70 juin 2013 - Jean-Jacques Birgé

Jean-Jacques Birgé

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vendredi 28 juin 2013

Port de mer au soleil couchant (Le Lorrain)


Les histoires que Claude Gellée dit Le Lorrain peignit sont pour la plupart restées énigmatiques. En art, n'est-ce pas le nombre d'interprétations qui suggère le chef d'œuvre ? Le plus beau compliment que l'on puisse faire à ma musique est de raconter ce qu'elle évoque à son auditeur sans que j'y ai moi-même pensé. Souvent innommable, elle serait mieux qualifiée par les termes "à propos" ou évocatrice. On s'y perdrait à chercher dans quel style la ranger, car son origine est éminemment cinématographique. Ainsi toutes les influences ou références sont acceptées et même souhaitées tant leur traitement m'est personnel avec toujours à l'esprit que peu importe que la forme soit nouvelle ou ancienne si elle est appropriée.

Le début du son peut paraître étrange, mais il est justifié par le fait que le film a été conçu pour être joué en boucle comme tous les autres tableaux de la série. La partition est traitée comme un petit court-métrage qui s'étale dans le temps en un mouvement circulaire. Si le violoncelle Vincent Segal en rappelle l'époque, la contrebasse d'Olivier Koechlin est utilisée pour figurer voiles, poulies et cordages. Je l'avais enregistrée à l'origine pour la sonorisation du Manteau d'Étienne Martin, commande du Centre Pompidou. J'ai ajouté quelques bruitages pointant le ciel ou la mer. Pierre Oscar Lévy voyait dans ce film un exemple caractéristique de la collection Révélations.

Voilà, c'est terminé. C'est le 23ème et dernier film de la collection que je commente et mets en ligne. Si vous voyagez en Asie, nos films sont actuellement exposés à Séoul en Corée jusqu'au 22 septembre 2013 au fameux Hangaram Museum, Seoul Arts Center.


Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique - Jean-Jacques Birgé
Musique - Jean-Jacques Birgé et Vincent Segal, avec la participation de Olivier Koechlin
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN / Gérard Blot
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

jeudi 27 juin 2013

Q & A (Contre-enquête)


Les polars de Sidney Lumet abritent toujours une critique de la société américaine. De 12 Angry Men (Douze hommes en colère), son premier long-métrage en 1957, à son dernier en 2007, Before the Devil Knows You're Dead (7h58 ce samedi-là), le réalisateur a dressé un panégyrique à l'intégrité morale. S'il est célèbre notamment pour The Fugitive Kind (L'homme à la peau de serpent), Serpico, Dog Day Afternoon (Un après-midi de chien), Network, Prince of the City (Le Prince de New York), Carlotta publie en DVD et Blu-Ray (sortie le 3 juillet) un de ses films méconnus, Q & A (Contre-enquête), une histoire de ripoux sur fond de racisme tous azimuts. Le début s'étend cliniquement sur les conditions juridiques de l'affaire, puis l'action s'emballe en une course exponentielle et ravageuse. Heureusement en 1990 on ne se croyait pas obligé d'outrer le grand guignol pour tourner les scènes sanglantes. La carrure impressionnante de Nick Nolte suffit à impressionner les spectateurs autant que les protagonistes du film ! Outre le cynisme montrant qu'une fois de plus la hiérarchie s'en sort mieux que les lampistes, Lumet soulève le voile des replis communautaires où personne n'est épargné quand les réflexes culturels sont plus forts que l'intelligence du cœur.

mercredi 26 juin 2013

Bergers d'Arcadie (Poussin)


Ah si la bande-son pouvait redonner un peu de chaleur à toutes celles et tous ceux qui dépriment et pas seulement à cause de la météo, cela me mettrait à moi aussi du baume au cœur !
Je n'étais pas particulièrement inspiré par les Bergers d'Arcadie. Aussi avais-je préféré immerger le tableau de Nicolas Poussin dans une ambiance champêtre qui donne la température de l'été, une sorte de contrechamp que le peintre escamote pour concentrer notre attention sur la scène mythologique. Imaginons que j'étais là, hors-champ, dans une douce sieste exprimant mon désintérêt par les questions soulevées par les personnages. D'un autre côté, c'est le même, une ambiance relativement simple fait du bien au milieu des autres partitions sonores qui accompagnent la collection des tableaux filmés par Pierre Oscar Lévy. Parmi les 23 films réalisés et sonorisés en un mois voilà qui nous permettait de respirer un peu, l'air chaud et odorant de la Méditerranée... Aucun été ne ressemble à l'autre.


Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et partition sonore - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN / René-Gabriel Ojéda
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

mardi 25 juin 2013

Elsa est Micaëla


En voyant Elsa sur la scène de Fourvière j'ai pensé très fort à Papa, à mon papa. Ça passait à travers moi, un courant de vie extraordinaire bravant la mort qui l'avait emporté trop tôt, trop tôt pour connaître Elsa qui avait deux ans lorsqu'il s'est éteint, un casque audio sur les oreilles avec la Callas qui lui faisait couler des larmes le long des joues sans qu'autour nous n'entendions rien. Dans cette nuit lyonnaise éclairée par une lune géante les étoiles me traversaient comme des neutrinos. Tandis que cette transfusion me réchauffait les veines Elsa entonnait : " Je dis que rien ne m’épouvante, Je dis que je réponds de moi ; Mais, j’ai beau faire la vaillante, Au fond du cœur, je meurs d’effroi. Toute seule, en ce lieu sauvage, J’ai peur… mais j’ai tort d’avoir peur…" Rien d'innocent. Il aurait sangloté d'émotion en voyant sa petite-fille dans sa robe blanche jouer cette gamine aux pieds nus qui les a bien sur terre. Papa pleurait facilement lorsqu'il écoutait de la musique. Il adorait l'opéra, mais n'y allait plus jamais, peut-être parce que Maman n'aimait que les marches militaires ? À Angers le père de mon père, l'arrière-grand-père d'Elsa, avait sa loge à l'opéra. Un jour où je rendais visite à mon père à l'hôpital il me présenta à l'infirmier en se vantant que j'étais compositeur ; comme le grand costaud ne mouftait pas il ajouta "... d'opéra." Je venais d'enregistrer La fosse avec le Drame et l'Itinéraire, Louis Hagen-William et Martine Viard. Coïncidence, Serge Valletti y jouait le rôle d'un des musiciens et c'est lui qui aujourd'hui a adapté le livret de Carmen et ajouté les dialogues comiques qui sortent du transistor comme d'un soap radiophonique. Il est encore d'autres coïncidences, plus intimes. Le temps finit par résoudre les dissonances en une suite d'accords qui nous mène inexorablement à la coda. Le vent qui soufflait sur la scène de l'amphithéâtre romain donnait encore plus de force à Micaëla bravant la tempête qui s'annonçait. Je pense toujours à Papa. Nous avons réalisé son rêve.

