70 janvier 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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jeudi 31 janvier 2013

C'est maintenant...


C'est maintenant que l'on a besoin de vous voir pour nous entendre. Le spectacle de ce jeudi soir ne se reproduira jamais. Il y a de moins en moins de monde dans les théâtres à Paris, alors on s'inquiète. Les gens serrent les cordons de leur bourse. Ayant rêvé de ce concert, nous ne voudrions pas que cela tourne au cauchemar... Des fois que l'organisateur imagine que notre projet n'intéresse personne, on aurait l'air de quoi ? C'est justement le titre de notre création, Rêves et cauchemars, mais les nôtres sont vrais, aventures vécues, intimes, déterminantes. C'est la première fois qu'Antonin-Tri Hoang et moi jouons avec le batteur que tout le monde s'arrache, Edward Perraud. Lâchez vos charentaises ! C'est tout près, Le Triton est à côté du Métro Mairie des Lilas, au bout de la ligne 11, vingt minutes depuis Châtelet, montre en main. Profitez-en, parce qu'en jouant nous oublions le temps. L'enjeu réside alors à vous le faire oublier à vous aussi. On ne sait pas combien de temps dure un rêve. Il paraît que ses péripéties filent à une vitesse vertigineuse. Freud suggère qu'il s'agit toujours de l'expression d'un désir. Nous avons envie de vous raconter les nôtres, il y en a neuf, trois chacun, extravagants, hallucinants, bouleversants... L'orchestre est un mélange d'anches, de percussion, d'instruments électroniques, de voix aussi. La question qui me trotte dans la tête en attendant ce soir, c'est comment (ou pourquoi) s'arrête un rêve ?

Pour les paresseux qui souhaitent nous contrarier en restant chez eux et qui possèdent un iPad2 ou un iPad3, ils peuvent toujours télécharger La machine à rêves de Leonardo da Vinci. L'œuvre interactive créée avec Nicolas Clauss est gratuite, elle ne ressemble à aucune autre application. Vincent Segal y joue du violoncelle et de l'arbalète. C'est un objet contemplatif qui se renouvelle sans cesse. Laissez vous bercer. Là aussi vous vous surprendrez à rêver à votre tour... Pour les plus curieux je ne peux m'empêcher de vous conseiller les deux : le concert où vous partagerez un moment unique et l'appli qui le prolongera à l'infini. C'est une figure rhétorique. L'infini nous est étranger, une question sans réponse... Les artistes ne finissent jamais rien, ils laissent ce soin au public. C'est pour cette raison que votre présence et votre participation sont indispensables.

mercredi 30 janvier 2013

Sept psychopathes et un bipolaire


Il était une fois... Un thriller hors du commun où le scénario mêle la fiction avec la fiction, celui du film s'écrivant au jour le jour sans que l'on sache ce qui est de l'ordre de l'imagination ou pas. Brouiller les cartes, ici de saignants valets de carreau, permet à l'histoire tordue de se construire et au spectateur de s'amuser de cette farce abracadabrante et hilarante contée par le réalisateur de In Bruges (Bons baisers de Bruges), film qui nous avait déjà surpris par son ton original et insolent. 7 Psychopaths, le second long métrage de Martin McDonagh possède un humour noir british encore plus décapant que le précédent. Son architecture, sorte de film dans le film à la sauce peyotl et fausse mise en abîme, est un modèle du genre. De plus, la distribution permet de savourer cette fois le jeu ébouriffant de Colin Farrell (déjà excellent dans In Bruges), Sam Rockwell, Woody Harrelson, Tom Waits, Harry Dean Stanton et, last but not least, le "danseur" Christopher Walken. L'un des meilleurs films de ce début d'année !


N'en restons pas là, lorsque sortent des films vraiment réjouissants qui nous réconcilient avec le cinéma quand la presse tant spécialisée que généraliste continue de se gargariser avec les pan-pan-boum-boum de Tarantino, Bigelow, Affleck, les exercices de nostalgie moderne de Ferrara, Gomes et consorts, ou le verbeux et laborieux Lincoln... On devait à David O. Russell un film dont l'affiche nous avait fuir, mais dont les dialogues et la réalisation nous avait épatés, Three Kings (Les rois du désert), chasse au trésor en pleine guerre d'Irak avec Clooney, Jonze, Wahlberg et Ice Cube. Le revoici avec une nouvelle comédie dramatique, Happiness Therapy, parfois présentée sous le titre Silver Linings Playbook. Histoire de fous également, mettant en scène un prof dont la bipolarité a fait tout perdre, mais qu'une rencontre va transformer. Si Bradley Cooper, Jennifer Lawrence, Robert De Niro et toute la distribution sont là encore remarquables, c'est au montage que l'on peut immédiatement repérer les films qui sortent de l'ordinaire. La succession des plans n'y illustre pas la progression du scénario, mais crée des émotions, leur rythme s'appuyant sur les ellipses générées par les coupes. Si les conventions musicales ne viennent pas tout saccager on a des chances de tomber sur l'oiseau rare... À l'opposé, de belles images font rarement un bon film, même si cela ne gâche pas le reste ! Happiness Therapy réussit à montrer avec beaucoup d'humour la folie ordinaire, là où la plupart des cinéastes tracent une ligne caricaturale entre les souffrants et les bien portants. Le happy end attendu n'est hélas pas du niveau de la première heure. Tout de même un second bon film à sortir aujourd'hui...

mardi 29 janvier 2013

Applications zombies


Les chiffres sont incroyables. Sur les 775 000 applications iOS disponibles sur l'Apple Store, plus de 400 000 d'entre elles ne sont jamais téléchargées, d'où leur appellation de zombies. Pourtant, sans les mises à jour ni les retéléchargements, il y a eu 25 milliards de téléchargements sur l'App Store (iOS). Apple en a annoncé 40 milliards dont 2 milliards en décembre dernier. 500 millions de comptes avec cartes de crédit sont enregistrés. Près des 2/3 des applis sont donc mort-nées, faute de visibilité et de référencement correct par Apple, lit-on ici et là. Le classement officiel pousse les utilisateurs vers les mieux placées, amplifiant le phénomène. Les gros éditeurs dépensent ainsi des sommes considérables pour être en tête, laissant sur le carreau les petits développeurs. On frise aussi l'absurde avec 1 900 applications de lampe-torche !


