En voyant Elsa sur la scène de Fourvière j'ai pensé très fort à Papa, à mon papa. Ça passait à travers moi, un courant de vie extraordinaire bravant la mort qui l'avait emporté trop tôt, trop tôt pour connaître Elsa qui avait deux ans lorsqu'il s'est éteint, un casque audio sur les oreilles avec la Callas qui lui faisait couler des larmes le long des joues sans qu'autour nous n'entendions rien. Dans cette nuit lyonnaise éclairée par une lune géante les étoiles me traversaient comme des neutrinos. Tandis que cette transfusion me réchauffait les veines Elsa entonnait : " Je dis que rien ne m’épouvante, Je dis que je réponds de moi ; Mais, j’ai beau faire la vaillante, Au fond du cœur, je meurs d’effroi. Toute seule, en ce lieu sauvage, J’ai peur… mais j’ai tort d’avoir peur…" Rien d'innocent. Il aurait sangloté d'émotion en voyant sa petite-fille dans sa robe blanche jouer cette gamine aux pieds nus qui les a bien sur terre. Papa pleurait facilement lorsqu'il écoutait de la musique. Il adorait l'opéra, mais n'y allait plus jamais, peut-être parce que Maman n'aimait que les marches militaires ? À Angers le père de mon père, l'arrière-grand-père d'Elsa, avait sa loge à l'opéra. Un jour où je rendais visite à mon père à l'hôpital il me présenta à l'infirmier en se vantant que j'étais compositeur ; comme le grand costaud ne mouftait pas il ajouta "... d'opéra." Je venais d'enregistrer La fosse avec le Drame et l'Itinéraire, Louis Hagen-William et Martine Viard. Coïncidence, Serge Valletti y jouait le rôle d'un des musiciens et c'est lui qui aujourd'hui a adapté le livret de Carmen et ajouté les dialogues comiques qui sortent du transistor comme d'un soap radiophonique. Il est encore d'autres coïncidences, plus intimes. Le temps finit par résoudre les dissonances en une suite d'accords qui nous mène inexorablement à la coda. Le vent qui soufflait sur la scène de l'amphithéâtre romain donnait encore plus de force à Micaëla bravant la tempête qui s'annonçait. Je pense toujours à Papa. Nous avons réalisé son rêve.

Photo © Ugo Nicolas