Photo © Ugo Nicolas

lundi 24 juin 2013

Carmen aux Nuits de Fourvière


Ils sont fous ces Romains ! L'Orchestra di Piazza Vittorio sous la houlette de Mario Tronco et Leandro Piccioni présente une adaptation cosmopolite incroyable de l'opéra Carmen, composé par notre compatriote Georges Bizet, aux Nuits de Fourvière à Lyon jusqu'à mercredi. Le vent de nord-ouest qui soufflait sur l'Amphithéâtre Antique empêcha la troupe de déployer le rideau de scène qui devait jouer un rôle important dans la scénographie, mais les danseurs du Rajasthan de la Formation Dhoad et des Roumains de Romafest, les artistes de l'Orchestre Symphonique et du Chœur Lyrique Saint-Étienne Loire joints à l'orchestre international de la Piazza Vittorio nous firent oublier la plus belle pleine lune de ces prochaines années. Elle était déjà loin quand Micaëla entama l'inattendu finale avec The Man I Love et que venaient saluer la soixantaine de protagonistes qui nous avaient enchantés par cette relecture dont les latitudes avec la tradition furent aussi nombreuses que les surprises de ce collage baroque explosif.
La fantaisie provocatrice de l'œuvre se prête merveilleusement aux libertés prises par Tronco. Entendre le duo de Don José et Escamillo chanté en indien par Sanjay Khan et en arabe par Houcine Ataa, les orchestrations où se mêlent le cymbalum et le violon roumains, les percussions indiennes, un synthétiseur, du oud, du djembe ou des cordes symphoniques tient de la route tzigane et du miracle que toute musique suggère. Si l'Italienne Cristina Zavalloni incarne une Carmen d'une énergie extraordinaire, la petite Micaëla qui justifia mon déplacement puisqu'interprétée par ma fille Elsa Birgé rappelle l'influence considérable de Bizet sur les comédies musicales de Jacques Demy et Michel Legrand. Leurs jeux sont aussi contrastés, Carmen quasiment expressionniste et Micaëla rappelant Lilian Gish dans un film de Griffith. En adaptant l'opéra Tronco fait de cette enfant pure la gagnante de ce drame de la violence faite aux femmes. Il confie aussi aux chœurs le rôle du chœur antique qui commente l'action et prodigue ses conseils depuis un Olympe perché sur échafaudage. Comme c'est devenu la coutume le texte du livret auquel Serge Valletti a prêté son concours s'affiche projeté de part et d'autre de la scène. Les airs de Bizet sont si mondialement célèbres qu'ils se prêtent à toutes les facéties, Bollywood croise le raga, la techno soutient le bel canto, les percussions corporelles hongroises rythment la danse, le chant diphonique vient se joindre à l'époustouflant melting pot rappelant l'universalité de la musique et des différentes formes que prend l'amour pour nous perdre ou nous sauver.



Vidéo de Ugo Nicolas.

P.S.: si vous ratez les représentations lyonnaises, Carmen est repris du 17 au 19 octobre à l'Opéra-Théâtre de Saint-Étienne qui a coproduit le spectacle avec les Nuits de Fourvière.

vendredi 21 juin 2013

Pas de vagues, ni nouvelles au Palais de Tokyo


Participant au projet collectif Concert Hall d'une dizaine d'artistes, Frédéric Durieu m'avait invité au vernissage de l'exposition Nouvelles Vagues au Palais de Tokyo (jusqu'au 9 septembre). Dans une sorte de chapelle en bois biscornue se transformaient ses kaléidoscopes fleuris aux formes sans cesse changeantes tandis qu'un orchestre d'instruments automatisés disposés autour du public jouait une musique mécanique. De petits percuteurs frappaient peaux et claviers de bois, de bizarres buzzers vrombissaient des basses, les baguettes frappaient les fûts, un contrepoids actionnait le soufflet d'un accordéon, les électro-aimants de la guitare faisaient résonner ses accords...
Aucune œuvre ne capta sérieusement mon attention si ce n'est Battogogo où la nature a l'air de reprendre ses droits. Des poutres mortes du bâtiment poussent d'énormes branches comme si la sève était une braise jamais éteinte. Les nœuds se rejoignent construisant le rhizome d'un temple à jamais disparu. La forêt du Brésilien Henrique Oliveira échappe au dogme, constituant paraphrase critique de tant de jeunes artistes où l'empreinte des écoles est omniprésente. La responsabilité des maîtres est évidente. La cathédrale qui leur est érigée attire les fidèles, mais la foi semble si souvent superficielle.
Aucune vague vraiment nouvelle donc, mais l'ensemble forme une intéressante mer animée, sorte d'immense cabinet de curiosités où les arts plastiques se mêlent à la musique, à la vidéo, à la chorégraphie, à la performance ou au texte. Parcours ludique dans les entrailles du Palais, il ravira donc les plus curieux qui risquent de rester en bout de course sur leur faim. Les curateurs sont à l'honneur. L'affiche prétend "échapper aux règles académiques comme à celles du marché de l'art", fausse querelle des anciens et des modernes cachant mal la soif de pousser les premiers dans le ravin pour prendre leur place ! Trente-deux galeries parisiennes sont d'ailleurs associées à l'évènement et y participent dans leurs murs (mais pour ne pas les avoir encore visitées, je les exclue pour l'instant de ma critique). L'arrivisme est plus présent qu'un quelconque élan révolutionnaire. Pourtant, en ces périodes critiques qui respirent le danger, l'urgence et la révolte, le regard de ces jeunes artistes est tout de même bien sage.

