Aujourd'hui j'ai choisi Les ambassadeurs d'Holbein Le Jeune en référence à la manifestation de demain dimanche. S'installer dans un rôle quasi immuable, au service de l'État, exige une honnêteté que le pouvoir érode avec le temps. Les mandats ne devraient pas être reconductibles et les élus (ou tirés au sort, c'est à débattre) devraient avoir des comptes à rendre à la population, qu'elle puisse juger si les promesses ont été tenues. Cette sanction freinerait peut-être les ardeurs de certains lobbyistes qui ne craignent pas les conflits d'intérêt.

J'avais livré mes notes sur l'enregistrement de la musique sans hélas pouvoir montrer le film. Je crois que c'est un des préférés de Pierre Oscar Lévy, peut-être pour son idée de regarder le tableau sur la tranche par un mouvement en 3D, quatre minutes après le début. Car, "pour voir le crâne et l’identifier comme tel, celui qui regarde doit se placer sur la gauche du tableau, plus bas que son cadre, quelque chose comme à genoux de côté". Si le visiteur s'agenouillait au pied du petit crucifix il verrait le Christ regarder "la configuration obscène…" Les deux crapules s'effacent devant le Christ en relief que trop de reproductions recadrent honteusement tandis que le crâne d'Holbein retrouve son inéluctabilité biologique.

Je me demandais si toute œuvre n'est pas une anamorphose. Entendre que nos motivations et les moyens pour les atteindre relèvent d'un mystère plus grand que notre prétention à maîtriser notre art, même en prenant la clef des chants les plus désespérés. De là à tordre notre fiction pour faire apparaître le réel enfoui sous des couches de savoir ou de savoir faire il n'y a pas loin. J'imagine que l'inconscient guide notre main comme un mille-feuilles hypnotise le gourmand. Voyez-y pour preuve le synchronisme accidentel que nos rêves les plus fous n'auraient jamais osé invoquer.


"En m'endormant je savais qu'un truc ne collait pas. J'avais prévu de sonoriser Les Ambassadeurs d'Holbein avec un solo de trompette à anche, instrument inventé dans les années 60 par Bernard Vitet qui utilisait un bec de saxophone sopranino sur sa trompette en si bémol aigu. Aussi, dès 1976, lorsque nous avons commencé à jouer ensemble, j'ai adapté le bec de mon alto à ma trompette de poche. Quelque chose me chagrinait. Je pensais qu'il manquait une ambiance derrière les phrases entrecoupées de silence, mais le problème venait du fait qu'ils étaient deux, ces brigands ! Dans mon sommeil, j'ai imaginé inviter un autre musicien à jouer en duo, mais aucun instrument ne me convenait. Je me suis demandé comment j'aurais fait si Pierre Oscar ne m'avait pas dit qu'il n'aimait que les instruments acoustiques. D'un coup, la musique a résonné dans ma tête, le timbre du rythme cardiaque, les souffles du Christ derrière le rideau, le Waldorf MicroWave XT que je n'avais pas allumé depuis des lustres... J'ai filtré les graves et rosi le bruit blanc, mais je n'étais pas au bout de mes peines. J'ai commencé par enregistrer tous les instruments ensemble, parce que j'aime que la musique sonne comme on respire. À 8 heures du matin, j'avais quatre excellentes prises dans la boîte. Manque de chance, je ne devais pas être tout à fait réveillé, les sons synthétiques étaient trop bas dans le mixage. Tout reprendre. Je les ai enregistrés seuls et j'ai recommencé à souffler par dessus, en faisant du bruit avec les clefs, en respirant, j'ai même poussé un gémissement sur le crucifix. Entre temps j'avais suffisamment répété en regardant le film pour en connaître toutes les subtiles articulations et me souvenir de l'analyse que Luis en avait faite. La première prise était la bonne ; juste remplacer la dernière phrase par une seconde. Tout est calé à l'image près, naturellement. Le son de la trompette à anche ressemble à celui d'une clarinette basse. Dominique compare mon solo à Roland Kirk sans connaître mon attachement au saxophoniste aveugle. Je pensais à quelque chose de grave, à la mort dont les signes sont partout cachés dans le tableau jusqu'au célèbre crâne anamorphosé. J'ai trouvé un moyen de boucler mes 4'51" et j'ai envoyé le fichier son. La tension était telle dans le studio que j'en avais encore la tremblote. Le soir, Pierre Oscar me dit qu'avec la musique on dirait du Scorsese. Les Ambassadeurs ont l'air de deux crapules. La vanité est devenu un film noir."

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et musique - Jean-Jacques Birgé
Lutherie - Bernard Vitet
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © The National Gallery, Londres, dist. RMN
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.