Il y a trois semaines j'évoquais Dominique Lentin dans l'un des chapitres de mon nouveau roman. Surprise d'entendre sa voix au téléphone après tant d'années. La dernière fois, les circonstances étaient terriblement tristes puisqu'il s'agissait de la cérémonie funéraire de son frère Jean-Pierre. Auparavant, il fallait remonter au tout début des années 70 lorsqu'il était le batteur de Dagon et que je faisais le zouave avec eux à la Fac Dauphine lors d'un concert mémorable où Dominique lançait au public des quartiers de viande sortis d'une bassine dans laquelle il avait mariné. J'ai néanmoins toujours suivi ses activités musicales depuis son départ pour le sud au siècle dernier.
À l'entrée du Tarmac, situé à l'endroit de l'ancien T.E.P. dans le XXe arrondissement de Paris et dédié aux cultures francophones comme avant son déménagement de La Villette, je retrouve l'ami Michel Musseau dont la dernière rencontre remonte également à la cérémonie du Père Lachaise, il y a deux ans jour pour jour. Heureusement, nos retrouvailles sont aujourd'hui sous un jour beaucoup plus souriant, puisque nous sommes venus assister au spectacle Ster City dont Dominique Lentin joue la musique en direct, savant et délicat travail aux percussions, échantilloneur et petits objets sonores. La pièce de théâtre, qu'on dira musical tant le rythme et le lyrisme y sont déterminants, mise en scène par Jean-Pierre Delore, bénéficie de l'interprétation exceptionnelle de deux acteurs sud-africains, Lindiwise Matshikiza et Nicholas Welch, à la fois drôles, profonds et monstrueusement pêchus !
Ster City me rappelle avec une étonnante acuité mes impressions de Johannesburg lorsque j'y séjournai en 1993 et 1995, la première fois avant Mandela pour le film Idir et Johnny Clegg a capella, la seconde après son intronisation pour célébrer en ciné-concert le Centenaire du Cinématographe avec Michèle Buirette et Bernard Vitet. C'est justement dans le complexe multisalles en ruines de Ster City que Delore a imaginé ce spectacle formidable conçu pour un public à partir de 10 ans. C'est bon, on les a ! Les deux clowns modernes nous font partager une vision critique de leur pays en un kaléidoscope de scènes tranchantes où l'humour de la langue joue sur tous les tons. Si la majeure partie est en français ar-ti-cu-lé, nous avons le plaisir d'entendre rapper du verlan zoulou ainsi que du xhosa, de l'anglais et de l'afrikaans. Toute la culture sud-africaine nous est servie sur le plateau, à grand renfort d'art brut et de technologie parfaitement maîtrisée, et surtout justifiée par son propos, un théâtre swing d'où l'on ressort en ayant appris une foule de choses tout en se marrant bien et en s'étant laissés porter par la musique du trio.
Ster City se joue jusqu'au 17 mars. Ensuite la même équipe est augmentée de Xavier Garcia, Yoko Higashi, Assucena Manjate, Simone Mazzer, Alexandre Meyer, Frédéric Minière, Dieudonné Niangouna, Isabelle Vellay, Guy Villerd pour le spectacle Sans doute, les 23 et 24 mars, oratorio-concert hard-barock.