jeudi 20 juin 2013

L'arnaque du dumping


Conséquence des économies budgétaires réalisées sur le dos de ce que l'on essaie de nous faire passer pour "la crise", les rétributions se jouent à la baisse. Dans le secteur culturel où les salaires se négocient au coup par coup, la chute génère une hécatombe qui n'est pas près de s'arrêter. Dans le cas des appels d'offres publics, obligatoires à partir d'un certain prix, la qualité a, la plupart du temps, été rétrogradée derrière le coût. Tel projet a beau remporter tous les suffrages tant artistiques que techniques, le gagnant correspondra à la proposition la moins chère. L'arnaque est pourtant connue de tous : les équipes les plus compétentes savent parfaitement ce que coûte l'entreprise et que les gagnants qui ont drastiquement réduit leur budget seront incapables d'aller au bout sans rallonge budgétaire. Ainsi on choisit aujourd'hui presque systématiquement de moins bons réalisateurs qui au final coûteront plus chers que les meilleures propositions. Cela s'appelle marcher sur la tête ! Il faut comprendre les jeunes souvent à l'origine du dumping des prix. On les forme de mieux en mieux, mais les débouchés n'ont pas suivi, bien au contraire, c'est la peau de chagrin. Ils ont d'abord besoin de se faire connaître afin de pénétrer des marchés tenus par leurs aînés. L'idée est difficilement critiquable, si elle ne torpillait pas les acquis des luttes passées qui ont permis l'essor de ces professions. L'erreur est d'autant plus dramatique que lorsqu'on a commencé à mal se faire payer, imaginer redresser ensuite les prix est un leurre. En bout de course les équipes les plus compétentes risquent d'y laisser des plumes, les clients de voir leurs budgets paradoxalement enfler pour une moindre qualité et les casseurs de prix d'être relégués au rang de travailleurs à la petite semaine. Vu de tous les bords, et quel que soit l'intérêt de chacun, ce n'est pas ainsi que l'on acquiert la considération des gens avec qui l'on travaille. Personne n'y gagnera rien.

Illustration de Boucq

mercredi 19 juin 2013

Le couronnement de la Vierge (Fra Angelico)


Comme j'évoque mes difficultés à trouver les trompettes célestes du Fra Angelico, Vincent Segal me propose un sublime continuum à deux violoncelles qui me permettra de poser un cromorne ou un autre instrument à vent lorsque Le couronnement de la vierge aura été filmé. Je finis par trouver la solution en jouant des samples de la trompette de Bernard Vitet enregistrée il y a trente ans lorsque nous avions acquis l'un de nos premiers échantillonneurs.
J'avais seize ans lorsque mes parents nous emmenés voir les fresques de Fra Angelico au couvent San Marco près de Florence. Je garde un souvenir inoubliable de ces bleus et rouges incroyables qui décoraient les cellules des moines. Scénographie qui me marquera à vie, en particulier dans mon travail musical, que ce soit pour les espaces d'exposition ou le design sonore de n'importe quel lieu physique ou virtuel !


Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique - Jean-Jacques Birgé
Musique - Jean-Jacques Birgé et Vincent Segal,
avec la participation de Bernard Vitet
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN / Gérard Blot / Hervé Lewandowski
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

mardi 18 juin 2013

Déjeuner sur l'herbe (Manet)


Pierre Oscar Lévy aurait aimé sonoriser le Déjeuner sur l'herbe d'Édouard Manet avec un extrait du film de Jean Renoir éponyme. Comme j'essayais de varier mes interventions sonores au maximum, l'idée me plut immédiatement encore que j'aurais plutôt choisi Une partie de campagne que j'adore. Le sourire de Sylvia Bataille est inoubliable. Le coût des droits nous empêcha hélas de le faire. Après avoir essayé sans succès une ambiance piscine sur ce tableau qui fit scandale au Salon des Refusés de 1863, je calai longtemps avant de me décider pour la seconde proposition du réalisateur d'enregistrer les instruments du peintre au travail. Je continue de penser que c'est une solution de facilité qui n'apporte pas grand chose à l'image si ce n'est par rapport à l'ensemble de la collection. Une manière de contrepoint focalisant sur les outils mis en œuvre tant par le peintre que par le réalisateur. Mon amie Marie-Laure Buisson se pencha studieusement sur la technique de Manet avant de se lancer à peindre un tableau invisible, mais certainement travaillé à l'encre sympathique.

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique - Jean-Jacques Birgé
Partition sonore - Jean-Jacques Birgé, avec la participation de Marie-Laure Buisson
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN (Musée d'Orsay) / Hervé Lewandowski
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

lundi 17 juin 2013

Violeta et El Sistema, la liberté par la musique


Violeta Parra était la fille d'un prof alcoolique et d'une paysanne Mapuche. Artiste totalement autodidacte, elle hérita de la guitare de son père et de la couture de sa mère pour devenir l'ambassadrice culturelle de son pays en réinventant la musique folk chilienne après avoir pratiqué le collectage auprès des anciens. Partie en Europe avec ses enfants Isabel et Angel, elle chantera ses odes à la vie, exposera ses tapisseries à Paris au Pavillon de Marsan et ses tableaux au Musée des Arts Décoratifs. Gracias a la vida fut d'ailleurs repris par Joan Baez, U2, Colette Magny, Maria Farandouri et tant d'autres... Ses origines extrêmement modestes lui firent prendre tôt conscience de la lutte des classes, mais sa fragilité sentimentale la poussa au suicide en 1967 lorsqu'elle atteint cinquante ans. En filmant le biopic Violeta se fue a los cielos avec la remarquable Francesca Gavilan dans le rôle de Violeta, le réalisateur Andrés Wood montre son désir de partager son art malgré l'adversité, mais aussi son intransigeance qui la pousse à la rupture. Le montage confond sans cesse les époques de sa vie pour justifier ses mouvements impulsifs, tant créatifs que destructeurs. À un journaliste qui lui demande quel conseil donner aux jeunes artistes, elle répond "écrire comme ils le sentent, utiliser leurs propres rythmes, essayer plusieurs instruments et détruire la métrique, crier au lieu de chanter, souffler la guitare et gratter la trompette, haïr les maths et viser le chaos." (DVD Blaq out, sortie le 2 juillet)