Pour répondre aux mêmes critiques lues il y a 14 ans sur Amazon.com à propos de CD-Rom Alphabet, notre application artistique ne sert à rien, du moins pas directement, puisque ce n'est ni un outil pédagogique ni un couteau suisse. La Machine à rêves de Leonardo da Vinci créée avec Nicolas Clauss est une œuvre ludique, interactive et contemplative. Il aura suffi d'un article sur vipad.fr pour qu'elle se retrouve en 10ème place du classement général de l'App Store et en 2ème du divertissement. Nous n'avons pas eu le choix de la catégorie, c'est ce qui s'en rapprochait le plus, vu que notre machin(e) ne ressemble à rien d'autre. Percée de courte durée, La machine à rêves a redégringolé dans le classement en attendant que les journalistes s'en emparent. Le service de presse de la Cité des Sciences et de l'Industrie n'a pas levé le petit doigt pour promouvoir ce que le service des éditions et du transmédia avait produit. Nous comptons maintenant sur le bouche à oreille pour passer le mot : "il existe un truc gratuit hallucinant qui fonctionne sur iPad2 et iPad3."

lundi 28 janvier 2013

Rêves et cauchemars de Birgé-Hoang-Perraud

...
Bravez la météo, sortez jeudi, nous jouons seulement ce 31 janvier à 21h au Triton, Les Lilas (à côté de la station de métro Mairie des Lilas sur la ligne 11). J'ai demandé à Antonin-Tri Hoang (sax alto et clarinette basse) et Edward Perraud (batterie) de raconter chacun trois rêves. Avec les miens (clavier, instruments électroniques, trompette à anche) cela fera neuf Rêves et cauchemars à interpréter en musique en leur donnant corps...
Pour s'endormir Antonin entonnait d'étranges psalmodies qu'il rythmait en oscillant la tête. Les jours de fièvre il croyait voir des serpents bouger sous le tapis de bain, les plantes devenaient carnivores, le voyage psychédélique ne se dissipait qu'au levé du jour. Aujourd'hui encore il lui arrive de passer la nuit à essayer en vain de faire sortir un orchestre qui joue en continu dans sa tête.
Edward, chasseur de lions en Afrique, est poursuivi par sa tribu. Certains rêves sont plus conceptuels. L'un d'eux se réfère à l'haïku "je ne sais pas pourquoi j'aime ce monde dans lequel nous sommes venus mourir". Enfin, il a toujours rêvé de mettre en musique celui d'Albrecht Dürer où des trombes d'eau s'abattent sur la Terre.
Je pense que son cauchemar de parallélépipèdes absorbants est un souvenir de ma naissance. Mais que vient y faire le chiffre 7 ? Mon père ne serait pas mort, il aurait refait sa vie en Grèce. À Sarajevo pendant le siège, je m'endors en comptant les explosions comme d'autres comptent les moutons. Les tirs des monstres perchés sur les collines me rappellent Ionisation de Varèse.

PROMO EXCEPTIONNELLE : 1 place achetée = 1 place offerte en appelant dès maintenant au 01 49 72 83 13 !

Illustration : Jean Bruller (dit Vercors)

vendredi 25 janvier 2013

Portes ouvertes à l'EnsAD (atelier scénographie)


Ils, ou plutôt elles tant le féminin prime en nombre à l'École nationale supérieure des Arts Décoratifs, ont rassemblé leurs forces pour créer une seule et collective installation scénographique dans le cadre des Portes Ouvertes vendredi 25 et samedi 26 janvier de 12h à 20h. Cela se passe au sous-sol du 31 rue d'Ulm à Paris. Durant ces cinq derniers mois, Raymond Sarti, accompagné de Claude Nessi et Bernard Skira, les a laissés imaginer cet incroyable paysage à partir des moulages en plâtre retrouvés dans les archives. Stéphanie Daniel a supervisé la mise en lumière comme je le faisais pour le son, confiant aux étudiants le soin de concrétiser leurs idées. La vingtaine d'élèves de 3e et 4e année ont mis la main à la pâte et bien heureusement détourné le sujet. Ainsi leur texte annonce :
L'homme évolue dans un monde immense et dense, un monde qui lui semble infini, immuable. Pour s'y inscrire malgré tout, il a recours à des conventions, vaines tentatives qui visent à mettre le monde à sa portée et à l'organiser. La Terre devient ainsi une mappemonde qu'il tient dans sa main. Les distances sont traduites par des systèmes d'échelles, et tout ce qui nous entoure et nous atteint peut être nommé, contrôlé. L'art joue avec ces conventions, peut-être pour en dévoiler une part d'absurdité, sans doute pour révéler la dualité qui oppose notre perception réduite du monde à sa véritable nature. L'art se fait messager et nous permet de naviguer de l'un à l'autre avec plus de douceur. Une possibilité d'harmonie est perceptible.


Pas question de dévoiler la suite. Venez vous laisser surprendre. L'installation monumentale Voir & Mouvoir est particulièrement interactive. Le son y a toute sa place. La seconde photo dévoile d'ailleurs un piano préparé avec système de poulies caché sous le lycra. L'enthousiasme de cette grande équipée est communicatif. En partant, Raymond me glisse une petite phrase lue sur un mur du quartier du Panier à Marseille où il vient de livrer Méditerranées, l'exposition inaugurale de Marseille Provence 2013 : "L'éducation ne consiste pas à gaver les enfants, mais à leur donner faim"...

jeudi 24 janvier 2013

Cris et chuchotements (reprise)


"Il neige à Paris. C'est tout blanc. Il neige, il neige. Ma fille me raconte que le chèque à l'EDF s'étant perdu, un employé zélé leur a coupé le courant sans même sonner à leur porte. Il a glissé un mot dans la boîte aux lettres. Il n'a pas coupé tout le courant, il a fait passer le courant en service minimum. Ça veut dire que l'électricité fonctionne par intermittence, ça va, ça vient. Dehors, il fait 0°. Il y a de braves gens qui font leur travail. Il y a aussi des salopards. Tout est devenu automatique, ceux qui appliquent le règlement à la lettre seront bientôt remplacés par de nouvelles machines. Ne devrait-on pas considérer la main d'œuvre comme un contre-pouvoir sur les machines ? Machines au service du capital toujours plus avide de bénéfices, machines au service d'un pouvoir à la poursuite du contrôle, machines esclavagistes qui nous mettent des fils à la patte, qui nous tracent en nous vendant l'illusion de la liberté. Pour résister, il va bien falloir avoir recours à de nouvelles méthodes. N'empêche que ça se dégrade de jour en jour, il ne faudrait pas attendre qu'il n'y ait plus d'électricité. Il n'est plus question là d'EDF et de ses nervis, mais de la crise de l'énergie qui se pointe et qui finira par faire des étincelles, des grosses. C'est même à souhaiter, si on veut que ça bouge. Tout est bien cadenassé, les compteurs, la lutte des classes, les pensées... Demain je vais réfléchir."

