Ricciotti par ci, Ricciotti par là, l'étoile montante et omniprésente de l'architecture fait parler de lui pas seulement pour son art, mais également en multipliant les provocations. Cette technique éprouvée de toute campagne de communication consiste à être présent sur tous les fronts à la fois, même lorsque ce n'est pas à l'avantage de l'architecte mis en examen pour la construction de sa propre villa à Cassis avec recours au travail dissimulé et infractions au code de l’urbanisme. Le trop-plein de pouvoir fait péter les plombs des plus puissants qui finissent par se croire au-dessus des lois. Pire, Rudy Ricciotti en jouant les redresseurs de torts se trompe de cible en faisant preuve d'un corporatisme douteux dans Le Monde du 1er juin lorsqu'il accuse les scénographes d'être "des prédateurs de l'architecture publique qui fabriquent du pouvoir. C'est no limit." Est-ce la raréfaction des commandes en architecture qui ferait se tourner cette profession vers une autre avec qui elle partage la présentation des expositions muséographiques ?

Face à ce qu'il est coutume d'appeler la crise économique, soit réduction des budgets tous azimuts pour favoriser les plus riches au détriment de la très grande majorité de la population, la tentation réactionnaire de désolidarisation s'intensifie dans toutes les couches de la société alors qu'il est urgent de s'organiser interprofessionnellement en se serrant les coudes face aux assauts du monde de la finance. Cette semaine il aura suffi de la nomination d'Olivier Benoit à la tête de l'ONJ, l'Orchestre National de Jazz, pour que des esprits chagrins critiquent sa musique comme n'étant justement pas du jazz. L'appellation contrôlée par la police de la pensée justifierait ces attaques dont on a l'habitude à chaque nomination. Les frileux oublient que la musique qu'ils défendent est aujourd'hui patrimoniale et qu'ils bénéficient souvent de subventions vouées à la création contemporaine, et non le contraire ! Au lieu de se battre pour que les lieux de culture en butte aux coupes budgétaires criminelles ne deviennent pas des coquilles vides, car après avoir payé les frais fixes, les permanents, l'infrastructure, il ne reste plus un sou pour ce quoi ils ont été créés, à savoir la diffusion artistique !

L'attaque de Rudy Ricciotti, refusant tout fonctionnalisme dans son œuvre, serait-elle une manière de camoufler son échec au Musée des Civilisations de l'Europe et de la Méditerranée, le MUCEM à Marseille ? Car si le bâtiment peut plaire par ses formes modernes et les matériaux employés, il est aussi incompatible avec le propos du musée comme le fut le projet de Dominique Perrault avec la Bibliothèque François Mitterrand. Après s'être esclaffé sur le minimalisme lumineux de la Grande Bibliothèque on dut obstruer les centaines de baies vitrées dont la transparence détruisait tous les livres qui y sont stockés ! Cette même lumière est la source du conflit avec les scénographes qui s'arracheront les cheveux pour présenter les futures expositions du MUCEM car ils ont souvent besoin de l'obscurité quand l'architecte se flatte d'avoir créer partout la transparence. Et Le Monde de citer Nicolas Bourriaud, directeur de l'École Nationale Supérieure des Beaux-Arts, qui a choisi d'utiliser les mêmes cimaises et les mêmes structures pour toutes ses futures expositions en prétendant que "la scénographie a pris une place exorbitante dans le dispositif des expositions. C'est la faillite du commissariat qui doit intégrer cette question dans son travail." Partisan d'une présentation neutre (et de plus économique), il oublie la diversité des imaginaires des artistes présentés. D'autre part, les musées et expositions visant un public toujours plus nombreux doivent rivaliser avec les autres pôles culturels que sont l'audiovisuel, le théâtre, les spectacles de rue, le sport, etc. Leur ravalement idéologique et fictionnel doit être confié plus que jamais aux scénographes, designers sonores et graphiques, dont les professions sont complémentaires des commissaires d'exposition, tous devant prendre en compte les espaces immuables que leur imposent, parfois astucieusement, parfois restrictivement, les architectes.

Combien de fois ai-je dû moi-même faire rentrer avec un chausse-pied une œuvre trop grande pour sa vitrine, ou dû gérer la pollution sonore provenant d'œuvres trop proches les unes des autres sans que l'insonorisation ait été pensée en amont ? Et comme je me suis ennuyé lorsqu'il s'agissait d'un vulgaire accrochage en comparaison des visites où le moindre détail scénographique participait à mon immersion ou mon adhésion ! Rares les jours où je ne fus pas obligé de changer sans arrêt de lunettes pour faire le va-et-vient entre l'œuvre et son cartel...

À chacun son métier et que chacun le fasse le mieux du monde, pas seulement en se gargarisant de son excellence tel un soliste exécutant son chorus au détriment du reste de l'orchestre, mais en apportant sa pierre à l'édifice collectif comme jadis on bâtissait une cathédrale sans que le capitaine ait besoin de voir son nom briller à son fronton ! Au lieu de tirer la couverture à soi, chacun devrait avant tout se demander comment faciliter le travail des autres pour que tous puissent s'approprier la réussite.