Ce ne sont pas tout à fait les mêmes conseils que prodigue José Antonio Abreu aux enfants issus des milieux socio-économiques vénézuéliens défavorisés. En 1975, l'économiste et musicien fonde El Sistema, un réseau national d'orchestres d'enfants voué à la musique classique qui donnera naissance à 125 orchestres pour la jeunesse et 30 orchestres symphoniques au travers de son pays. Plus de 300 000 enfants y fréquentent aujourd'hui ses écoles de musique plutôt que traîner dans la rue en butte à la délinquance et à la criminalité. Le programme en espère un million d'ici dix ans. Aux fusillades inter-gangs répondent les archets, les bois, les cuivres er les percussions. Ce n'est pas un hasard si El Sistema naquit au Venezuela et Hugo Chávez le favorisa évidemment considérablement pendant son mandat présidentiel. L'initiation commence dès deux ans avec l'orchestre de papier où les gamins apprennent les mouvements sur du carton-pâte, ils chantent aussi, mais très vite se retrouvent avec de véritables instruments entre les mains, apprenant d'abord à "vivre la musique, ensuite la technique vient toute seule." Le progrès social dont bénéficie toute cette jeunesse lui donne une énergie incroyable, révélant des interprétations quasi instinctives où la joie explose à chaque mesure. L'Orchestre symphonique des jeunes Simón Bolívar dirigé par Gustavo Dudamel swingue comme le meilleur des big bands de jazz. Paul Smaczny et Maria Stodtmeier ont su filmer cette aventure exceptionnelle conférant au Venezuela un statut de puissance mondiale dont le pouvoir est celui de la sensibilité, la musique favorisant la solidarité et le travail d'équipe. Tous ne deviendront pas musiciens, mais ils échapperont à la misère pour avoir eu accès au savoir (DVD EuroArts)

Dans des registres très différents, les deux films montrent comment la musique peut participer à combattre la pauvreté, pas seulement économique et sociale, mais aussi celle de l'esprit, car l'intolérance et la barbarie naissent toujours de l'inculture.

vendredi 14 juin 2013

L'arbitraire en musique


Il existe des milliers de manières de composer la musique d'un film, mais aucune ne peut être arbitraire. En analysant le sujet, son contexte et les intentions du réalisateur, la réponse s'écrit d'elle-même. Entendre que la page blanche n'existe pas et que les solutions découlent de l'analyse attentive de ce qui est exprimé, suggéré ou refoulé... Trop nombreux cinéastes prennent hélas les spectateurs pour des demeurés en réclamant que l'on appuie les effets. Et le compositeur de surligner au marqueur fluo telle scène sentimentale ou la poursuite impitoyable ! Il m'a toujours semblé préférable de jouer la complémentarité plutôt que l'illustration mécaniste. Et déjà pointe la question préalable à savoir la nécessité ou pas de recourir à la musique dans un film ? S'interroger sur son propos c'est prendre l'affaire par le bon bout, renvoyant le conteur à zéro, d'autant qu'en la matière les habitudes ne peuvent être autrement que mauvaises. Déceler la spécificité de l'œuvre en cours exige d'abord que l'on pose pas mal de questions à son auteur. Aux substantifs, adjectifs et verbes révélés on opposera les siens pour composer une nouvelle syntaxe, propre à chaque aventure. Car l'intérêt de travailler sur des œuvres qui ne sont pas exclusivement les nôtres consiste à se surprendre en abordant des rivages insoupçonnés. Les querelles d'ego sont déplacées lorsqu'il s'agit de rendre l'objet rêvé le plus crédible possible. Et chacun d'y mettre du sien.

Combien de fois ai-je écrit que toute musique fonctionne avec n'importe quel film, mais le sens varie d'une association à une autre ! Jouant d'un médium sans paroles le musicien influe généralement sur les émotions, quitte à en rajouter une couche, mais sa responsabilité est justement la maîtrise du sens. Raison pour laquelle la place même de la musique, à savoir son apparition magique tombant de je ne sais quel ciel mystique, est primordiale. D'où mon attirance possible pour celle qui se présente in situ, jouée par des musiciens à l'image ou quelque machine reproductrice... Passé ce cas de figure qu'affectait par exemple Jean Renoir, il m'est très tôt apparu que la musique ne pouvait se concevoir coupée du reste de la bande-son. La partition sonore englobe les voix, les bruits, les ambiances et la musique s'il y a lieu d'être. Que l'on vive en ville ou à la campagne, nous sommes quasiment interdits de silence. On appellera donc nos moments de calme, pauses ou respirations...

Si j'évoque la musique de film, c'est que j'ai travaillé tous ces jours-ci à commenter des images dans des champs extrêmement variés, soit le film de Françoise Romand sur Ella & Pitr intitulé Le baiser d'encre, plusieurs montages photographiques pour les Rencontres d'Arles, un parcours en autocar à travers la Camargue, l'interface du Jeu de la vie et le design sonore de l'exposition Le gameplay s'exhibe avec cette fois Sacha Gattino pour la Cité des Sciences, le live avec Jacques Perconte, etc. Mais j'aurais pu tout aussi bien traiter de n'importe quel art appliqué avec la même approche. Que la musique participe à un autre projet que cinématographique, ou qu'un graphiste, un écrivain ou un scénographe collabore à une œuvre impliquant différents créateurs, les question sont identiques : comment puis-je être utile à l'entreprise collective et quelle méthode employer pour la servir au mieux ?