J'avais écrit ce commentaire le 23 mars 2005. Le monde est-il devenu plus clément ? Non. Ça continue à empirer. 2012 a été difficile, 2013 risque d'être meurtrier. Dans le domaine de la culture il n'est pas un jour sans que l'on m'annonce un projet raccourci, la plupart du temps jusqu'à sa plus simple expression, l'annulation. Ceux qui ont un toit et le ventre plein n'ont pas à se plaindre, du moins pour eux-mêmes. Mais il va bien falloir qu'on se bouge pour les autres... Qu'attendons-nous ?

mercredi 23 janvier 2013

Beauté de la beauté


Beauté de la beauté est une gigantesque série sur la peinture réalisée par Kijû Yoshida, l'auteur de Eros+Massacre, équivalent japonais de la Nouvelle Vague. Le dispositif répétitif du tournage et la voix monocorde du réalisateur interdisent de regarder les épisodes à la suite les uns des autres. La magie du feuilleton provient de sa régularité, mais aussi de son espacement dans le temps. Chacun provoque alors une découverte, soutenue par la musique contemporaine de Toshi Ichiyanagi et une remarquable partition sonore où les ambiances enveloppent les œuvres d'un halo à la fois magique et réel. En trois DVD, Carlotta propose 20 épisodes de vingt-quatre minutes parmi les 94 tournés au gré des années, de 1974 à 1978, où Yoshida arpente la planète à la recherche de la beauté en prenant garde de ne jamais la nommer. Si son approche des peintres est d'abord géographique et historique, elle est surtout sociale et politique. Il plonge dans l'Histoire, resituant ce qui a poussé les artistes à se distinguer de leur époque. Toute œuvre est critique. À son tour Yoshida revisite la peinture avec le regard distancié de son île et de son esprit frondeur. Sa présence de visiteur étranger hante les lieux où sont exposées les œuvres. Imperceptiblement il s'identifie aux plasticiens qui furent d'abord des hommes avant de transposer sur la toile ce qu'ils voyaient et entendaient, ce qu'ils vivaient et ressentaient. Les titres et sous-titres en disent long :
- Bosch, le peintre du fantastique : L'hérésie de la naissance du nord, La descente aux enfers, Le rêve d'un royaume millénaire
- Bruegel, quand le peintre est témoin de la ruine de son pays : La mise en perspective de la foule, La beauté violée du paysage
- Les crimes du peintre Caravage : Le réalisme ou l'aboutissement du crime, La fuite vers la Sicile et l'île de Malte
- Goya, le magicien de l'Espagne : L'apparition d'un peintre de cour maléfique, Avec lui commence le chaos moderne, Le sommeil de la raison engendre des monstres
- Delacroix ou le paradoxe du romantisme : Un jeune homme venu trop tard, De l'aristocratie de l'âme
- Le scandale sacré : le peintre Manet : Olympia un sentiment d'obscénité, Le dandysme est un soleil couchant
- Cézanne, le regard d'un solitaire : Qu'elle est loin la jeunesse, L'orage du midi
- Van Gogh : Le prédicateur, Celui qui perdit son pays natal, L'autodestructeur, Le suicide

mardi 22 janvier 2013

Portnawak


Les employés de la Mairie de Bagnolet m'ont demandé l'autorisation de photocopier l'acte de mon premier mariage pour pouvoir l'encadrer. J'avais besoin qu'y soit stipulé mon divorce pour prouver que je ne serai pas polygame. Nous apprîmes ainsi que Michèle et moi fumes mariés dès notre naissance, ce qui n'a rien d'étonnant puisque nous étions déjà capables de parler, déclarant alors l'un et l'autre notre désir, l'acte en fait foi.
Ces derniers mois il ne fut pas une seule démarche auprès d'un organisme social sans que l'information délivrée soit exacte. On m'envoya à Pétaouchnok pour réclamer mon relevé de carrière, de là on me suggéra d'aller me présenter à une autre CNAV qui avait déménagé, puis à des jours et horaires de fermeture, enfin à m'y déplacer quand un simple envoi postal suffisait. L'association qui m'emploie eut les mêmes déboires avec l'intégralité des organismes gérant les charges sociales, il fallut chaque fois s'y reprendre de deux à quatre fois pour avoir la bonne information. Nous avons pris l'habitude de ne jamais nous fier à ce qui nous est affirmé, en particulier lorsque la réponse est contrariante. Hier Pôle-Emploi m'envoyait un dossier à remplir avec les dates de celui de l'an passé. Allez savoir ensuite ce que je devais renvoyer. J'ai mis un ruban autour de la totalité des papiers en ma possession et zou, à la poste !
Comme ce portnawak est devenu systématique j'ai tendance à généraliser en me posant la question des raisons de ce laisser aller. Est-ce le fait d'une déqualification, d'une surcharge de travail due aux compressions de personnel suite aux licenciements forcément abusifs, d'une consigne pour retarder les paiements ou engendrer des amendes suite à nos déclarations erronées, d'une déprime globale face à la crise fabriquée de toutes pièces par le Capital, d'un ras-le-bol annonciateur de lendemains qui chantent ? Je n'en ai pas la moindre idée, mais je sais maintenant qu'il faut poser trois fois la même question pour être certain d'avoir trois réponses divergentes !

