Nous ne pensions pas Disneyland aussi étendu. C'est délirant. Un état dans l'état. Ce n'est pas le seul aux Unis, il y en a d'autres, plus sérieux et dramatiques comme la réserve Navajo. Les pays occidentaux se targuent de dénoncer les génocides juif ou arménien, mais on oublie facilement que ce pays s'est construit sur un crime abominable, planifié et concerté, jamais reconnu. La colonisation, d'abord espagnole, a exterminé les nations indiennes, parquant les survivants dans des réserves, les laissant crever de faim et de maladie. L'alcoolisme qui y fait rage arrange le gouvernement US. Rien n'a changé depuis le XIXe siècle. En 2000 je conduirai Elsa jusqu'au magnifique Canyon de Chelly. Les bords de la route sont constellés de bouteilles de bière vides lancées depuis les portières. Les seules ressources sont la poterie, la vannerie et des bijoux en argent. Les Indiens ont été déportés, anéantis, parce que les colons convoitaient leurs terres, leur or, leur minerai... L'impérialisme américain tient ses origines de cette violence inouïe, de ce crime honteux, l'un des plus grands avec l'esclavage. Tant que le massacre des Indiens n'aura pas été reconnu cette brutalité se perpétuera. On se demande pourquoi le port d'armes est légal aux États Unis. Mais je m'égare.

Aujourd'hui c'est la fête. Nous avons des billets qui nous permettent d'accéder à nombreuses attractions, toutes plus démentes les unes que les autres. Ce royaume enchanté, conçu par Walt Disney, ouvrit en 1955, il a le même âge qu'Agnès ! Nous y passons la journée avec Susan, la fille de Janet et Morley, et une amie. Ce qui me fascine le plus sont les automates, en particulier la promenade en barque des Pirates of the Caribbean, les boulets explosent dans l'eau autour de nous, les pirates sont si près quand nous passons sous le pont que nous pourrions leur attraper les orteils. Les effets sonores sont également très réussis. Je prends des photos des animaux plus vrais que nature pendant la Jungle Cruise, mais je trouve l'humour limite, en particulier quand tous les porteurs africains grimpent à un arbre, terrorisés par un rhinocéros. Le racisme est plus sensible ici qu'au Texas où nous n’avons croisé presque aucun Noir. En découvrant mes diapositives de retour à Paris, je m'apercevrai que tout en haut du mat était perché l'explorateur blanc chef de la mission. Ai-je l'esprit si mal tourné ? Le plan indique les différentes zones, Main Street, Adventureland, Frontierland, Fantasyland, Tomorrowland, New Orleans Square, mais nous n'aurons pas le temps de tout voir, même si nous faisons très peu la queue. Tout cela semble en partie financé par la publicité : à côté de la pancarte It's a small world figure le sponsor, la Bank of America ! Si Agnès est en mini-jupe, presque toutes les filles portent des bermudas. Nous déjeunons dans une réplique de la Nouvelle Orléans où nous comptons nous rendre dans environ quinze jours si tout se passe bien. Je retrouve les héros qui ont marqué mon enfance comme Dumbo et Peter Pan. Du premier j'hériterai de l'impossible à portée de main et du second le désir de ne jamais vraiment grandir. Agnès préfère l'arbre des Robinsons et le Château de la Belle au Bois Dormant. Nous terminons par les Adventures thru Inner Space. En rentrant, je n'en crois pas mes yeux, nouvelle attraction, elle est allée promener le chien en laisse. Après avoir écrit une carte postale à Maman et Papa nous préparons nos affaires, car nous repartons déjà ce soir. Prochaine étape, San Francisco !