jeudi 13 juin 2013

La crise a bon dos


Aujourd'hui toute négociation salariale ou budgétaire se voit imputée une équation à une inconnue qu'on appelle la crise. Chaque patron ou client renvoie ses employés ou ses fournisseurs à un système pyramidal en amont qu'il se trouve contraint d'appliquer en aval. Il prétendra ne pas pouvoir payer le travail à sa juste valeur sous prétexte que ses subventions ont baissé ou qu'il est lui-même en butte à des restrictions. Le travailleur n'a évidemment aucun contrôle sur la manière dont est ventilé le budget, ce qui n'a rien de nouveau. Le capitalisme est toujours basé sur la plus-value. Le patron paye le travail à un prix, mais le facture majoré d'une somme qu'il s'attribue. Cet argent est destiné aux frais de fonctionnement de son entreprise, mais la plupart du temps il sert à payer des salaires mirobolants à la direction ou à ses actionnaires. La transparence étant devenu un exercice de style, il pourra présenter aux critiques des tableaux justifiant la peau de chagrin. Si chacun connaît bien ce que je viens d'expliquer de façon très schématique, il n'empêche que la crise a bon dos de réduire les budgets alloués par exemple à la culture, licencier les ouvriers à tour de bras, saccager tout ce qui n'est pas d'un rendement immédiat et juteux. Dans les secteurs où l'emploi n'est pas constant comme dans le spectacle, on ne ferme pas les usines, mais on baisse les salaires des travailleurs en CDD (contrat à durée déterminée) de manière totalement délirante. Il n'est pas rare que les réductions entre l'an passé et cette année atteignent jusqu'à 60%. Dans les entreprises où ces coupes sont dramatiquement pratiquées on constatera souvent que les salaires des dirigeants pourront même augmenter. Sans organisation syndicale conséquente ou solidarité de bon sens, les jeunes arrivés récemment sur le marché du travail n'ont pas d'autre choix que de casser les prix. La qualité s'en ressentira forcément, mais nous vivons une époque dont c'est le cadet des soucis des nantis à la tête de l'économie, locale ou internationale.
Comment réagir face à ce marasme ? Certains choisiront de bâcler ou de saboter, mais c'est se tirer une balle dans le pied. Si l'on ne se contente pas de gagner sa vie, l'amour du travail bien fait est tout ce qu'il reste au travailleur. Face aux compressions de personnel et aux exigences de rendement, on assiste aux comportements les plus absurdes : agressivité et incompétence sont trop souvent devenues l'apanage de notre administration. Les suicides sont de plus en plus courants. En matière de relations humaines, c'est la dégringolade. Constatez comment sont reçus les chômeurs à Pôle-Emploi. Ses préposés, pourtant eux-mêmes salariés, leur font souvent sentir avec mépris qu'ils sont des assistés, quand les vrais assistés sont les actionnaires des sociétés dont les bénéfices ne sont le fruit d'aucun travail. La grève est un crève-cœur qu'il serait judicieux de faire évoluer vers une grève du zèle. Par exemple, au lieu d'arrêter les transports en commun on pourrait les rendre gratuits. C'est illégal. Mais qui a décidé que c'était illégal ? Le droit de grève le fut longtemps. Si la pente de la courbe exponentielle qui rabote tous les anciens acquis se fait de plus abrupte il ne faudra pas s'étonner que la colère finisse par éclater. Ce rapide survol de l'exploitation de l'homme par l'homme peut s'étendre à toutes les espèces de la planète et à ses ressources les plus élémentaires. Devant autant de cynisme, de gâchis et d'injustice, la révolution est de plus en plus inévitable.

Collage de 1968 retrouvé à la cave

mercredi 12 juin 2013

La tempête (Giorgione)


Énorme surprise d'apprendre que la collection de films sur l'art dont je suis à l'origine avec le producteur Dominique Playoust est exposée à Séoul en Corée depuis aujourd'hui 12 juin jusqu'au 22 septembre 2013 au fameux Hangaram Museum, Seoul Arts Center sous le titre Musée secret : Révélations, une odyssée numérique dans la peinture.

Un impressionnant orage éclate sur Paris tandis que je sonorise La tempête avec Pierre Oscar Lévy. Le tableau de Giorgione est une pure mise en scène de théâtre. Je jongle entre le tonnerre et la plaque de tôle. Les trois coups résonnent avant que la femme nue ne gronde. Le public applaudit le véritable éclair qui zèbre le ciel peint, mais en fait c'est la pluie... J'ai bien fait attention au décalage entre l'éclair et le tonnerre. Tout au long du film la partition sonore est calée de manière à jouer au mieux des effets théâtraux.

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique et partition sonore - Jean-Jacques Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © Archives Alinari, Florence, dist. RMN / Fratelli Alinari, BEN Raffaello Bencini, Archives Alinari, Florence
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

mardi 11 juin 2013

Dépaysages Côté Court


Voilà, la musique jouée avec Vincent Segal au violoncelle et Antonin-Tri Hoang au sax alto et à la clarinette basse, dimanche au Ciné 104 de Pantin à l'occasion du Focus Jacques Perconte dans le cadre du festival Côté Court, est en ligne, comme les 47 autres albums GRRR inédits, en écoute et téléchargements gratuits ! Comme j'avais posé le petit Nagra par terre sous la table, le mixage est un peu déséquilibré en faveur des anches, mais cela n'empêche pas de prendre du plaisir à l'écoute de ces quarante minutes de composition instantanée... Pour la première fois Jacques Perconte manipulait ses images depuis son iPhone, sans aucun fil à la patte, et l'écran large réfléchissait ses somptueuses couleurs en haute définition et format 2.39. Sur Facebook Bidhan Jacobs a publié 11 instantanés photographiques du spectacle...