lundi 21 janvier 2013

Le BachFilm des Straub


Avec Le BachFilm les Éditions Montparnasse continuent de publier leur incroyable intégrale des films de Danièle Huillet et Jean-Marie Straub. Après déjà sept volumes nous est proposée la célèbre Chronique d'Anna Magdalena Bach dans cinq versions qui diffèrent par la langue, allemande, française, anglaise, italienne, néerlandaise, toutes originales, tant le couple de réalisateurs tient à l'authenticité de tout ce qu'ils filment. Ainsi toutes les œuvres interprétées par Gustav Leonhardt qui joue le rôle du compositeur, par Christina Lang-Drewanz qui joue celui de sa femme, par Nikolaus Harnoncourt à la tête du Concentus musicus, Ensemble fûr alte Musik de Vienne, par August Wenzinger à celle du Konzert-gruppe des Schola Cantorum de Bâle, par Heinz Henning à celle du Knabenchor de Hanovre, etc. sont intégralement enregistrées en direct. Il est peu probable que vous regardiez et écoutiez les cinq versions, mais le jusqu'au-boutisme d'une intégrale doublé de l'exigence straubienne imposent cette exposition quasi encyclopédique. Chronique d'Anna Magdalena Bach (1967) est certainement leur film le plus évidemment accessible au grand public qui devrait être fasciné par l'authenticité de l'entreprise. J'ai un petit faible également pour l'opéra Moïse et Aaron de Schönberg tourné sept ans plus tard, référence fondatrice de mon propre travail. Pris entre le spectacle de la vie réelle et le travail critique sur les conditions sociales où s'exerçait l'œuvre de Bach la magie vous entraîne dans des mondes insoupçonnés, expérience unique dans l'histoire du cinéma. Les rapports que Bach entretient avec ses commanditaires montrent que rien n'a vraiment changé depuis cette époque ! Le second DVD propose un documentaire de 1968 de Henk de By sur les trois premiers films des Straub, les témoignages de Gustav Leonhardt lors du tournage de la Chronique, plus récemment de Christina Lang-Drewanz et Nikolaus Harnoncourt, un extrait d'une conférence de Gilles Deleuze intitulée Qu'est-ce l'acte de création ?, ainsi que des photos et documents inédits sur la partie Rom du DVD, plus un livre de 160 pages incluant le découpage précis du film avec toutes les références musicales, cela va de soi ! Le film est un des must absolus en matière de musique au cinéma, il n'y en a pas tant que cela, tout aussi indispensable aux amateurs de Jean-Sébastien Bach, alors que Gustav Leonhardt était encore à ses débuts, comme à toutes celles et ceux qui se demandent à quoi rime le cinématographe.

vendredi 18 janvier 2013

Exercice de style sur le Tram 3b


L'air glacial gelait mon visage comme si le moindre choc pouvait le pulvériser. J'ai parqué le Vélib' et entrepris mon premier voyage en tramway depuis sa mise en service. Il passe enfin à proximité de chez moi. Le voyage aller s'est fait sans encombre, mais pas sans encombrement, des automobilistes énervés roulant sur les rails Porte de la Villette.
Le design sonore des annonces des stations me déçoit, je m'attendais à des jingles plus en rapport avec le nom des stations, d'autant que nombreuses des nouvelles portent des noms de femmes et non des moindres, la féministe libertaire Séverine, la résistante à l'apartheid américain (et en autobus) Rosa Parks, et surtout des voix inoubliables, emblématiques, comme celles de Delphine Seyrig et Ella Fitzgerald... C'est bizarre, j'avais lu que Rodolphe Burger avait fait comme déjà à Strasbourg, en utilisant des voix et accents réfléchissant la variété ethnique de la population parisienne. Je n'ai rien entendu de cela.


Au retour je vois une vieille femme qui tente désespérément d'ouvrir la porte à l'avant pour grimper. L'autocollant Hors Service a été intelligemment placé trop haut pour qu'on puisse le lire. J'ai beau lui faire de grands signes le soleil l'empêche de me voir. Le chauffeur la regarde impassiblement dans le rétroviseur et il la plante là, seule, dans le froid assassin. Peut-être se dit-il qu'elle n'aura qu'à prendre le prochain, dans un petit quart d'heure. Je suis estomaqué. À l'arrêt suivant du 3b un grand type en casquette se fiche en colère contre le chauffeur qu'il a vu jouer avec son portable au volant sans se préoccuper des usagers qui font le pied de grue enfermés dehors. Deux minutes plus tard il engueule le cuistre en lui hurlant qu'il ne faut pas s'étonner qu'il y ait ensuite des agressions si des employés de la RATP se comportent de manière aussi goujate. Le grand type est tenté d'appuyer sur le bouton de la porte qui nous sépare du muffle, d'autant que travaillant aussi pour la Régie il tient à la main un passe lui permettant d'extraire le salopard de sa cabine de verre. Il m'explique qu'au terminus les chauffeurs doivent sortir de leur habitat protégé pour gagner la cabine opposée et repartir dans l'autre sens. Je lui réponds que les salariés ne devront pas s'étonner d'être remplacés par des machines s'ils sont incapables de la plus simple humanité. Je descends à Adrienne Bolland, une aviatrice qui traversa la Cordillère des Andes en 1921 et réchappa à maints sabotages et accidents provoqués par ses positions féministes et politiques.

jeudi 17 janvier 2013

Incisives de John Waters


Après quelques écoutes en boucle du nougat toulousain je cède aux sirènes du rock américain, plutôt tordu puisqu'il s'agit d'une compilation audio concoctée en 2007 par le réalisateur John Waters en vue d'un rencart hypothétique, hypothétique du moins quant aux effets de ces morceaux choisis s'il s'agit d'emballer ! Survoltés, Jet Boy Jet Girl par Elton Motello (version anglaise de Ça plane pour moi écrite par son véritable auteur et interprète francophone Lou Deprijk), All I Can Do Is Cry par Ike & Tina Turner en transe paroxystique, Clarence "Frogman" Henry dans un numéro vocal tri-sexuel... De Waters on pouvait évidemment s'attendre à des expériences hors pistes, I'd Love to Take Orders From You par Mildred Bailey, corny avec John Prine et Iris DeMent ("Convict movies make her horny...), gérontophile avec l'actrice Big Girls Don't Cry d'Edith Massey, kitsch avec Earl Grant dans la chanson titre du film Imitation of Life de Douglas Sirk, troublants avec Sometimes I Wish I Had a Gun par une autre des actrices de Waters, Mink Stole, Johnny Are you Queer par Josie Cotton ou lorsque Margie Hendricks rejoint Ray Charles dans (Night Time Is) The Right Time avec son Squeeze me, squeeze me! On reprend son souffle avec le crooner Dean Martin et Hit The Road To Dreamland, mais déjà Eileen Barton vous réveille avec If I Knew You Were Coming” I'd do more than “Bake You a Cake” et Shirley & Lee vous achèvent avec Bewildered. Pour les fans, John Waters a enregistré en vidéo ses notes de pochette...

