Je passe des journées entières à essayer de me faire payer ce qu'on me doit. Comment travailler dans ces conditions ? Telle grande école perd mon dossier, trouve mon RIB incomplet, m'envoie un règlement qui ne correspond même pas au cinquième de mon salaire, tel employeur ne m'envoie rien du tout alors que je dois pointer à Pôle-Emploi en début de mois, cet organisme social réputé pour ses brimades à répétition a également perdu mon dossier, me redemande des originaux déjà envoyés bloquant mes allocations depuis trois mois, de son côté la Sacem m'aurait envoyé des lettres qui ne me sont jamais parvenues bloquant à son tour le paiement de mes droits d'auteur, tel client n'y a jamais déposé les déclarations communes que j'ai signées et pour lesquelles il a exigé d'être éditeur, etc. Je me demande chaque fois si les comptables salariés qui nous paient, ou plus exactement qui retardent systématiquement nos paiements, sont rétribués en temps et en heure.
Combien de temps passons-nous à l'écoute de répondeurs qui diffusent en boucle les mêmes messages imbéciles ? Lorsque l'on arrive enfin à joindre leur bureau, les responsables de ce gâchis sont malades ou en congé, leurs fonctions n'étant pas assumées par leurs assistants. Le gouvernement rend les intermittents du spectacle responsables d'un déficit mensonger. Tout est du même tonneau. Imagine-t-on la perte financière colossale pour le pays, imputable à tant d'incompétence voire de mauvaise foi et de malhonnêteté ? Car au lieu de produire, nous passons notre temps à chercher à percevoir les salaires qui nous sont dus. Cette activité stérile à laquelle s'ajoutent la réunionite, les contre-ordres et les bâtons dans les roues de ceux qui sont payés pour donner leur avis et critiquent sans proposition constructive, nous faisant refaire ce qui est mitonné aux petits oignons... À ce propos je pense sans cesse à la phrase terrible d'Étienne Auger : "Au début on donne le meilleur de soi-même, à l'arrivée on obtient le pire des autres !"
Tout cela occupe bien le tiers de nos journées et ce temps perdu a un coût phénoménal qui plombe notre économie. Heureusement que nous ne sommes pas en plus champions de la corruption, elle existe, mais elle ne s'exerce encore qu'au plus haut niveau de l'État et du capital. Qui osera prendre ce problème d'ampleur nationale à bras le corps ? On nous répète qu'il faut faire preuve d'austérité (du moins les pauvres), de solidarité (avec les banques de préférence), etc. Le déficit ne réside-t-il pas dans le choix de nos sacrifices ? De temps en temps un employé zélé débloque la situation en un tour de main, car le plus souvent bloquer la machine prend un instant, un instant d'inattention, une lassitude face à son travail d'esclave, un jemenfoutisme symptomatique d'une époque où la solidarité est devenue un slogan publicitaire ou un argument de campagne électorale, mais au quotidien, dans les rapports de proximité, comment s'exprime-t-elle entre travailleurs, entre voisins, entre amis, entre nous ?