Coup sur coup je regarde plusieurs films musicaux que j'avais gardés sous le coude. Les genres sont très différents. Tous posent la question de l'image lorsqu'il s'agit de figurer la musique.

"Grattez-vous si ça vous démange, aimez le blanc ou bien le noir, c'est bien plus drôle quand ça change, suffit de s'en apercevoir." Chaque fois que je regarde une version de l'opéra bouffe Les mamelles de Tirésias je reste pantois. Cette œuvre majeure de Francis Poulenc d'après Apollinaire est un ravissement. Je me souvenais de la version scénographiée par Topor (1986), je me laisse emporter tout autant par celle de Macha Makeïeff (2011) qui la fit intelligemment précéder à l'Opéra Comique du Foxtrot de la Jazz Suite n° 1 de Chostakovitch et du Bœuf sur le toit de Milhaud. Les noms de ces deux metteurs en scène laissent entrevoir la folie qui règne dans la pièce. Guillaume Apollinaire inventa d'ailleurs le terme surréaliste pour qualifier cette histoire trans-genre où la féministe Thérèse devient Tirésias. Certains ont cru y voir un pamphlet contre les femmes qui prirent la place sociale des hommes pendant la Première Guerre Mondiale, mais inversement j'entends que par l'absurde le poète taille un costard redoutable au machisme et à ses imbéciles préjugés. J'aime le lire ainsi, la fatuité masculine ne pouvant égaler la fantaisie féminine. Cette œuvre écrite en 1903 et terminée en 1916 anticipe L'événement le plus important depuis que l'homme à marcher sur la Lune, comédie de Jacques Demy de 1973 avec Deneuve et Mastroiani qui tombait enceint. De plus, elle annonce le clonage humain un siècle avant que les manipulations génétiques ne deviennent un sujet de débat majeur. En réalité il s'agissait avant tout d'inciter les Français à faire des enfants : "Écoutez ô Français la leçon de la guerre, Et faites des enfants vous qui n'en faisiez guère..." et ce sur un mode léger. La musique de Poulenc fait exploser en couleurs cette histoire rocambolesque avec ses airs inoubliables qui font briller la cocasserie des dialogues. En engageant clowns et acrobates, Macha Makeïeff fait son cirque quitte à irriter la critique bien pensante. Poulenc continue à énerver les coincés du classique alors que pour une fois on ne s'ennuie pas devant des acteurs figés par les rapports de classe. Ça bouge, ça foisonne, ça pétille d'invention et de folie douce tout en révélant une œuvre à la fois d'avant-garde et populaire.


Du second film je ne connaissais que la musique composée par George Harrison, mon préféré des Beatles lorsque j'étais adolescent. Le vinyle de 1968 fait partie des disques qui m'ont considérablement influencé par la richesse et la variété des éléments qui le composent, mélange de musique indienne, de rock électrique, de musique électronique et de piano bastringue. Le film de Joe Massot, Wonderwall, a beau être une œuvre mineure, il incarne remarquablement le Swinging London des années 60. Un vieux savant est amoureux d'une jeune nymphette qu'il zieute à travers le mur de sa chambre. La camera obscura que le voyeur reconstitue projette alors des images psychédéliques dont la jeune Jane Birkin est l'héroïne. La musique et les décors tarabiscotés sont le sujet de cette fantaisie british méconnue.


Le dernier, Once (2006), est une rencontre romantique entre deux musiciens que seule la musique unit. Au détour d'une rue, un guitariste irlandais fait la connaissance d'une jeune pianiste tchèque et la musique folk de faire le reste. C'est rose bonbon, jouli jouli, le succès venant de l'urgence du tournage réalisé en deux semaines sans autorisation, laissant filtrer la passion qui mène chaque musicien malgré l'adversité.


Parallèlement, je suis fasciné par plusieurs films sur John Cage et Glenn Gould, emballé évidemment par Searching for Sugar Man, belle enquête policière en forme de conte de fée, et suis avec beaucoup d'intérêt la découverte de la musique turque par Alexander Hacke (Einstürzende Neubauten) dans le documentaire de Fatih Akin, Crossing The Bridge (2005)...