mercredi 16 janvier 2013

Remix, violence et décervelage


Bastards est une série entraînante de remixes de Biophilia de Björk, son dernier album qui ne présente pas grand intérêt. Et là ça marche. Le Syrien Omar Souleyman séduit sur Crystalline et Thunderbolt, et Hudson Mohawke, Death Grips, Matthew Herbert, These New Puritans, Alva Noto, Current Value, The Slips s'en sortent mieux que l'originale. De là à traîter ces sauciers de bâtards, Björk exagère. Elle va trop au cinéma ou choisit mal ses films. Aujourd'hui je ne suis pas certain de mieux m'en tirer.


Je me lance dans une autre comparaison entre un original et son remix inspiré, Django de Sergio Corbucci tourné en 1966 (au cinéma le 23 janvier) et Django Unchained de Quentin Tarantino. Le film sorti mercredi est un come back plutôt réussi du vidéotécaire après une série de navets plus indigents les uns que les autres. Si les deux spaghetti western sont à la sauce tomate, acidité au programme, l'un et l'autre jouent sur la vengeance des opprimés contre le racisme, ici les victimes de l'esclavage, là de pauvres Mexicains plutôt lasagnes. La démagogie identificatrice profite aux deux films, effets téléphonés à la clé, loi du genre oblige, sans surprise. Le film pompier de Tarantino est sauvé par le personnage interprété par Christoph Walz (à gauche de Jamie Foxx) dont l'humour fait passer la violence, encore plus répétitive et fatigante chez son prédécesseur italien.


Quitte à se laisser décerveler par un des blockbusters de la nouvelle année, autant se coltiner Zero Dark Thirty de Kathryn Bigelow, thriller d'action réussi dont le prétexte benladenien n'a aucun intérêt historique ni politique. Il a par contre l'avantage de revendiquer son féminisme dans un domaine où le machisme est la règle (en photo, Jessica Chastain). La polémique américaine sur ses scènes de torture, il est vrai éprouvantes, est évidemment idiote. Le spectacle est payant ; la dénonciation sincère. Bigelow, comme Tarantino, y gagne sur les deux tableaux. Ils se dédouanent en se répandant. À la fois cynique et empli de culpabilité, ce cinéma ne présage rien de bon.


À peine plus critique, si ce n'est le début du film qui rappelle la responsabilité (aujourd'hui assumée) des États Unis et de la Grande Bretagne dans le coup d'état de 1953 contre Mossadegh (il avait nationalisé le pétrole iranien !), mais franchement anecdotique, Argo, le film multiprimé de Ben Affleck coproduit par George Clooney, est rondement mené, mais le suspense est éventé par la chute attendue. Cette fois la CIA opère sans effusion de sang, les gentils Américains tournant en dérision les vilains Iraniens lors de l'exfiltration en 1979 de six de ses diplomates. À la fin du film, le réalisateur nous fait le coup de que sont-ils devenus plutôt que de rappeler que la technique expérimentée lors de l'Opération AJAX qui a permis le retour du Chah, un homme de paille, devenue le modèle de toutes les ingérences américaines dans le monde. Barack Obama a eu beau reconnaître l'implication de son pays "dans le renversement d’un gouvernement iranien démocratiquement élu" et à s'en excuser dans un discours adressé à la communauté musulmane, les États Unis n'ont depuis jamais cessé de fabriquer des fictions plus vraies que n'en produit Hollywood à la chaîne... There is no show business like business !

mardi 15 janvier 2013

Dents de lait de Nougaro


Frémeaux continue son travail patrimonial en publiant des CD de chansons, musiques et textes rares ou oubliés. Ainsi sont sortis des albums de Serge Gainsbourg, Boris Vian, Claude Nougaro et leurs interprètes. Possédant déjà l'inusable et fabuleux coffret de 6 disques de Boris Vian paru chez Polygram en 1991 j'évite les doublons malgré quelques chansons figurant sur les 3 CD qui excitent ma curiosité. Idem pour Gainsbourg bien que Frémeaux se soit attelé à une intégrale depuis 1957 avec déjà deux triples volumes. La surprise vient donc des débuts de Claude Nougaro, par lui-même avant qu'il se mette à rouler les r et surtout des interprètes qui l'ont chanté lorsqu'il n'était encore qu'auteur. Très influencé par Boris Vian, sur les pas rock 'n roll d'Henry Cording alias Salvador, le jeune Nougaro va rapidement s'enticher du jazz et ne plus arrêter de swinguer. Charles Trenet avait montré la voie dès les années 30. Le feutre taupé de Roche et Aznavour date de 1948... Comme je l'interrogeais en 1998, Nougaro répondit : "C'est dans ce miroir noir que j'ai reconnu une partie de mon âme. À ce sujet-là, mon front n'est pas une frontière..."
L'intérêt du double album réside dans les interprétations de Philippe Clay, Jean Constantin, Lucienne Delyle, Richard Antony, Marcel Amont, Pierrette Bruno et d'inconnus telle Simone Alma dont le cri dans Vise la poupée est inoubliable. La gouaille de Clay très présent, la version de Bobino des Pantoufles à papa par Constantin, la mélodie de Serge et Nathalie par Colette Renard sont enthousiasmants. Comme pour tous les artistes cités plus haut les paroles sont de petites dramaturgies qui leur confèrent un statut de court métrage. La pop anglo-saxonne a laminé le texte au profit de la musique et des arrangements. Comment écouter les chansons de Prévert et Kosma en faisant la vaisselle ? Même légères et frivoles les paroles réclament de l'attention pour en savourer tout le suc. Ça se comprend. (à suivre)

lundi 14 janvier 2013

Ça ne peut pas continuer comme ça !


