En période de crise, le gâchis est plus que jamais à dénoncer, d'autant qu'il est presque toujours absurde. Mais l'est-il vraiment ? On peut chaque fois s'interroger, car il profite ici aux entreprises qui fabriquent ou distribuent les objets de consommation prétendument périmés. Le médecin coordinateur d'un Établissement Hébergeant des Personnes Âgées Dépendantes (EPHAD), nom technique d'une maison de retraite, pointe cette fois 10 millions d'euros fichus en l'air par la Sécurité Sociale.

Enquête.

Il y a en France 460 000 lits d'EPHAD plus des foyers-logements, concernant au total environ 650 000 personnes. Entre 8 et 10% d'entre elles ont un fauteuil roulant, soit 65 000 par an. Le taux de renouvellement des personnes, c'est-à-dire malheureusement des décès, est de 30%. Il y a donc 20 000 fauteuils roulants chaque année dont on ignore la destination, avec de fortes chances qu'ils aillent à la benne à ordures, car ils ne sont pas recyclés. Les familles, qui n'en ont ni la place ni l'utilité, les conservent très rarement. Les EPHAD pourraient éventuellement les renvoyer à la Sécurité Sociale, sauf que les fauteuils ne leur appartiennent plus. Elle ne s'occupe donc pas de récupérer ce matériel dont elle a pourtant financé l'intégralité. Or un fauteuil mécanique lui est facturé entre 350 et 600 euros, sans parler des électriques qui montent à 1 500 ou 2 000 euros. Un petit calcul montre que 10 millions d'euros partent ainsi à la poubelle chaque année, soit l'équivalent des salaires de 5 à 6 000 personnes, aides de vie sociales qui pourraient s'occuper des patients. Tout le reste du mobilier est soumis à la même loi du gâchis comme les chaises percées Louis XIV que les médecins appellent fauteuils garde-robe, alors que l'on pourrait très bien les nettoyer et changer le seau en plastique qui est en dessous. Tout cela est pourtant jeté. Aucune association ne s'occupe officiellement du recyclage de ces engins et ils ne sont pas plus envoyés à l'étranger, dans des pays en voie de développement, que les médicaments, prétendument périmés, confiés aux pharmacies.
Aujourd'hui tout est systématiquement détruit, les médicaments comme les aliments dont la date de consommation serait arrivée à échéance. Les supermarchés, par exemple, aspergent les aliments avec de l'eau de Javel ou des produits équivalents pour éviter qu'ils soient récupérés. Un hôpital n'a pas le droit de donner un yaourt passé d'un jour à l'un de ses employés qui sont pourtant fort mal payés. L'arnaque de la date de péremption des aliments fera l'objet d'un autre article. Mais il faut savoir que les médicaments pourraient, pour la plupart, être utilisés bien après la date imprimée sur l'emballage. On évitera néanmoins ceux qui sont en phase aqueuse ou sous forme injectable, car il y a un risque de cristallisation dans l'ampoule. Pour les autres, le seul risque est qu'il ne soit plus aussi efficace. Alors n'en jetez plus !

Illustration : Le fauteuil d'Ulysse, Arman, 1965