Nous ne nous étions donnés aucune consigne musicale, faisant confiance à notre enthousiasme à nous retrouver ensemble pour ce nouveau Dépaysages. Qu'est-ce que l'improvisation si ce n'est réduire au minimum le temps entre la composition et l'interprétation ? Le mot "improvisation" laisse parfois croire à quelque création spontanée alors que c'est le fruit de tant d'années de pratique, pas seulement musicale ! Très préoccupé par l'architecture de la musique, j'ai ainsi toujours préféré le terme de "composition instantanée". C'est la raison pour laquelle nous avions nommé notre collectif historique Un Drame Musical Instantané, la notion de drame faisant référence à l'art dramatique et non à quelque lugubre dessein !
L'improvisation n'est pas non plus un genre musical, même si trop souvent les réflexes ou des règles absurdes finissent par créer de nouvelles lois qui figent la composition instantanée dans des formes tragiquement prévisibles. Le choix de mes partenaires de jeu n'est dicté que par le désir d'être surpris, ils possèdent une culture musicale et extra-musicale qui les laisse libres de citer des influences les plus variées, comme dimanche l'opéra Didon et Énée d'Henry Purcell !
En première partie, Jacques Perconte projetait plusieurs courts-métrages dont Árvore Da Vida (L'arbre de vie) dont j'ai composé la musique pour orchestre à cordes, et je me rendais compte comment j'avais été influencé par les cinéastes Alfred Hitchcock et Michael Snow. Le premier prétendait filmer les scènes de sexe comme des scènes de crime et réciproquement, le second laissait imaginer la mort hors-champ pendant le long zoom de Wavelength. Face à ce qui pouvait sembler de prime abord immuable j'ai cherché à structurer le film par la partition, et pour cela j'ai dû interroger les différentes composantes de l'image, supposer les intentions de l'auteur, choisir une instrumentation cohérente. Nous n'avons pas procédé autrement dimanche, même si nous étions dans l'urgence. Écoutez !

lundi 10 juin 2013

Pavot


On dirait un petit four à la violette avec cœur en pâte d'amande et corolle en paillettes de chocolat amer sur pétales de mangue. La fleur de pavot fait délirer si l'on en abuse. Il suffit de s'approcher des choses ou de s'en éloigner pour qu'elles prennent un autre sens. Certains tentent de théoriser l'unification de l'infiniment petit et de l'infiniment grand. Plus ou moins l'infini (±∞) me fascinait déjà au lycée, et plus tôt je retournais mes jouets pour les transformer en quelque chose que je ne possédais pas, mais qui me faisait rêver. Adolescent, je restais des heures le nez en l'air avec les pieds sur le bureau de ma chambre. Le monde défilait comme dans l'Atlas Mondial dont les pages palissaient à force d'en scruter les détails. Une abeille s'est approchée, elle s'est mise à table. Tandis que je la contemplais elle m'a susurré une autre histoire, un récit de voyage qui renvoyait Googlemaps à sa poésie de comptable. Ça sent les vacances, les nuits étoilées où aucun lampadaire ne vient gâcher l'écran d'épingles en 3D temps réel. Sur son chemin l'hyménoptère voit des milliers de détails qui m'échappent. J'imagine le pollen, des odeurs qui flottent, des phéromones dont on pourrait assimiler les ondes à des couleurs ou à des sons. Je quitte mon apnée pour m'ouvrir au monde qui s'offre à ceux et celles qui y veillent. Il était temps que la chaleur me fasse sortir de mon trou, que je me redresse et quitte le corset qui me permettait de tenir debout. Nous avançons, prêts à nous battre s'il le faut pour conquérir ce qu'on nous vole, mais c'est la douceur que nous visons, le festin partagé, le monde dont nous ne sommes chacun et chacune qu'un atome. Que c'est beau une fleur !

vendredi 7 juin 2013

Dépaysages au Ciné 104 dimanche 17h


Je piétine d'impatience à rejouer avec Vincent Segal et Antonin-Tri Hoang sur les images traitées en direct par Jacques Perconte à qui le Festival Côté Court consacre un Focus Jacques Perconte. Notre ami vidéaste projettera ses compressions en 2.35 d'une qualité exceptionnelle. Il faut le voir pour le croire. Rien de commun avec les petites reproductions exposées sur Internet ! Idem avec la musique qui sera intégralement improvisée... Dimanche à 17h au Ciné 104 à Pantin, nos Dépaysages seront précédés de plusieurs films de Jacques Perconte :
Early Abstractions (wisz) 2002 - 8’
Surprise !! nouveau ? - 12’
Anticipation 2012 - 1’
uishet (sans titre n°2) 2007 - 13’
Après le feu 2010 - 7’
Àrvore da vida 2013 - 10'... dont j'ai composé la musique pour orchestre à cordes
Surprise !! nouveau ? - 14’
Lors de ce que Jacques appelle une expérience audiovisuelle, aux côtés du violoncelle de Vincent Segal, du sax alto et de la clarinette basse d'Antonin-Tri Hoang, je jouerai du clavier, d'instruments électroniques et de toute une panoplie de vents et percussions, sans compter quelques ambiances naturelles qui nous propulseront jusqu'à Madère (site Internet).

Le spectacle de dimanche est précédé de deux autres programmations des films de Perconte en sa présence.
... Ce vendredi soir à 20h, Paysages :
à fleur d’eau 2009 - 2’ / Pauillac-Margaux 2008 - 10’ / Le passage 2009 - 6' / Le soleil de Patiras 2007 - 3' / Impressions 2012 - 48’ / Terra Camponēs 2012 - 14’ / Libres 2012 - 4’
... Samedi soir à 22h, Du corps au paysage :
ncorps (corps numériques) 1998 - 8' / esz 2002 - 5’ / xsz 2002 - 4’ / snsz 2002 - 29’ / isz 2003 - 17’ / uaoen 2003 - 30’

jeudi 6 juin 2013

Ricciotti à hue et à dia


Ricciotti par ci, Ricciotti par là, l'étoile montante et omniprésente de l'architecture fait parler de lui pas seulement pour son art, mais également en multipliant les provocations. Cette technique éprouvée de toute campagne de communication consiste à être présent sur tous les fronts à la fois, même lorsque ce n'est pas à l'avantage de l'architecte mis en examen pour la construction de sa propre villa à Cassis avec recours au travail dissimulé et infractions au code de l’urbanisme. Le trop-plein de pouvoir fait péter les plombs des plus puissants qui finissent par se croire au-dessus des lois. Pire, Rudy Ricciotti en jouant les redresseurs de torts se trompe de cible en faisant preuve d'un corporatisme douteux dans Le Monde du 1er juin lorsqu'il accuse les scénographes d'être "des prédateurs de l'architecture publique qui fabriquent du pouvoir. C'est no limit." Est-ce la raréfaction des commandes en architecture qui ferait se tourner cette profession vers une autre avec qui elle partage la présentation des expositions muséographiques ?