Ça ne peut pas continuer comme ça ! est un film jubilatoire de Dominique Cabrera coproduit par France Télévisions (MFP) et la Comédie-Française, la première fiction développée par cette noble institution depuis 1680 comme le souligne son administratrice, Muriel Mayette. Comédie du pouvoir et pouvoir des comédiens s'y renvoient la balle dans une remarquable mise en scène en abîme où la critique politique résonne avec les propositions les plus radicales de la Gauche tandis que s'ébrouent les pensionnaires de la maison de Molière. Les multiples clins d'œil à la réalité ne gomment pas l'habile scénario où le Président de la République en phase terminale est remplacé secrètement par un comédien.


Aurélien Recoing ne joue pas seulement les deux rôles, il montre les deux faces de chacun de ses personnages, aussi graves que comiques. Le film révèle d'ailleurs une pépinière d'acteurs peu vus au cinéma, tous membres de la Comédie-Française, théâtre faisant miroir aux intrigues de l'Élysée ! Dominique Cabrera a réussi à mettre dans sa poche tous ses co-producteurs, son scénario, écrit avec Olivier Gorce, révélant admirablement la manipulation des masses par le pouvoir et la télévision comme la passion des comédiens pour leur métier, le tout avec humour et perspicacité. Les laquais patentés le prendront forcément mal, le public devrait s'en réjouir.

Le film est programmé vendredi prochain 18 janvier à 22h15 sur France 2.

vendredi 11 janvier 2013

Rencontre avec John Cage (reprise)


En mai 2006, Jonathan, défendant l'importance de John Cage, me rappelait que j'avais écrit à propos de l'héritage d'Edgard Varèse "Toute organisation de sons pouvait être considérée comme de la musique !" C'est ce sens qui m'a fait penser à Cage, surtout 4'33", ajoutait mon ami américain.

Au début d'Un Drame Musical Instantané, nous nous posions toutes ces questions, surpris par l'immensité du champ des possibles. En 1979, j'avais téléphoné à John Cage et l'avais rencontré à l'Ircam alors qu'il préparait Roaratorio, une des plus grandes émotions de ma vie de spectateur. Nous étions au centre du dispositif multiphonique. Cage lisait Finnegan's Wake, il y avait un sonneur de cornemuse et un joueur de bodran parmi les haut-parleurs qui nous entouraient. Cage avait enregistré les sons des lieux évoqués par Joyce. On baignait dans le son... Un après-midi, je lui avais apporté notre premier album Trop d'adrénaline nuit pour discuter des transformations récentes des modes de composition grâce à l'apport de l'improvisation, nous l'appelions alors composition instantanée, l'opposant à composition préalable... Cage était un personne adorable, attentive et prévenante. Heures exquises. J'étais également préoccupé par la qualité des concerts lorsqu'il y participait ou non. C'était le jour et la nuit. Nous avions parlé des difficultés de transmission par le biais exclusif de la partition, de la nécessité de participer à l'élaboration des représentations... En 1982, le Drame avait joué une pièce sur les indications du compositeur. C'était pour l'émission d'une télé privée, Antène 1, réalisée par Emmanuelle K. Je me souviens que nous réfutions l'entière paternité de l'œuvre à Cage ! Nous nous insurgions contre les partitions littéraires de Stockhausen qui signait les improvisations (vraiment peu) dirigées, que des musiciens de jazz ou assimilés interprétaient, ou plutôt créaient sur un prétexte très vague. Fais voile vers le soleil... Cela me rappelle les relevés que faisait Heiner Goebbels des improvisations d'Yves Robert ou de René Lussier ; ensuite il réécrivait tout ça et leur demandait de rejouer ce qu'ils avaient improvisé, sauf que cette fois c'était figé et c'était lui qui signait. Arnaque et torture ! J'aime pourtant énormément les compositions de Goebbels.


Pour le film d'Antène 1, l'une des deux caméras était une paluche, un prototype fabriqué par Jean-Pierre Beauviala d'Aäton, qu'on tenait au bout des doigts comme un micro, l'ancêtre de bien des petites cams. J'ai réalisé Remember my forgotten man avec celle que Jean-André Fieschi m'avait prêtée en 1975. Sur la première photo où Bernard joue du cor de poste, on aperçoit à droite la paluche tenue par Gonzalo Arijon. Sur la deuxième, il filme Francis... La séance se déroulait dans ma cave du 7 rue de l'Espérance. Nous enregistrions quotidiennement dans cette pièce dont l'escalier débouchait sur la cuisine de la petite maison en surface corrigée que je louais sur la Butte aux Cailles. C'est un des rares témoignages vidéographiques de la période "instantanée" du Drame.


Bernard Vitet y joue d'un cor de poste, Francis Gorgé est à la guitare classique et au frein, une contrebasse à tension variable inventée par Bernard. Nous jouons tous des trompes qu'il a fabriquées avec des tuyaux en PVC et des entonnoirs ! Je programme mon ARP2600 et souffle dans une trompette à anche et une flûte basse, toutes deux conçues par Bernard.
Je me souviens encore de Merce Cunningham traversant au ralenti la scène où nous avions joué comme un grand et vieux bonzaï. J'aimais le synchronisme accidentel qui régnait entre la danse et la musique. Un jour où l'on demanda à Cage qu'elle était exactement sa relation avec le chorégraphe il répondit naturellement : "je fais la cuisine et lui la vaisselle !".

