Sous la tente au-dessus du périphe, au fond du parquet dans la lumière, un trio se livrait à un exercice de musique sommaire, un cran avant le binaire, tension sans détente, change pas de main je sens que ça vient, la montée de sève se faisant attendre en vain, seules nos oreilles saturées suaient des boules, Quies retirées au bar dès les premières mesures. Lorsque je lis les programmes des festivals et que je n'y reconnais personne je me dis qu'il faut bien que j'écoute ce que fabriquent les jeunes musiciens. D'autant que mes anciennes connexions ont la fâcheuse tendance à prendre leur retraite alors que ma soif d'invention n'est pas prête de se tarir.
Heureusement Fanny Lasfargues attaqua sa contrebasse à la mailloche, à l'archet, à la brosse, à la baguette en composant des boucles dont le timbre semblait minéral. En écoutant le son de son solo au Cirque Électrique je pense au film de Mark Kidel que je viens de voir sur Edgard Varèse. Le Bourguigon n'en avait que pour le son. Ceux de Fanny lui auraient plu, basse électroacoustique cinq cordes branchée sur une ribambelle de pédales d'effets avec l'artefact en bandoulière et le cristal au bout des doigts.


À l'entracte le froid de l'hiver qui n'en finit pas malgré la date de péremption nous était tombé sur les jambes. J'ai repensé à Varèse dont on entend dans le film un enregistrement très correct de la session qu'il dirigea en 1957 avec Mingus à la basse, partition graphique préfigurant le free-jazz et générant par là-même un éclairage inédit sur l'histoire de la musique. Bonne nouvelle, la cassette que m'a donnée Robert Wyatt est donc une pâle copie de l'original. Kidel ne se trompe pas d'inspirations en illustrant la musique, là où Bill Viola s'était planté dans les grandes largeurs avec son désert pris à la lettre, grossière erreur.
Les témoignages sont de première main. Je découvre la haine de Varèse pour son père, son amour de la peinture et sa passion pour l'alchimie, une tentative d'explication concernant la disparition des premières œuvres et sa dépression qui lui fit songer un temps au suicide. Quinze ans sans écrire, c'est dur. Évoquant les scandales que les représentations de ses œuvres n'ont pas manqué de provoquer, le compositeur "qui refusait de mourir" précise que pour vomir sa musique il faut d'abord l'avaler ! En inspectant le DVD commandé aux Films d'Ici j'ai la nette impression qu'il est gravé à l'unité. Donnez donc du travail à la petite main qui s'en charge !

P.S.: petite erreur de sous-titre, il s'agit d'Eddy Bert. Quant à Bird il mourut juste avant d'avoir eu le temps de prendre des leçons avec Varèse...