Il existe des milliers de manières de composer la musique d'un film, mais aucune ne peut être arbitraire. En analysant le sujet, son contexte et les intentions du réalisateur, la réponse s'écrit d'elle-même. Entendre que la page blanche n'existe pas et que les solutions découlent de l'analyse attentive de ce qui est exprimé, suggéré ou refoulé... Trop nombreux cinéastes prennent hélas les spectateurs pour des demeurés en réclamant que l'on appuie les effets. Et le compositeur de surligner au marqueur fluo telle scène sentimentale ou la poursuite impitoyable ! Il m'a toujours semblé préférable de jouer la complémentarité plutôt que l'illustration mécaniste. Et déjà pointe la question préalable à savoir la nécessité ou pas de recourir à la musique dans un film ? S'interroger sur son propos c'est prendre l'affaire par le bon bout, renvoyant le conteur à zéro, d'autant qu'en la matière les habitudes ne peuvent être autrement que mauvaises. Déceler la spécificité de l'œuvre en cours exige d'abord que l'on pose pas mal de questions à son auteur. Aux substantifs, adjectifs et verbes révélés on opposera les siens pour composer une nouvelle syntaxe, propre à chaque aventure. Car l'intérêt de travailler sur des œuvres qui ne sont pas exclusivement les nôtres consiste à se surprendre en abordant des rivages insoupçonnés. Les querelles d'ego sont déplacées lorsqu'il s'agit de rendre l'objet rêvé le plus crédible possible. Et chacun d'y mettre du sien.

Combien de fois ai-je écrit que toute musique fonctionne avec n'importe quel film, mais le sens varie d'une association à une autre ! Jouant d'un médium sans paroles le musicien influe généralement sur les émotions, quitte à en rajouter une couche, mais sa responsabilité est justement la maîtrise du sens. Raison pour laquelle la place même de la musique, à savoir son apparition magique tombant de je ne sais quel ciel mystique, est primordiale. D'où mon attirance possible pour celle qui se présente in situ, jouée par des musiciens à l'image ou quelque machine reproductrice... Passé ce cas de figure qu'affectait par exemple Jean Renoir, il m'est très tôt apparu que la musique ne pouvait se concevoir coupée du reste de la bande-son. La partition sonore englobe les voix, les bruits, les ambiances et la musique s'il y a lieu d'être. Que l'on vive en ville ou à la campagne, nous sommes quasiment interdits de silence. On appellera donc nos moments de calme, pauses ou respirations...

Si j'évoque la musique de film, c'est que j'ai travaillé tous ces jours-ci à commenter des images dans des champs extrêmement variés, soit le film de Françoise Romand sur Ella & Pitr intitulé Le baiser d'encre, plusieurs montages photographiques pour les Rencontres d'Arles, un parcours en autocar à travers la Camargue, l'interface du Jeu de la vie et le design sonore de l'exposition Le gameplay s'exhibe avec cette fois Sacha Gattino pour la Cité des Sciences, le live avec Jacques Perconte, etc. Mais j'aurais pu tout aussi bien traiter de n'importe quel art appliqué avec la même approche. Que la musique participe à un autre projet que cinématographique, ou qu'un graphiste, un écrivain ou un scénographe collabore à une œuvre impliquant différents créateurs, les question sont identiques : comment puis-je être utile à l'entreprise collective et quelle méthode employer pour la servir au mieux ?