jeudi 10 janvier 2013

Renversant


C'est flou. D'abord parce que je n'ai pas ralenti pour ne pas gêner la circulation. Sur le périphérique il suffit d'un accident sur la voie inverse pour que les curieux provoquent un gigantesque embouteillage. Ensuite c'est la réponse à la question que tout le monde se pose en voyant la voiture les quatre roues en l'air. Comment réussir ce tour de force ? Sur la route vers l'École des Arts Décos, où je supervise le son d'une étonnante installation sur laquelle je reviendrai, je descendais hier l'avenue des Gobelins lorsque j'ai vu les premiers secours s'affairer à la portière ouverte sur le ou les passagers. J'espère n'avoir pris aucun risque en appuyant sur le déclic sans viser.
À Paris ce sont les piétons qui sont le plus touchés par les accidents mortels, suivis par les cyclomoteurs. Si les automobilistes ne sont pas épargnés, ce sont étonnamment les cyclistes qui s'en sortent le mieux, même depuis l'avènement des Vélib' dont les utilisateurs conduisent parfois en dépit du bon sens. L'insouciance des jeunes et le gâtisme des vieux les jettent sous les roues des automobiles tandis que les cyclistes sont conscients de leur fragilité. Les chiffres racontent que sur les routes de France un mort sur trois est dû à l'abus d'alcool, un sur trois à l'endormissement, un sur cinq à la vitesse, un sur dix à l'utilisation d'un téléphone au volant, mais 92% sont des hommes et 71% des accidents mortels ont lieu la nuit sur des départementales.

mercredi 9 janvier 2013

Nouvel album / Birgé - Hoang - Segal


Les Allumés du Jazz proposant à ses labels adhérents de leur produire trois albums sur le thème de la REPRISE, nous avons aussitôt envoyé une proposition intitulée "dans tous les sens du terme". Je rédigeai donc un programme que je fis suivre à mes camarades, le violoncelliste Vincent Segal et le saxophoniste-clarinettiste Antonin-Tri Hoang.

1. de contact : 30 ans après l'écoute d'Un Drame Musical Instantané par Vincent aux Musiques de Traverses de Reims / 23 ans après la naissance d'Antonin-Tri, nourrisson voisin de Jean-Jacques / 13 ans après le dernier album de celui-ci avec Un Drame Musical Instantané / facile et agréable)
2. (signes de) : musique répétitive et évolutive s'appuyant sur la programmation en temps réel d'un Tenori-on
3. de risque : improvisation avec des instruments qui ne sont pas ceux des musiciens habituellement
4. (manque de) : drône / encéphalogramme plat
5. après le gong : sportif
6. de bec : jeu sur les anches
7. d'otages : citations dévoyées comme base de dialogue
8. de sang : citations assumées comme base à l'invention
9. de courant : transformation du son du violoncelle et du saxophone alto au travers d'effets électroniques en temps réel
10. des hostilités : affirmation brutale de chaque individu et du groupe face au formatage
11. des négociations : sur la pointe des pieds
12. du travail : enthousiasme
13. d'une entreprise en difficulté par ses salariés : solidarité et jeu d'ensemble

Puisque nous avions choisi d'enregistrer le 23 décembre dernier, autant commencer par là, pensèrent Antonin et Vincent. Et nous voilà lancés dans toute une série d'improvisations sans autre concertation que les notes que je leur avais imailées !
À la réécoute je supprimai les deux derniers morceaux qui réfléchissaient surtout notre extrême fatigue et réordonnai ceux qui semblaient mériter de figurer dans ce premier jet. Mixage terminé, ambiance très cool, 43 minutes en accès libre, écoute et téléchargement gratuits sur le site drame.org, comme les 93 autres heures dont chacun/e peut profiter, soit aléatoirement sur Radio Drame, soit en choisissant parmi les 39 albums inédits offerts par le label GRRR. Les fichiers sont en mp3, leur version audiophile (44.1/16) étant réservée à une éventuelle production physique ou payante. Pour celles et ceux qui préfèrent tenir entre leurs mains de belles pochettes et d'astucieux livrets, quantité de vinyles et CD sont d'ailleurs toujours en vente sur le site.

mardi 8 janvier 2013

Le chaînon manquant


C'est une histoire que j'aime bien rappeler, même si vous la connaissez probablement déjà. Il y a très longtemps j'ai entendu Yves Coppens la raconter à la radio. Avec son ami Jean-Jacques Petter, directeur du zoo de Vincennes, le paléoanthropologue avait eu l'idée de tester l'intelligence d'un chimpanzé. À l'époque ils ne disposaient ni de caméra de surveillance ni d'autre moyen sophistiqué que de surveiller l'animal par un trou de serrure. Dans une salle du Museum d’Histoire Naturelle ils pendent donc un régime de bananes au plafond et disposent une table et une chaise à l'autre bout de la pièce. Le singe serait-il capable de se servir de ces outils ? Déplacerait-il les meubles et les empilerait-il pour atteindre le fruit convoité ? Les deux savants attendent patiemment derrière la porte. Pas un bruit ne se fait entendre. Plus étrange, Coppens collant son œil pour voir ce qui se passe ne voit absolument rien alors qu'il fait jour et que les fenêtres n'ont pas de volets. Ils ouvrent la porte pour vérifier que la serrure n'est pas bouchée. Non, tout est normal. Le chimpanzé est tranquille dans son coin. Ils referment la porte et Petter s'y colle à son tour. Et là, il voit. Devinez quoi ? L'œil du chimpanzé ! Les deux amis ont terminé la journée dans la plus grande euphorie. Coppens a décroché les bananes pour les offrir à leur sujet d'expérience, habitué qu'on le serve. J'adore cette histoire qui me rappelle la découverte du chaînon manquant entre le singe et l'homme : et bien, c'est nous, tout simplement...

Illustration : détail du tableau de Rémy Cogghe, Madame reçoit (1908) exposé à La Piscine, Roubaix.

lundi 7 janvier 2013

Volontiers


Crise, mon œil ! Travail, mes oreilles ! Désir, mes lèvres ! Intuition, mon nez ! Recherche, mes lunettes ! Course, mes doigts sur le clavier ! Je convoque tous mes sens pour faire avancer nos affaires malgré les coupes sombres qui plombent le paysage culturel. La léthargie ambiante n'a pas voix au chapitre si nous nous groupons pour faire face au cynisme et à l'incompétence. Tous les secteurs sont touchés. La peau de chagrin est portée en étendard. Tous les jours j'invente quelque chose. La nuit mes rêves ressemblent au réel, mais chaque fois un petit décalage les range au rayon des désirs inassouvis. C'est bien. Le ciel est gris, mais mon cœur est radieux. Par mes vêtements j'affiche mes peintures de guerre, dynamitant les tentations à l'abattement. On ne baisse pas les bras. On ne les lève pas non plus. On les envoie droit devant. Direct du gauche. L'ennemi ne s'y attend pas. Il n'y croit pas. On a beau étaler les preuves, ils disent que ce ne sont que des rumeurs, ils font semblant, semblant de vivre. Je regarde la pluie et je l'aime. Le soleil brûle ma peau, si je veux. J'attends la neige, le vent, la tempête, j'attends le silence.


