Pendant la semaine que je passe allongé, bloqué par mon lumbago récalcitrant, Gary m'apporte quatre albums de Zaum à écouter ainsi que l'anti-opéra post-apocalyptique et non-surréel de Steve Dalachinsky and The Snobs. Massive Liquidity (Bam Balam) est à ajouter à la liste des plus enthousiasmantes rencontres entre un poète et des musiciens. La diction envoûtante de Steve Dalachinsky rappelle immanquablement celle de William Burroughs. Le poète est habitué à déclamer ses textes avec des musiciens inventifs tels William Parker, Susie Ibarra, Matthew Shipp, Mat Maneri, Jim O'Rourke et tant d'autres. The Snobs est un duo français composé des deux frères Thibault sous pseudos Duck Feeling et Mad Rabbit. Le premier joue de la guitare en rocker tandis que le second mixe et transforme les sons de la palette instrumentale qu'ils utilisent, orgue, basse, percussion, sitar, bruits d'objets les plus divers, sur des rythmes hypnotiques dont les timbres habillent la voix d'un manteau sombre et coloré. Costume sur mesures puisqu'ils l'ont cousu après avoir enregistré la voix nue de Dalachinsky dans le studio. La forme du texte épouse le propos, kidnapping de concepts qui s'étend jusqu'à celui des mots. De leur côté, les Snobs offrent gracieusement depuis 2003 leurs albums personnels en téléchargement...


Si j'avais beaucoup aimé l'album Trop tard de Steve Harris et son groupe Zaum, je ne suis pas déçu par les quatre autres que Gary m'a prêtés. Leurs compositions instantanées n'ont pas le travers de tant de musiciens qui ont érigé l'improvisation en genre musical et la contraignent par tant d'interdits et de poncifs pseudo-libertaires que leurs œuvres en deviennent tragiquement prévisibles. À l'écoute des excellents exemples de Zaum, orchestre plutôt que réunion de solistes, je ne peux m'empêcher d'analyser la méthode et de m'interroger sur les structures qu'engendre le raccourci opéré entre composition et interprétation. Si je m'y reconnais avec délectation, les similitudes me troublent tant que je suis poussé à imaginer des partis pris plus radicaux pour personnaliser ma propre musique. Entendre qu'à l'inverse des ayatollahs de l'improvisation qui s'interdisent le do majeur, les rythmes soutenus ou les mélodies fredonnables j'attrape à bras le corps tous les sons du monde, choisissant les structures les plus adaptées à mon propos. À défaut d'être universelle, caractéristique pourtant propre à toute musique puisque ne nécessitant aucune traduction, la mienne s'appuie sur l'encyclopédie. Le travail consiste alors à s'approprier ce volume inépuisable pour y déceler les termes qui me sont les plus proches.
Lorsque l'on "improvise" à plusieurs le premier risque est l'imitation, imitation des modèles que l'on a entendus, imitation des propositions qui nous sont soumises dans l'instant. Il ne s'agit pas pour autant de pratiquer la contradiction systématique, mais de savoir attraper au vol les opportunités pour amener à soi, ou plus exactement vers ses préoccupations, ce qui se joue là. Dans un esprit de collaboration on acceptera évidemment pareillement celles de nos partenaires de jeu. D'autres choisiraient des voies différentes, mais, d'abord architecte, les structures me sont primordiales, avant le timbre et les notes. Considérant la composition instantanée à plusieurs comme une conversation je fuis l'unanimité pour rechercher la confrontation en espérant trouver complémentarité et complicité. Deux questions se posent donc, celle de son propre monde, celui que l'on s'invente par rejet de celui que la société tente de nous imposer, et celle qui consiste à rencontrer des partenaires avec qui échanger voire partager ses expériences dans l'espoir de toujours apprendre et améliorer, ne serait-ce qu'un tout petit peu, le quotidien de tous, et pas seulement le sien.