Tous les acteurs d'Internet le savent. La presse papier est condamnée à disparaître si elle ne change pas ses méthodes. Mediapart regarde sans moufter les grands quotidiens s'enfoncer pour ne pas avoir compris à temps les enjeux de l'avenir. Pourtant, même ce fameux site web d'information et d'opinion dont la fréquentation ne fait que grandir (80 000 abonnés aujourd'hui) néglige les spécificités de son médium en calquant sa présentation sur celles des autres. Ceux qui le font devraient se souvenir que la forme et le fond sont intimement liés. Si le style convenu de la une peut se comprendre par ses enjeux politiques (et encore !), les pages culturelles ou le Club mériteraient un traitement plus approprié. Les sketches de La Parisienne Libérée ou Didier Porte ressemblent trop à ce que la télévision a coutume de nous offrir. Ils ont certes ici leur place, mais il serait nécessaire de montrer par ailleurs un peu plus d'ambition lorsqu'il s'agit par exemple de la page culture. Aurait-on oublié le fameux Journal d'En France de Raoul Sangla sur Antenne 2 en 1981-82 (une télévision qui se mêle de ceux qui la regardent) ou la proposition de Thomas Sankara de confier à Jean-Luc Godard la télévision burkinabé ? L'information n'est pas tout. Si l'on veut changer le monde il faut être capable de transformer les usages et prendre parfois le risque de désarçonner. Un site Web n'est ni un journal papier projeté sur un écran ni une radio. Sa forme reste à inventer.
Les mutations sont en cours. Je mettais récemment en cause les revues musicales. Aujourd'hui certains labels ont choisi de ne plus leur envoyer les disques qu'ils produisent, préférant cibler les blogueurs qui ne sont pas inféodés à la publicité. Les journalistes n'entendent pas la rupture avec ceux qui les alimentent, les artistes. Il est certain que ceux-ci évitent le sujet de peur d'être boycottés... Le temps d'un passage de pouvoir ! Les chroniqueurs ne comprennent pas que les jeunes qui ne demandent qu'à grandir ont besoin de leur soutien, et que leurs emplois dépendent d'eux fondamentalement. À traiter toujours les mêmes sujets leur prose se tarit. Il n'existe aucune histoire d'amour qui ne soit réciproque. À négliger les mouvements qui fleurissent, et en ces temps critiques la nécessité de s'organiser est de plus en plus urgente, la presse spécialisée est appelée à disparaître parce qu'elle ne réfléchit plus notre actualité, tant dans la forme que sur le fond. Plus que jamais nous devons inventer, et nous devons le faire ensemble, en unissant les forces de tous les corps de métier, toutes les passions, toutes les révoltes.