Théâtre Mouffetard, 1978. Francis, Bernard et moi jouons dans la Compagnie Lubat. Ce soir-là je tiens le piano et réciproquement. C'est un contrat entre lui et moi. Il est droit, je suis un peu penché. Tandis que je frappe les touches, relevant la tête j'aperçois celles de trois autres musiciens de l'orchestre, Michel Portal, Bernard Lubat et Patrice Mestral, qui dépassent derrière le cadre, tous premiers Prix de conservatoire. Accoudés au-dessus du couvercle, ils regardent mes mains. Je flippe méchamment, pensant que je suis démasqué ; ils vont s'apercevoir de la supercherie, ma carrière va en prendre un coup. J'ai déjà évoqué ici le sentiment d'usurpation que ressentent souvent les autodidactes. Le concert se poursuit et, à son issue, le trio de virtuoses pour qui j'ai la plus haute estime vient me voir. Je n'en mène pas large. Michel, parlant pour les autres, me demande "où as-tu appris cette technique ?" Coup de théâtre. Je n'ose mentir et raconte que je n'en ai aucune, la preuve : j'en suis à ma troisième tendinite du bras gauche ! Cet épisode m'accordera évidemment ensuite un peu plus d'assurance...

J'ai arrêté le piano il y a longtemps, mais il m'arrive souvent de me servir d'un clavier pour imiter des instruments ou générer des sons électroniques. Depuis que j'ai fait l'acquisition du piano préparé de l'Ircam et de l'Array Mbira de SonicCouture j'ai probablement forcé la dose, et taper toute la journée à l'ordi n'arrange pas les choses. J'ai une douleur terrible au coude qui m'empêche de dormir. Où mettre le bras ? Hier notre masseuse chinoise a travaillé mon poignet du bout de mes doigts jusqu'à ma mâchoire. J'ai dégusté sec, espérant être remis d'aplomb d'ici le concert du 19 octobre au Pannonica de Nantes avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang.

Les bonnes manières étaient le titre d'une série animée de Daphna Blancherie et Natacha Nisic en papier découpé (cf. illustration) dont j'avais fait la musique et les bruitages en 1993. Ici les mauvaises se rapportent à la façon gauche dont j'aborde parfois la vie. Je fais des efforts pour me corriger, en me prenant moi-même en charge ou en me faisant aider. En vieillissant on va certes de plus en plus mal, mais l'on apprend aussi à mieux gérer ses douleurs et ses contrariétés. Si l'on s'y prend correctement, la gestion prime sur les emmerdements. Ainsi, aujourd'hui, je me sens de mieux en mieux. C'est du travail. Il n'est hélas pas rémunéré, les heures passées ne sont pas prises en compte pour la CNAV (Caisse Nationale d'Assurance Vieillesse) où j'ai rendez-vous demain... Il y a quelque chose d'absurde et de merveilleux. Je trouve ça drôle.