Pendant ce temps-là je confectionne un petit site pour le spectacle Dépaysages, un film de Jacques Perconte qu'il travaille en direct tandis que nous improvisons sous l'écran. Le 21 mars nous devrions être à Clermont-Ferrand pour Vidéoformes avec le sax-clarinettiste Antonin-Tri Hoang et la bassiste Fanny Lasfargues. Le 9 juin ce sera à Pantin pour Côté Court, le violoncelliste Vincent Segal sera de retour d'une tournée de plus d'un mois aux États Unis. D'ici là il y aura beaucoup d'autres festivités...

vendredi 4 janvier 2013

Acouphènes Parade, blues papier


Le dernier disque d'Étienne Brunet est en papier. Acouphènes Parade est un blues aussi déchirant que déchiré. Comme toutes ses réussites passées dans le domaine de la musique, il adopte un ton unique en s'appropriant un style qui n'était pas le sien. Pour franciser le blues il passe à la littérature. Rien d'usurpé : il a bu la coupe jusqu'à la lie, lie-de-vin, devin au passé, au crible et au laminoir du métier. Ça coule des sources. Brunet transcende l'aventure vécue en y mettant les formes. Écrit comme un polar, il tient en haleine, chargée et reprise plus d'une fois avant de sombrer. La perte de son oreille gauche est le résultat d'un long processus, trop de décibels, pas assez d'amour. Le cul n'arrange rien à l'affaire. Comment le blues pourrait-il être autrement que brutal ? En 64 pages il dresse un bilan, désespéré et courageux, isolé et communicatif, qui ne peut être que provisoire. Il annonce ce nouveau disque comme son dernier. Ne dit-on pas toujours que c'est le dernier avant d'entamer le suivant ? Le récit, en effet, ne s'arrête pas là. Brunet a réalisé parallèlement un projet vidéo accessible en ligne, version clipée de son blues inconsolable. Il y a un an je le présentais ici-même et annonçais la publication prochaine de son roman. C'est chose faite, édité à compte d'auditeur aux Éditions Longue Traîne Roll. Il a étoffé son projet transmédia avec de nouvelles vidéos, la musique seule au format mp3, un making of et un blog qui porte le nom de tinnitus-mojo. Tinnitus, perception sonore en l'absence de son extérieur. Mojo, pouvoir magique. Ou comment transformer une catastrophe réelle en création de l'imaginaire.

jeudi 3 janvier 2013

Drôles d'idées


En revenant de la presqu'île de Malmousque nous retrouvons le Vallon des Auffes sous un angle très différent de celui que nous avions eu à l'aller. Comment la hauteur de plusieurs dizaines de mètres qui sépare les deux points de vue pourrait-elle attirer le plus dément des casse-cou ? Est-ce la provocation morbide d'un fonctionnaire facétieux ? Au contraire, une dissuasion au suicide ? La crainte que ne se reproduise un drame ancien ? L'ordonnance absurde d'un service de sécurité ? La profondeur de l'eau dans le port n'a rien d'encourageant. On est plus sûrement attiré par la merveilleuse lumière hivernale et l'air vivifiant du large ! Superbe promenade marseillaise dans les calanques ce 1er janvier. Réveillon à rallonge avec les amis. Une manière délicieuse de commencer l'année que je vous souhaite meilleure.

mercredi 2 janvier 2013

Déjà un quart de siècle


Papa est mort il y a 25 ans. Le 2 janvier 1988. Il avait 70 ans. Ces chiffres sont flous. Ils possèdent l'élasticité du cœur. Le sien lâcha en fin d'après-midi. Pour moi c'est à la fois hier et dans une autre vie. Difficile de se souvenir entre la réalité et l'histoire qu'on s'est inventée. À chaque moment important de ma vie j'ai senti sa présence au-dessus de mon épaule, légèrement en arrière, comme un spot éclairant mon coude et mon bras droit, un Jiminy le criquet muet mais qui n'en penserait pas moins. Je fais ce qu'il faut pour ne pas le contrarier. Il a l'air amusé, attendri ou ému selon les circonstances. C'est une image que j'ai construite inconsciemment. La photo que m'a envoyée ma sœur date probablement de son anniversaire de 65 ans. Je venais de me faire couper les cheveux que j'avais laissés pousser depuis 1968 et j'avais rasé ma barbe. C'est bizarre, j'étais réapparu frisé. Mon père me manque. Je voudrais pouvoir échanger avec lui sur l'avenir du monde à la lumière de celui qu'il a traversé. Le jour de sa naissance, le 23 octobre 1917, le comité central bolchevik vota qu'une « une insurrection armée était inévitable et que l'époque était mûre ». J'aimerais tant lui présenter celles et ceux que j'aime aujourd'hui.

mardi 1 janvier 2013

Nouvel an à Marseille


La place n'est occupée que par le spectre d'une femme aux bras nus. Les illuminations cachent la faillite de notre système social. Nous fêtons le nouvel an avec les amis, mais que fêtons-nous exactement ? Une année de plus ? Les années en moins ne nous regardent pas encore. Alors nous dansons d'un pied sur l'autre, comme sur des braises, sur un volcan comme disait Narcisse-Achille de Salvandy à la veille de la révolution de juillet 1830 qui inspira à Delacroix sa Liberté guidant le peuple. Sur le front social, l'année 2012 a été particulièrement difficile, 2013 risque d'être meurtrière. Que souhaiter alors si ce n'est beaucoup de courage et une résistance active devant la lâcheté, l'incompétence et les compromissions de ceux qui nous gouvernent ? Si, comme leurs prédécesseurs, ils continuent de dérouler le même tapis rouge aux financiers et aux nantis plus avides que jamais, il faudra bien le retirer de sous leurs pieds pour l'attacher à la hampe et le hisser. Dans la sphère de l'intime, souhaitons-nous beaucoup d'amour et de tendresse, des rapports de proximité toujours plus solidaires et de la persévérance pour fêter ensemble la nouvelle année dans 365 jours !