue" véhiculés par les médias. Cette dimension généreuse met en valeur chacun des 300 portraits, noir et blanc face caméra, sourires radieux derrière le masque, tout en figurant la manifestation unanime des laissés pour compte. Combien de temps entendra-t-on le tic-tac du réveil avant que ne jaillisse l'étincelle révolutionnaire ? Les yeux de ces jeunes gens en disent long sur notre époque. Ici les sirènes sonnent l'alarme plutôt qu'elles ne suscitent des rêves anesthésiants, modèles façonnés par la publicité qui les attire sur des récifs. Le dispositif scénique permet de naviguer parmi les discours qu'engendrent les cités et de confronter nos propres doutes et nos désirs aux regards de cette jeunesse qui se doit d'inventer un avenir.



L'exposition Un visage, des visages présente également Ode à neuf voix, installation multimédia immersive de Catherine Poncin et Damaris Risch, soulignant encore le remarquable travail d'intervention de La Condition Publique. On rencontre en effet rarement un public socialement aussi mélangé, gageure essentielle de tout centre culturel qui se respecte.

À l'entrée est projeté La caméra change de main, un court métrage de Françoise Romand, en résidence dans la région (Tourcoing, Roubaix, Villeneuve-d'Ascq, Wattrelos) en liaison avec Le Fresnoy. En montant un morceau que nous avons joué en duo avec le violoncelliste Vincent Segal sur un panoramique circulaire tourné à tour de rôle par les participants de son atelier, la cinéaste révèle les intentions cachées et des émotions inédites. Le moindre décadrage, un flou, une hésitation semblent induits par la musique. Le plan répété devient un bon tour où la magie du cinéma pose clairement le rapport son-image. Comme pour les deux grandes installations, les visages dévisagent, les écrans nous renvoyant nos propres regards, ressort fondateur du cinéma.