Face à ce qu'il est coutume d'appeler la crise économique, soit réduction des budgets tous azimuts pour favoriser les plus riches au détriment de la très grande majorité de la population, la tentation réactionnaire de désolidarisation s'intensifie dans toutes les couches de la société alors qu'il est urgent de s'organiser interprofessionnellement en se serrant les coudes face aux assauts du monde de la finance. Cette semaine il aura suffi de la nomination d'Olivier Benoit à la tête de l'ONJ, l'Orchestre National de Jazz, pour que des esprits chagrins critiquent sa musique comme n'étant justement pas du jazz. L'appellation contrôlée par la police de la pensée justifierait ces attaques dont on a l'habitude à chaque nomination. Les frileux oublient que la musique qu'ils défendent est aujourd'hui patrimoniale et qu'ils bénéficient souvent de subventions vouées à la création contemporaine, et non le contraire ! Au lieu de se battre pour que les lieux de culture en butte aux coupes budgétaires criminelles ne deviennent pas des coquilles vides, car après avoir payé les frais fixes, les permanents, l'infrastructure, il ne reste plus un sou pour ce quoi ils ont été créés, à savoir la diffusion artistique !

L'attaque de Rudy Ricciotti, refusant tout fonctionnalisme dans son œuvre, serait-elle une manière de camoufler son échec au Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, le MUCEM à Marseille ? Car si le bâtiment peut plaire par ses formes modernes et les matériaux employés, il est aussi incompatible avec le propos du musée comme le fut le projet de Dominique Perrault avec la Bibliothèque François Mitterrand. Après s'être esclaffé sur le minimalisme lumineux de la Grande Bibliothèque on dut obstruer les centaines de baies vitrées dont la transparence détruisait tous les livres qui y sont stockés ! Cette même lumière est la source du conflit avec les scénographes qui s'arracheront les cheveux pour présenter les futures expositions du MUCEM car ils ont souvent besoin de l'obscurité quand l'architecte se flatte d'avoir créer partout la transparence. Et Le Monde de citer Nicolas Bourriaud, directeur de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, qui a choisi d'utiliser les mêmes cimaises et les mêmes structures pour toutes ses futures expositions en prétendant que "la scénographie a pris une place exorbitante dans le dispositif des expositions. C'est la faillite du commissariat qui doit intégrer cette question dans son travail." Partisan d'une présentation neutre (et de plus économique), il oublie la diversité des imaginaires des artistes présentés. D'autre part, les musées et expositions visant un public toujours plus nombreux doivent rivaliser avec les autres pôles culturels que sont l'audiovisuel, le théâtre, les spectacles de rue, le sport, etc. Leur ravalement idéologique et fictionnel doit être confié plus que jamais aux scénographes, designers sonores et graphiques, dont les professions sont complémentaires des commissaires d'exposition, tous devant prendre en compte les espaces immuables que leur imposent, parfois astucieusement, parfois restrictivement, les architectes.

Combien de fois ai-je dû moi-même faire rentrer avec un chausse-pied une œuvre trop grande pour sa vitrine, ou dû gérer la pollution sonore provenant d'œuvres trop proches les unes des autres sans que l'insonorisation ait été pensée en amont ? Et comme je me suis ennuyé lorsqu'il s'agissait d'un vulgaire accrochage en comparaison des visites où le moindre détail scénographique participait à mon immersion ou mon adhésion ! Rares les jours où je ne fus pas obligé de changer sans arrêt de lunettes pour faire le va-et-vient entre l'œuvre et son cartel...

À chacun son métier et que chacun le fasse le mieux du monde, pas seulement en se gargarisant de son excellence tel un soliste exécutant son chorus au détriment du reste de l'orchestre, mais en apportant sa pierre à l'édifice collectif comme jadis on bâtissait une cathédrale sans que le capitaine ait besoin de voir son nom briller à son fronton ! Au lieu de tirer la couverture à soi, chacun devrait avant tout se demander comment faciliter le travail des autres pour que tous puissent s'approprier la réussite.

mercredi 5 juin 2013

Arrêté interdisant le port de la soutane


Philippe m'envoie une photo prise à la Mairie du Kremlin-Bicêtre. De toute mon enfance je n'ai vu aucun Loubavitch rue des Rosiers, ni de femmes voilées ou de barbus à la Goutte d'or. Je me souviens par contre des bonnes sœurs en cornettes, des prêtres en soutane et des copains arborant en classe des petites croix autour de leur cou. Ils allaient tous au catéchisme et faisaient leur première communion. À la maison nous étions fiers de notre laïcité et n'avions que faire des grenouilles de bénitier et autres froums. Les camarades qui avaient été élevés dans des institutions religieuses s'amusaient à pousser des cris de corbeau lorsqu'ils croisaient un curé. Mon anticléricalisme se bornera à une critique politique de la religion opium du peuple et à une saine hilarité à la projection de La voie lactée de Luis Buñuel, film de 1968 qui met en scène les hérésies chrétiennes à l'origine de tant de massacres. Aussi éclatai-je de rire à la lecture de l'affichette datée du 10 septembre 1900 :
Considérant qu'il n'est pas juste de laisser le clergé bénéficier d'un régime de faveur lui permettant de se soustraire aux obligations que supportent tous les autres citoyens ; Considérant que le clergé est un groupe de fonctionnaires, qu'il importe particulièrement, en raison de leur nombre, de leur indiscipline naturelle et de la nature même de leur fonction complètement inutile au bien de l'État, de les rappeler en toutes choses au respect absolu de toutes les lois ; Considérant que puisqu'ils profitent matériellement des dispositions de la loi du 18 Germinal An X, il est spécialement utile qu'ils se soumettent à tous les articles de cette loi essentielle ; Considérant, en outre, que si le costume spécial dont s'affublent les religieux peut favoriser leur autorité sur une certaine partie de la société, il les rend ridicules aux yeux de tous les hommes raisonnables, et que l'État ne doit pas tolérer qu'une catégorie de fonctionnaires servent à amuser les passants (...) Est interdit sur le territoire de la Commune du Kremlin-Bicêtre, le port du costume ecclésiastique à toute personne n'exerçant pas des fonctions reconnues par l'État, etc.
L'arrêté est dommageable, car j'imagine comme il serait plaisant de voir sillonner dans les rues et les transports en commun des escouades de clowns chargés de répandre la bonne humeur parmi la population triste et dépressive. Philippe exagère un peu en se glorifiant que sa ville n'abrite aucune église, car seule sa scission d'avec Gentilly la priva d'un monument du culte. Il n'empêche qu'il y a des villes ou des époques où l'air est plus sain(t) qu'ailleurs !

