À chaque moment de la journée correspond une musique adéquate et ce, différente pour chacun et chacune. Au réveil j'ai toujours préféré des musiques tonifiantes comme Dario Moreno ou du rock explosif, ces jours-ci ce sont deux albums de la collection Funk, psychedelia and pop from the Iranian pre-revolution generation, Khana Khana ! & Goush Bedey, que distribue Orkhêstra. À cheval entre la musique arabe et Bollywood ces chansons kitsch du temps où l'espoir était florissant donnent à la pop des années 70 une tonalité orientale des plus réjouissantes. Lorsque je suis encore le seul levé j'écoute plutôt des voix parlées pour ne pas réveiller ceux qui dorment. Avant le déjeuner j'essaie des choses plus expérimentales, mais comment évoquer Ondes primitives (Kadima Collective), les improvisations de contrebasse de Fred Marty qui, si elles sont riches et passionnantes, risquent de hérisser le poil de celles ou ceux qui ne sont pas encore rasés ou, plutôt, qui le sont de trop près ?
Pendant les repas je coupe toujours le son parce que la musique en mangeant est un truc qui devrait être interdit. Impossible de se concentrer sur les saveurs qui titillent nos narines et nos palais, ni sur les conversations des convives. J'attaque le café avec un disque du label Bruce's Fingers que m'a prêté Gary, Clay Angels de Su Lyn, chanteuse anglaise qui mériterait d'être largement plus connue, cousine lointaine de Laurie Anderson, Beth Gibbons ou Anna Bird chez White Noise. Produite par le contrebassiste et claviériste Simon H.Fell, elle distille une pop minimaliste envoûtante, s'appuyant sur des improvisations portées par la batterie de Stuart Braybrooke et les rythmes de Roger Chatterton. Le disque a déjà dix ans et personne ne semble très au courant par ici.
Si je ne suis pas moi-même en studio l'après-midi j'écoute plutôt des choses très électriques comme cette semaine les groupes technoïdes que m'a indiqués Jean-Michel, Queen of The Wave des Finlandais Pepe Deluxé qui utilise le Great Stalacpipe Organ, plus grand instrument de musique du monde restauré pour l'occasion (livret psychédélique de 60 pages chez Catskills), Dead Cities de Future Sound Of London (FSOL) en collaboration avec le compositeur Max Richter et enfin l'insaisissable et prolifique Sufjan Stevens, kitsch multi-instrumentiste à cheval entre le folk, l'électro et le symphonique !
Avant le dîner je reviens à des musiques du monde ou à ceux qu'elles ont inspirés. Liquid Spirit (Blue Note) du crooner Gregory Porter peut faire l'affaire, mais je préfère Nights in Tunisia (Infingo) de Jean-Christophe Cholet avec l'Ensemble Diagonal auquel participe le violoniste Jasser Haj Youssef, rencontre de jazzmen avec une douzaine de chanteurs et musiciens arabes qui n'est pas sans rappeler une autre réussite, celle de l'ONJ de Caravan(e).
Intemporelle, '68 est la phénoménale exhumation de fonds de tiroir de pièces de Robert Wyatt. Si Slow Walkin' Talk, son duo avec Jimi Hendrix qui lui permit d'enregistrer tous ces incunables, figurait déjà dans quelques compilations (mais la photo est ici dans le livret !) et si Chelsa est sympa, deux longues pièces rendent ces archives indispensables. Rivmic Melodies débute avec British Alphabet et dérive en yaourt espagnol mais surtout il est fantastique d'écouter la version initiale de Moon in June, sur ces deux pièces le chanteur enregistrant lui-même piste après piste la batterie, la basse, le piano et l'orgue ! Le Lowrey de Mike Ratledge et la basse de Hugh Hopper le rejoignent tardivement pour que naisse ce qui deviendra la mythique face 3 du Third de Soft Machine. Le livret contient une exceptionnelle interview de Wyatt réalisée en décembre 2012 par Aymeric Leroy avec les commentaires de Hugh Hopper (Cuneiform, dist.Orkhêstra).
Mais aujourd'hui, quelle que soit l'heure, on entendra Lou Reed chanter dans les chaumières, une voix unique, reconnaissable dès la première syllabe, chaude et rocailleuse. Depuis les débuts du Velvet, depuis Walk on the Wild Side, le meilleur était ce timbre, parlé-chanté vénéneux. Les innombrables réactions sur la Toile à l'annonce de sa mort indiquent que le rock 'n roll vient de tourner la page de toute une époque. Accueillant hier soir cet animal mythologique, le corbeau de Poe répétait inlassablement "jamais plus" !