Je suis intermittent du spectacle depuis 1974, date d'entrée en vigueur de l'aide telle qu'elle existe plus ou moins encore aujourd'hui. En quarante ans les conditions d'accès sont devenues plus difficiles tandis que les taux ont considérablement baissé. Comme pour les salaires leur dégringolade est inversement proportionnelle au coût de la vie. En quelques années l'euro a rejoint le franc. En dix ans la baguette de pain a donc vu son prix multiplié par six pendant que nos salaires, au mieux, stagnaient. Dans le milieu du spectacle, 2013 marque une chute vertigineuse. D'une période douloureuse nous basculons vers un épisode criminel. Qu'attendons-nous pour nous révolter ?
Réclamer notre dû a toujours été une épreuve, que ce soit pour percevoir nos salaires ou pour recevoir l'aide à laquelle nous avons droit et pour laquelle nos aînés se sont battus. Ainsi, à mes débuts, l'Assedic refusa de me verser mes allocations chômage et, après scandales tonitruants et envol de cendrier, je reçus enfin deux ans et demi d'arriérés. Les brimades y sont monnaie courante, mais mon boulanger préfère les espèces sonores et trébuchantes. Aller à l'ANPE se fait toujours à reculons. La manière dont on est le plus souvent reçu est plus humiliante que de devoir défendre son gagne-pain face à un patron indélicat.
J'écris au moment où mon dossier va être débloqué après quatre mois d'échanges aussi absurdes qu'inhumains. Est-ce la faute de la machine ? Aujourd'hui les salariés des organismes sociaux ne font que réparer les erreurs de l'ordinateur. C'est du moins ce que l'on nous raconte, comme si les machines n'avaient pas été programmées par des personnes et que leur usage disculpait celles et ceux qui s'en servent en suivant à la lettre les directives qui leur sont imposées. Hier matin, après trois réclamations non suivies d'effet, malgré qu'il m'ait été garanti chaque fois qu'une réclamation générait "automatiquement" une réponse sous quarante-huit heures, je me suis rendu à mon antenne Pôle-Emploi dans une ville lointaine de mon département, voyage que je conseille vivement à quiconque voit son dossier bizarrement en panne. La veille, l'attente d'au moins deux heures avait été dissuasive. Je m'y pointe donc à la première heure. Le préposé fait une photocopie de mon relevé de carrière que j'avais pourtant posté deux fois et il me fait remplir un dossier de demande déjà envoyé et évidemment en leur possession. Chaque fois que j'essaye de saisir pourquoi il m'interrompt, il me fait comprendre qu'obtempérer sans poser de questions est la seule voie vers le déblocage de mes indemnités de chômage. Il me fait même remarquer que la somme que je vais recevoir dans une semaine figure un joli pécule ! À quoi ça rime ?! Comme si c'était un cadeau de l'État, une gratification supplémentaire, une cagnote… J'en reste bouche bée. Je signe tout ce que l'on me demande de signer, espère que le paiement sera paraphé le lendemain par le chef de l'agence et file sans demander mon reste. Le préposé nia jusqu'au bout qu'il puisse s'agir d'un blocage, que le système soit faillible, que ses collègues aient pu omettre de cocher une case, qu'ils soient débordés après les compressions de personnel dont ils ont eux-mêmes été victimes.
Même si le taux risque de marquer une chute libre dans mes revenus j'attends impatiemment la retraite où je n'aurai pas à passer cette épreuve humiliante et déstabilisante, mélange d'incompétence et de mauvaise foi, qui pousse certaines personnes particulièrement fragiles à des actes désespérés et suicidaires, ou Akhenaton de chanter... Mâtin, quelle époque !