(il faudra probablement cliquer sur l'image fixe pour lancer le film)

Lorsque trente deux ans plus tard je retournerai à Los Angeles, Disneyland n'aura plus le même attrait, même pour ma fille que j'aurai toujours refusé d'accompagner au parc de Marne-La -Vallée ; d'autres parents, moins critiques ou plus sympas, s'en chargeront. Est-ce l'unique raison qui me fera l'emmener aux Studios Universal ? Dans les fêtes foraines mes préférés ont toujours été le Train Fantôme, le Palais des Glaces et le Cylindre centrifuge. Le premier est toujours décevant, le second trop court, le dernier le plus drôle, gratuit pour ceux qui s’y collent, payant pour les spectateurs. Friand d'illusions, de mises en scène et d'expériences physiques, je ne suis pas franchement adepte des sports de l'extrême ! Enfant je chevauchais le manège de chevaux de bois des Tuileries où il fallait décrocher des anneaux avec une baguette de bois, sensation terrible d'épaule arrachée lorsque, par hasard, je réussissais. En 1995, j'aurai l'immense plaisir de créer tout l'environnement sonore et musical de l'exposition Il était une fois la fête foraine à La Grande Halle de La Villette, soixante dix sources sonores, trois cents haut-parleurs, de grandes orgues en direct, des comédiens formidables comme Michael Lonsdale, Luis Rego, Lors Jouin ou Daniel Laloux pour jouer les rôles des bonimenteurs, un univers Cagien dans un contexte populaire, génialement scénographié par Raymond Sarti sous la houlette du conservateur Zeev Gourarier, une de mes plus grandes réussites, qui sera reprise au Japon. Lorsque je regarde des films à grand spectacle, je n'oublie jamais que le cinéma est né dans les foires. Il y a ceux qui vous mettent du plomb dans la tête et ceux qui vous font tout oublier. Les uns sont des crayons, les autres des gommes, représentant l'écart entre art et divertissement. J'aurai toujours besoin des deux. Comme une règle. Fin août 2000, nous choisirons le Studio Tour avec la maison de Norman Bates dans Psychose et le décevant Dents de la mer en carton-pâte, l'impressionnant Earthquake, The Big One avec la rame de métro prise dans un tremblement de terre, ou pire encore, les explosions et les flammes à deux milles degrés de Backdraft, le spectacle ringard de WaterWorld avec cascadeurs et toujours autant d'effets pyrotechniques... Elsa, un moment immobilisée à l'infirmerie après un malaise dû à la chaleur, ne descendra pas avec moi la chute d'eau de Jurassic Park, à pic de vingt-six mètres ; je ferai attention de protéger mon appareil photo, mais j'aurai l'imprudence de m'asseoir au premier rang et me retrouverai trempé jusqu'aux os. Même mon slip était à tordre ! Le soleil californien me séchera heureusement de ses rayons cosmiques. Au moment de quitter le parc sans évidemment avoir tout vu, ces lieux étant basés sur le trop plein comme décidément beaucoup trop de choses aux USA, nous tenterons une dernière attraction sur le chemin de la sortie, Terminator 2 : 3D. Dix ans plus tard, les films en 3D du XXIe siècle paraîtront bien fades en regard de l'expérience. L'acteur sur Harley Davidson crève l'écran au sens propre, prestidigitation mêlant le réel et le virtuel sans que l'on n'en voit les fils, les gouttes de mercure vous arrivant devant le nez chaussé de lunettes polarisantes, vaporisation liquide renforçant l'illusion, fauteuils qui s'écroulent, inoubliable.

Cherchant une idée pour convaincre ma fille de partir ensemble en vacances, je lui aurai proposé un road movie dans l'ouest américain, un mois, sept mille kilomètres, arrivée à San Francisco, Sacramento, camper dans Yosemite, Mono Lake, traverser la Vallée de la mort par Zabriskie Point jusqu'à Las Vegas, tous les grands parcs, Zion, Bryce, Arches, Canyonsland, et puis Cortez, Mesa Verde, Lake Powell, Monument Valley, Grand Canyon, Palm Springs, San Diego, L.A. on y est, retrouver la plage de Venice, remonter comme cette nuit par la Route numéro 1 via Big Sur et Hearst Castle, Monterey, la Silicon Valley d'où nous repartirons enfin. Comment pouvait-elle refuser une proposition aussi malhonnête ? Elsa me confiera que ce fut le plus beau voyage de sa vie, mais que c’était la dernière fois qu’elle partirait en vacances avec son père ! Mais ça c'est une autre histoire.