mardi 4 juin 2013

Vierge aux rochers (Leonardo da Vinci)


Enfant je ne connaissais Léonard de Vinci que pour ses tableaux dont forcément la Joconde. Plus tard j'ai su qu'il faisait partie de la famille de touche-à-tout que j'adoptai vers mes vingt ans, tels Jean Cocteau, Boris Vian ou Frank Zappa. Si j'ai lu l'intégrale du premier, je me suis passé en boucle les chansons du second et le troisième, rencontré à plusieurs reprises entre 1969 et 1972, m'initia à la musique. Quant à Leonardo nous lui avons rendu hommage avec Nicolas Clauss en imaginant sa Machine à rêves, œuvre pour iPad commandée par la Cité des sciences et de l'industrie (en téléchargement gratuit).


Dans son film Pierre Oscar Lévy ne montre jamais la Vierge aux rochers dans son ensemble. J'ai d'abord fabriqué la grotte avec ses ruissellements et sa rivière souterraine. Elsa est venue poser sa voix dans mon décor pseudo réaliste avant que je ne la remplace par un courant d'air que j'ai traité de façon à ce qu'il rappelle son murmure bouche fermée. Je souhaitais que la musique agisse comme une vague réminiscence, une berceuse qui plonge la Vierge elle-même dans le sommeil...

Scénario et réalisation - Pierre Oscar Lévy
Direction artistique - Jean-Jacques Birgé
Musique - Jean-Jacques Birgé, avec la participation de Elsa Birgé
Assistante - Sonia Cruchon
Conseil historique - Luis Belhaouari
Post-production - Snarx-Fx
Production déléguée - Dominique Playoust, Pixo Facto
Droits photo © RMN / Franck Raux
À l'origine, le film produit par Samsung Electronics France fut conçu pour être joué en boucle dans le cadre de "Révélations, une odyssée numérique dans la peinture".
Exposé au Petit Palais en septembre-octobre 2010.

lundi 3 juin 2013

Muziq revient sur les pas de la pop


Il y a des revues que l'on jette aussitôt lues, d'autres vers lesquelles on revient des décennies après leur parution. Le nouveau Muziq pourrait aller rejoindre Musique en Jeu, L'autre journal, Les Cahiers du Cinéma (d'antan), L'art vivant ou L'enragé sur mes étagères. Le n°1 de cette seconde série (réincarnation du magazine auquel j'avais participé de 2004 à 2009) est publiée par Le Castor Astral sous la forme d'un bookzine vendu en librairies, 160 pages d'articles relatant et commémorant l'histoire de la musique pop(ulaire), du rock en jazz en passant par le funk et la soul. La patrouille de chroniqueurs dirigée par Frédéric Goaty et Christophe Geudin fait jouer mémoire et érudition sur les phénomènes musicaux qui ont agité la seconde moitié du XXe siècle. L'amour des disques y est partout chanté et les retours sur le passé nous font découvrir maints recoins oubliés dès lors que l'on s'intéresse au sujet, qu'il fut vécu ou qu'il soit fantasmé.
Ce premier numéro rassemble un hommage au disparu Jef Lee Johnson ou au guitariste Neal Schon, la seconde carrière de Gene Clark après les Byrds, les chansons méconnues de Paul McCartney, l'association impossible de Sly & Robbie avec James Brown, 32 pages sur Neil Young, un décorticage de l'album Spectrum de Billy Cobham, une fenêtre sur l'acid jazz, des entretiens avec Sixto Rodriguez et Bobby Womack, le souvenir de concerts mémorables des Rolling Stones, Gong, The Who et Weather Report, etc. Le test en aveugle de Jules-Édouard Moustic et la rubrique "Mes disques et moi" proposée à Alain de Greef laissent soupçonner quelques sympathies avec Canal +. Guy Darol termine en signant un remarquable article sur les influences subies par Frank Zappa. En commentaire de cette étude très complète j'ajoute Don Cherry et Roland Kirk à la liste des jazzmen ayant joué avec le compositeur et je rappelle qu'il fit miroiter à Pierre Boulez l'achat d'une 4X, machine développée par l'Ircam, pour le convaincre de jouer sa musique qu'en retour le chef d'orchestre massacra à tel point que Zappa refusait d'aller saluer la salle. Marché de dupes pour l'un et l'autre puisque le choix se porta sur un Synclavier !
Muziq est résolument tourné vers le passé, glorieux s'il en fut. La revue qui abordera l'avenir reste à inventer. Miroir de la quantité de revivals qui hantent les artistes et de la nostalgie d'une jeunesse qui n'a pas vécu l'âge d'or, les journalistes reviennent sur leurs amours d'adolescent. Nous manquons hélas terriblement de visionnaires tant et si bien que les démarches personnelles authentiques ont de plus en plus de mal à sortir de l'ombre. Le marketing et les replis communautaires isolent plus que jamais les outsiders, rebelles indispensables à la régénération de notre univers. The present-day composer refuses to die, ressassait Zappa sur ses pochettes en citant Edgard Varèse. Le compositeur d'aujourd'hui refuse de mourir !