Nous nous promenons le long du Rhône. Quinze écrans ponctuent la balade. Il y a un monde fou. C'est la plus populaire des nuits. Certains lieux impriment leur magie à l'installation éphémère : une cour d'école, le quai de Trinquetaille, une projection sauvage sur un pilier... Les étoiles qui entourent l'animal totem de cette nouvelle édition des Rencontres d'Arles réfléchissent celles qui tombent du ciel comme une humidité étincelante. Certains pensent que c'est un loup ; son créateur, l'affichiste Michel Bouvet, dit "le renard" ; probablement un renard bleu ; nous préférons y voir une louve, comme si son lait nous permettrait un jour de fonder la ville de nos rêves. Rien ne se construit seul. Aussi n'aurai-je de cesse de chercher mon frère jumeau ou ma sœur jumelle dans les rues, dans les maisons, dans les livres, sur les écrans... Comment reconnaître ces amis ? Un mot, un regard, ce que nous partageons, des idées, l'humour, l'engagement, les songes... La vie, résumera-t-on, à condition d'y entendre tout ce qui pousse et non ce qui l'étouffe. Assez de bitume, assez de couvercle, de non-dit, d'infos analgésiques, assez de répétitions, assez de certitudes, assez de rien !
Les images projetées en plein air vomissent trop de souvenirs, pas assez de visions. On pensait s'être débarrassé de l'ancien président, il encombre les écrans. Et le nouveau n'inspire que platitude aux photographes. Leur regard politique réfléchit trop souvent le formatage de la société du spectacle. À se croire objectif le boîtier n'enregistre que des clichés. Le discours est démobilisé, il ressert les mêmes plats qu'à la télé. Il y a pourtant de belles photos. Les expositions fleurissent. On y fait son petit marché. On marche beaucoup.


Nous sommes séduits par les flous du Russe Igor Posner présenté par Prospekt. La Nuit de l'Année est confiée aux agences photos, orchestrée par Claudine Maugendre et Aurélien Valette. Si, comme le prétendait Orson Welles, il suffit d'enlever un paramètre à la réalité pour entrevoir la poésie, les flous de Posner joue du circonlocutoire, tournoyant autour d'un centre sans jamais le toucher. L'héliocentrisme des flashs, des lampes ou du jour ne suffit pas. Toute œuvre est une morale, écrivait Jean Cocteau. Le travelling est affaire de morale, surenchérissait Jean-Luc Godard. Parfois elle se révèle, parfois son absence se fait criante, quelle horreur ! Ce sont encore des mots de Cocteau, des Parents terribles d'abord, mais surtout au moment où le poète se fait transpercer par une lance dans Le testament d'Orphée. Et Godard de reprendre encore une fois l'extrait dans ses indispensables Histoire(s) du cinéma. Oui, certains s'amusent sans arrière-pensée (toujours Cocteau) ! Alors on attend avec impatience la quatrième et dernière leçon de photographie de Christian Milovanoff ce soir au Théâtre antique, intitulée Des mots pour elle.
Il faut beaucoup regarder, ailleurs écouter, pour trouver son bonheur. Il existe. C'est le vecteur qui nous entraîne et nous pousse. Il n'est jamais fini. C'est même cela, la beauté de l'infini.