Le nouveau numéro de la revue bilingue Art Press 2 est intitulé L'art dans le tout numérique, en anglais Art in the Digital Age. À l'instar de la célèbre phrase de Marshall McLuhan il est devenu commun de confondre le message et son médium. Si la peinture, la sculpture, la musique, etc. définissent le champ d'intervention par les outils employés, alors le numérique peut prétendre à la même reconnaissance. Il ne permet pas pour autant de certifier ce qui tient de l'art ou de la science. La majorité de ses acteurs ne se livrent en effet qu'à des expériences dignes du Palais de la Découverte en revendiquant abusivement le statut d'artiste. On ne peut confondre l'art et le message. Tous les peintres ne sont pas des artistes, et aujourd'hui nombreux artisans repeignent les murs de leur ordinateur en croyant faire œuvre. Nous sommes une fois de plus témoins des ravages de l'héritage de Marcel Duchamp, où le concept s'affiche dans le programme sans que le réel confirme ces prétentions. Il ne peut y avoir d'art que dans le refus du consensus, la construction de mondes qui s'opposent à celui qui nous est imposé socialement, politiquement, esthétiquement, philosophiquement... Si les contributeurs de la revue se fourvoient souvent en choisissant leurs exemples (entre autres, près du tiers des pages est squatté par le Centre des Arts d'Enghein-Les-Bains ressemblant à une pub déguisée), les plus distanciés par rapport à un marché encore imaginaire produisent les articles les plus intéressants. Ainsi Jean-Louis Déotte interroge l'immatérialité et le rapport forme/contenu en convoquant l'histoire, ou Jacinto Lageira met sérieusement en doute la liberté qu'offriraient Internet et les réseaux. L'analyse du passé, de formes d'expression autres que plastiques ou d'alternatives tout autant contemporaines permettrait d'éviter les jugements prématurés et des choix plus amicaux que raisonnés. Comme d'habitude avec ce genre de publication survolant rapidement un champ d'intervention extrêmement riche et étendu sa lecture vous passionnera, vous perdra, vous énervera selon votre degré de connaissance et d'implication.
Certains ne manqueront pas de me faire remarquer que je crache dans la soupe en me montrant du doigt les huit photos des lapins de Nabaz'mob en page 14. Je m'en réjouis évidemment comme des huit pages de la revue chinoise Hello qui leur sont consacrées ou de l'annonce prochaine de leur résurrection après une petite hibernation dont nous ignorons parfois si elle leur sera fatale. Cent lapins robots en plastique qui bougent les oreilles, font de la lumière et de la musique, c'est éminemment suspect s'il n'y avait, derrière, de méchantes intentions et, devant, un spectacle féérique. Il n'empêche que parmi toutes nos créations c'est justement cet opéra kawaï qui rencontre un succès imprévisible. Je ne suis pas différent des journalistes et divers auteurs d'articles qui parlent toujours d'eux-mêmes entre les lignes sous prétexte de rendre compte de leur époque et de ce qui s'y joue. Cette constatation permet de relativiser ce que nous lisons dans la presse, que la critique soit bonne ou mauvaise. Ces galeries d'auto-portraits ont le mérite d'attirer notre attention sur des sujets qui nous étaient parfois inconnus.